Journal de bord

dimanche 12 janvier 2003

Dimanche matin

Dimanche matin. Fait beau dehors, y a du soleil. Fait plutôt frette, enfin pour Paris.

Moi sous la couette, lui à l’ordi.

Il a mis Beau Dommage, ambiance années soixante-dix.

Il a regardé les photos de la pochette “Tiens, on était tous comme ça au CEGEP”. Je lui ai dit, tu sais, c’était tout pareil ici, c’était les babas-cool.

Il m’a dit qu’il avait seize ans en soixante-seize (il est de 60). Seize ans en soixante-seize. Ambiance je m’souviens.

Y parait qu’on écrit comme on parle
C’qui voudrait dire qu’on écrit mal
On est des traîtres
On va faire disparaître
La langue de nos ancêtres

Mais ça c’est donc pas de not’ faute
Nos mots sont juste l’écho des vôtres
Nous on arrive, vous nous d’mandez d’écrire
C’que vous avez jamais osé dire

Quand t’as seize ans en soixante-seize
T’es ben plus loin que tout l’monde pense
On est d’accord pour n’importe quelle révolution
à condition qu’elle se danse…

Il m’a achevé avec Harmonium… J’suis allé prendre ma douche.

Je lui ai fait un poulet rôti, accompagné de pommes Dauphine et de Saint-Chinian, il m’a dit “Aussi bon qu’à St Hubert ».

Je lui ai fait part de mon absence d’opinion sur le sujet du clonage, du fait que je ne trouve pas d’argument contre, il m’a dit “Fait pas ton Foglia ».

Voilà, c’était le dimanche matin d’un couple biculturel à Paris, c’était le bonheur d’être ensemble à écouter des vieilleries pis à se dire des niaiseries.

Cas de conscience

Je travaille dans une agence de pub et de marketing. L’argent que je gagne, c’est en prenant les cons-ommateurs pour la première syllabe de ce qu’ils sont. Parfois, j’ai un peu honte, mais il faut bien manger.

Je fais du testimonial avec des consomm-actrices dont la photo vient tout droit de chez Corbis, au discours rédigé par notre formidable équipe de con-cepteurs-rédacteurs. Je travestis la réalité pour faire des actionnaires heureux.

Je vous emmène dans des ambiances délicieusement balnéaires où; même le paysage est vendu à crédit. J’aide les pauvres à être plus pauvres, je leur prête des rêves dérisoires en leur disant que c’est le bonheur. J’aide les alcooliques en leur promettant l’ivresse de notes boisées et la distinction de breuvages d’exception. J’aide la ménagère de moins de quarante ans à être épanouie en consommant selon ses envies. J’aide les vieux à mourir sereins grâce à leur convention-obsèques Sérénité. J’aide les jeunes à se suicider avec le scooter qui les emmènera au bout de leur passion. J’aide les pires mégasociétés capitalistes à avoir l’air humain et proche de vous.

Je vous méprise et j’ai tant d’amour en retour.

Je vous prends par la main pour vous mener dans ce pays merveilleux où; les couleurs sont Made In PhotoShop, où; les femmes sont toutes belles et intelligentes, où; les hommes sont virils et amusants, où; il n’y a pas de drames, pas de maladies, pas de morts (sauf pour de rire). Je vous crée de toutes pièces des désirs sonnants et trébuchants.

Voilà, je suis payé tous les jours à vous prendre pour des cons, et ça marche plutôt bien.