Journal de bord

samedi 28 juin 2003

Navire night

Des que nous appelons, nous devenons, nous sommes, déjà pareils. À qui ? À quoi ? À ce dont nous ne savons rien. Et c’est en devenant, personne pareille que nous quittons le désert, la société.
Écrire c’est n’être personne. “Mort”, disait Thomas Mann. Lorsque nous écrivons, lorsque nous appelons, déjà nous sommes pareils. Essayez. Essayez alors que vous êtes seul dans votre chambre, libre, d’appeler ou de répondre au-dessus du gouffre. De vous mélanger au vertige, à l’immense marée des appels.
Ce premier mot, ce premier cri on ne sait pas le crier. Autant appeler Dieu. C’est impossible et cela se fait.
M.D.

Quart de nuit

Je m’enfonce dans le mystère de l’existence. Cette blonde pierre d’Aquitaine m’irradie de sa chaleur ancestrale. Les landes m’appellent de leurs sucres jaunes. Dans l’immensité de la nuit à trois cent soixante degrés, je m’éparpille entre ciel et terre. Sur ma vergue, bien calé, je me perds et le seul port qui me rattache est le souvenir de ton sourire. Dérision de ce planisphère si petit qui me plonge dans l’abjection de cette condition que certains disent humaine. C’est à bras le corps que je m’attache à la ligne de vie, cette tenue filière fourrée de bitord. L’immensité de l’horizon répond au vide de mon coeur. Ineffable moment suspendu entre ciel et mer, entre perroquet et cacatois. J’embrasse cet espace loin de tout. Les animalcules phosphorescents dressent notre sillage. Je hurle silencieusement dans mon ventre. La mélopée de la houle envahit mon âme désarrimée. Il est temps de se saisir des enfléchures et de retourner au pont. La société des hommes me retourne le miroir de mon infinie inexactitude. Pourquoi toi, pourquoi lui. J’ai communié. Avec lui. Sans répit. J’ai touché du doigt l’insondable et mon coeur m’en brûle encor. Le partage, il me l’a donné, quitte à en ressortir en péril. Ton voyage est une offrande qui te coule entre les mains avant que tu n’aies eu le temps de t’en se saisir. Alors voyager, ce n’est pas aller à une destination, c’est compter le temps qui t’emporte d’un rivage à un autre. Dans quinze jours, j’aurais l’âge où tu m’as quitté, irrémédiablement. Le soluté salin inonde la vitre qui m’isole du réel. Pauvres vous qui ne savez, bienheureux les simples d’esprits. Fourbu, je m’allonge et j’offre mon corps au ciel. C’est dans ma solipsiste iniquité que je me confronte aux éléments. M’avez-vous bien mérité ? La vierge répond à mon trépas. Ce n’est pas sans ardeur que je croque la pêche tout en m’assurant que la surliure défendra tout décommettage des brins qui nous unissent. Mais, ne te méprends pas, je ne suis qu’une ode à la vie mais pas celle qui nous est affectée par défaut. Je me livre, tel quel. Bienvenue à celui que saura lire entre les pages. Je n’ai pas choisi mon amure mais le virement bord sur bord m’est par trop pénible alors je t’implore, accepte-moi dans toute mon incomplétude. De la dunette au gaillard, nous sommes tous dévoués à la sauvegarde de notre petite société et je me fais la figure d’un ange tutélaire qui a trop vécu pour souffrir de voir l’absolution de nos errances. J’ai touché l’ineffable et j’en suis réduit à publier cette succession de mots pour tenter d’en communiquer les parages brûlants. Alors, mouillons l’encre de nos pathétiques esquifs qui surnagent sur cet océan illusoire. Avec beaucoup d’effort, peut-être nous rejoindrons nous. À quoi bon tant savoir si ce n’est pouvoir partager. Hors, cela est impossible et me voilà prisonnier de la vérité nue. La brise adonne. Mon compas suit alors la dictée du vent. Leçon d’humilité s’il en est. Comment communiquer avec vous ? L’indicible qui nous unit et qui nous sépare. Ne riez pas. Je connais le scalpel qui vous fera souffrir. Je ne suis que pauvre hère qui voudrait juste vous dire quelque vérité première mais dont les mots trahissent le sentiment, car nous sommes bien mal équipés pour aborder la sphère de l’essentiel. Je n’ai pas l’habitude de m’épancher, mais qui m’aimera me suivra sur ce chemin caillouteux peuplé de revers qui font la ligne de plomb peuplée d’incertitude.
Vous m’avez suivi jusque-là, mais qu’en avez-vous retiré ? L’onde de la marée se répand dans les estuaires de vos incertitudes. Fortune de mer saura sourire à qui la prendra. Alors, je vous laisse ces quelques mots en partage et n’hésitez pas à les recueillir abandonnés sur la grève. Telles paillettes de mica, elles brilleront mêlées d’algues au soleil que vous saurez leur accorder.
Mais que sont ces paroles qui paraissent vous ignorer ? C’est tout l’art des mots que de vous transmettre une émotion qui appartient plus au lecteur qu’à l’écrivain. Alors, pardonnez-moi cette effusion et ce billet atypique. Ce n’est que vraquier de mots sans destination précise, qui le veut s’y reconnaîtra.

1. Le 28 juin 2003,
François

L’amour, la mort, la vie, nos voyages qui commencent et finissent entre deux rives inconnues, j’en pleure encore. Tu sembles avoir frôlé le Styx, rejoins-nous sur la grève.

2. Le 4 juillet 2003,
Zénon

Flux et reflux, marée basse, marée haute, la vie donne, la vie prend… Merci pour ces belles confidences Z

Blah ? Touitter !