Journal de bord

samedi 18 février 2012

Traductions comparées

À l’occasion de la récente polémique du “Vieil homme et la mer”, j’ai lu, ici et là, que la traduction de Jean Dutourd serait médiocre, jugement repris parfois sans même un conditionnel par des gens qui n’ont peut-être même pas lu le livre, ni dans sa version originale, ni dans sa version française. À en relire quelques pages, je n’en suis pas tout à fait convaincu. Disons qu’elle est “datée” et parfois éloignée de la mélodie hemingwayenne.

Les comparaisons sont intéressantes. Traduttore, traditore

He was an old man who fished alone in a skiff in the Gulf Stream and he had gone eighty-four days now without taking a fish. In the first forty days a boy had been with him. But after forty days without a fish the boy’s parents had told him that the old man was now definitely and finally salao, which is the worst form of unluck, and the boy had gone at their orders in another boat which caught three good fish the first week. It made the boy sad to see the old man come in each day with his skiff empty and he always went down to help him carry either the coiled lines or the gaff and harpoon and the sail that was furled around the mast. The sail was patched with flour sacks and, furled; it looked like the flag of permanent defeat.

The old man was thin and gaunt with deep wrinkles in the back of his neck. The brown blotches of the benevolent skin cancer the sun brings from its reflection on the tropic sea were on his cheeks. The blotches ran well down the sides of his face and his hands had the deep-creased scars from handling heavy fish on the cords. But none of these scars were fresh. They were as old as erosions in a fishless desert.

Everything about him was old except his eyes and they were the same color as the sea and were cheerful and undefeated.

“Santiago,” the boy said to him as they climbed the bank from where the skiff was hauled up. “I could go with you again. We’ve made some money.”

The old man had taught the boy to fish and the boy loved him.

“No,” the old man said. “You’re with a lucky boat. Stay with them.”

“But remember how you went eighty-seven days without fish and then we caught big ones every day for three weeks.”

“I remember,” the old man said. “I know you did not leave me because you doubted.”

“It was papa who made me leave. I am a boy and I must obey him.”

“I know,” the old man said. “It is quite normal.”

“He hasn’t much faith.”

“No,” the old man said. “But we have. Haven’t we?”

“Yes,” the boy said. “Can I offer you a beer on the Terrace and then we’ll take the stuff home.”

“Why not?” the old man said. “Between fishermen.”

Ernest Hemingway, The Old Man and the Sea. 1952.

Il était une fois un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf Stream. En quatre-vingt-quatre jours, il n’avait pas pris un poisson. Les quarante premiers jours, un jeune garçon l’accompagna ; mais au bout de ce temps, les parents du jeune garçon déclarèrent que le vieux était décidément et sans remède salao, ce qui veut dire aussi guignard qu’on peut l’être. On embarqua donc le gamin sur un autre bateau, lequel, en une semaine, ramena trois poissons superbes.

Chaque soir le gamin avait la tristesse de voir le vieux rentrer avec sa barque vide. Il ne manquait pas d’aller à sa rencontre et l’aidait à porter les lignes serrées en spirales, la gaffe, le harpon, ou la voile roulée autour du mât. La voile était rapiécée avec de vieux sacs de farine ; ainsi repliée, elle figurait le drapeau en berne de la défaite.

Le vieil homme était maigre et sec, avec des rides comme des coups de couteau sur la nuque. Les taches brunes de cet inoffensif cancer de la peau que cause la réverbération du soleil sur la mer des Tropiques marquaient ses joues ; elles couvraient presque entièrement les deux côtés de son visage ; ses mains portaient les entailles profondes que font les filins au bout desquels se débattent les lourds poissons. Mais aucune de ces entailles n’était récente : elles étaient vieilles comme les érosions d’un désert sans poissons.

Tout en lui était vieux, sauf son regard, qui était gai et brave, et qui avait la couleur de la mer.

“Santiago, dit le gamin tandis qu’ils escaladaient le talus après avoir tiré la barque au sec, je pourrais revenir avec toi maintenant. On a de l’argent.”

Le vieux avait appris au gamin à pêcher et le gamin aimait le vieux.

“Non, dit le vieux, t’es sur un bateau qu’a de la veine. Faut y rester.

- Mais rappelle-toi quand on a passé tous les deux vingt-sept jours sans rien attraper, et puis tout d’un coup qu’on en a ramené des gros tous les jours pendant trois semaines.

- Je me rappelle, dit le vieux. Je sais bien que c’est pas par découragement que tu m’as quitté.

- C’est papa qui m’a fait partir. Je suis pas assez grand. Faut que j’obéisse, tu comprends.

- Je sais, dit le vieux. C’est bien naturel.

- Il a pas confiance.

- Non, dit le vieux. Mais on a confiance, nous autres, hein ?

- Oui, dit le gamin. Tu veux-t-y que je te paye une bière à la Terrasse ? On remisera tout ça ensuite.

- C’est ça, dit le vieux. Entre pêcheurs.”

Ernest Hemingway, Le vieil homme et la mer. Traduit par Jean Dutourd. Gallimard, 1952.

Le vieil homme pêchait seul dans le Gulf Stream sur son canot depuis quatre-​vingt-​quatre jours sans avoir pris un poisson. Les quarante premiers jours, le garçon était venu avec lui. Mais après ces quarante jours, les parents du garçon lui avaient dit que le vieil homme était finalement et définitivement salao, ce qui est la pire forme pour dire pas de chance, et selon leurs ordres, le garçon était parti sur un autre bateau, lequel avait pris trois gros poissons la première semaine. Cela le rendait triste, le garçon, de voir le vieil homme revenir chaque soir le canot vide, et toujours il le rejoignait pour l’aider à porter les lignes enroulées, la gaffe, le harpon et la voile ferlée autour du mât. Une voile rapiécée avec des sacs de farine qui pendait ainsi comme le drapeau d’une permanente défaite.

Le vieil homme était maigre et hâve, avec de profondes rides dans l’arrière du cou. Sur ses joues, les taches brunes d’un cancer de la peau bénin à cause de la réflexion du soleil sur la mer des tropiques. Les taches lui tombaient de chaque côté du visage et ses mains gardaient les cicatrices profondément plissées des poissons hâlés lourdement sur la corde. Mais aucune de ces cicatrices pour être récente. Elles étaient aussi vieilles que l’érosion dans le désert sans poisson.

Tout en lui était vieux, sauf les yeux – et ils étaient de la même couleur que la mer, joyeux et invincibles.

– Santiago, lui dit le gamin alors qu’ils remontaient du quai où ils avaient halé le canot, je vais pouvoir revenir avec toi, on a fait un peu d’argent.

Le vieil homme avait appris au garçon à pêcher et le garçon l’aimait.

– Non, dit le vieil homme, tu es sur un bateau qui connaît la chance. Reste avec eux.

– Mais rappelle-​toi quand tu étais resté quatre-​vingt-​sept jours sans un poisson, et qu’ensuite on avait attrapé tous ces gros, un par jour pendant trois semaines ?

– Je me souviens, dit le vieil homme. Et que tu ne m’as pas quitté parce que tu aurais douté.

– C’est mon père qui m’a forcé, je suis son fils, je dois lui obéir.

– Je sais, dit le vieil homme. Et c’est normal.

– Il n’a pas assez confiance.

– Non, dit le vieil homme. Mais nous on a confiance. Hein ?

– Oui, dit le garçon. Si tu veux on prend une bière à la Terrace, et ensuite on porte tout ça chez toi.

– Pourquoi pas, dit le vieil homme. Entre pêcheurs.

Ernest Hemingway, Le vieil homme et la mer. Traduit par François Bon. Publie.net, 2012.

Pour m’amuser, je me suis prêté à l’exercice. Voici donc ma version :

C’était un vieux sur son canot qui pêchait seul dans le Gulf Stream, et ça faisait maintenant quatre-vingt-quatre jours qu’il n’avait pas pris un poisson. Les quarante premiers jours, un garçon l’avait accompagné. Mais après quarante jours sans poisson, ses parents lui avaient dit que le vieux était maintenant sans doute pour de bon salao, la pire des malchances, et le garçon était parti à leur demande sur un autre bateau qui prit trois beaux poissons dès la première semaine. Voir le vieux rentrer chaque jour la barque vide rendait le garçon triste et il était toujours là pour l’aider à remonter les glènes de lignes ou la gaffe et le harpon, et la voile enroulée autour du mât. La voile était rapiécée avec des sacs de farine et, roulée, elle ressemblait au pavillon d’une perpétuelle défaite.

Le vieux était sec et usé, avec de profondes rides sur la nuque. Les taches brunes d’un cancer bénin, causé par la réflexion du soleil sur la mer tropicale, marquaient ses joues. Les taches descendaient sur les bords de son visage et ses mains portaient les profondes cicatrices des blessures dues aux filins retenant de lourds poissons. Mais aucune de ces cicatrices n’était fraîche. Elles étaient aussi anciennes que des érosions d’un désert sans poissons.

Tout était vieux en lui, sauf ses yeux et ceux-ci étaient de la même couleur que la mer, gais et invaincus.

« Santiago, » lui dit le garçon alors qu’ils montaient le talus où l’embarcation avait été tirée, « je peux revenir avec toi. Nous avons fait un peu d’argent. »

Le vieux avait appris la pêche au garçon et le garçon l’aimait.

« Non. » dit le vieux. « Tu es avec un bateau veinard. Reste avec eux. »

« Mais, tu te souviens, tu as été vingt-sept jours sans prendre un poisson et puis nous avons attrapé des gros tous les jours pendant trois semaines. »

« Je me souviens, » dit le vieux. « Je sais que tu ne m’as pas quitté parce que tu doutais. »

« C’est papa qui m’a fait partir. Je suis jeune et je dois lui obéir. »

« Je sais. » dit le vieux. « C’est tout à fait normal. »

« Il n’y croyait pas beaucoup. »

« Non. » dit le vieux. « Mais nous, oui. Hein ? »

« Oui. » dit le garçon. « Je peux t’offrir une bière à la Terrasse. On ramènera après le matériel à la maison. »

« Pourquoi pas ! » dit le vieux. « Entre pêcheurs. »

Ernest Hemingway, Le vieil homme et la mer. Traduit par mes soins. 2012.

1. Le 18 février 2012,
Karl, La Grange

Le plus impressionnant est la qualité de la traduction anglaise.

2. Le 18 février 2012,
Anonyme

Si je soutiens François Bon contre Gallimard, j’ai beaucoup de mal avec les messages qui critiquent la traduction de Jean Dutourd sans aucun respect pour son travail. J’ai lu quelque part que c’était même une “insulte” à Hemingway et à la littérature américaine.

Du coup ce billet tombe à pic pour moi qui ne connaît ni la version de Dutourd ni celle de Bon. Celle de Bon semble un peu plus proche du texte en effet alors que celle de Dutourd s’en éloigne mais sans forcément être mauvaise (sans nul doute, elle appartient à une autre époque).

J’ai bien aimé votre traduction et la trouve meilleure dans certains passages, comme celui ci :

Everything about him was old except his eyes and they were the same color as the sea and were cheerful and undefeated.

Tout en lui était vieux, sauf son regard, qui était gai et brave, et qui avait la couleur de la mer. (Dutourd)

Tout en lui était vieux, sauf les yeux – et ils étaient de la même couleur que la mer, joyeux et invincibles. (Bon)

Tout était vieux chez lui, sauf ses yeux et ceux-ci étaient de la même couleur que la mer, gais et invaincus. (Embruns)

Je ne comprends pas l’usage de “brave” chez Dutourd qui fait perdre l’idée d’origine. Le “invincible” de Bon en dit plus que ce que ne dit Hemingway.

Ah juste, j’ai noté une coquille : tâches au lieu de taches.

Et oui, la traduction anglaise est impressionnante ;)

3. Le 18 février 2012,
Jean

Merci pour la démonstration. Je soupçonnais bien qu’ils n’avaient ni ne liraient jamais le roman original ou sa traduction. C’est le dernier de leurs soucis ; il s’agit d’abattre un chien ; il faut bien qu’il ait la rage. François Bon a fait une erreur, il s’est trompé, ça n’est pas dramatique. J’aime bien ce qu’il fait mais je suis déçu de ses pleurnicheries.

4. Le 18 février 2012,
gilda

N’empêche que je n’avais pas souvenir d’à quel point la V.O. claquait bien.

(et : oui, la traduction de Dutourd, son principal défaut est d’être datée ; la langue écrite évolue plus vite qu’on ne l’imagine en fait - ça me fait d’ailleurs penser que j’avais en esquisse un billet ; peut-être ce soir ou bien demain -).

PS : J’aime beaucoup ton “C’était un vieux canot …” qui sied mieux au français dans l’équivalence de l’esprit de la phrase d’origine.

5. Le 18 février 2012,
Emmanuel

Ces conversations vivantes autour du “Vieil homme et la mer” (provoquées par les problèmes de droits de la version de François Bon) déclenchent l’envie de lire l’ouvrage, et dans les deux langues ! et c’est chouette :-)

6. Le 18 février 2012,
Laurent Gloaguen

@Anonyme : Coquille corrigée. Merci !

8. Le 18 février 2012,
Laurent Gloaguen

Cher Ossobuco, vous vous êtes accordé quelques licences ;-)

9. Le 18 février 2012,
ossobuco

Oh juste un peu, je ne pense pas avoir abusé de la licence poétique. En tout cas encore merci pour cette idée.

10. Le 18 février 2012,
Marie-Aude

Très intéressant exercice. La traduction de Dutourd n’est pas si datée que cela, je trouve (et je ne suis pas partisane, je me souviens à quel point j’avais détesté la lecture scolaire de ce livre, jamais réouvert depuis, je vais sans doute le relire en VO). Je trouve que rester si près du texte anglais que le fait Bon ne suffit pas à rendre la musique du texte, au contraire.

Je ne connaissais pas ferler… il me semble que c’est un terme technique de marin, alors que to furl est un mot courant. D’ailleurs Hemingway le répète, et la traduction de F. Bon s’éloigne beaucoup, je trouve à cet endroit. Le Capitaine est le seul à respecter cette répétition ^^

11. Le 18 février 2012,
Laurent Gloaguen

@Marie-Aude : Tu as tout à fait raison de noter que ferler est un terme technique, alors que to furl est bien plus commun.

Si le furl anglais vient du ferler français, ils ne sont pas tout à fait synonymes.

En français, ferler veut dire serrer une voile carrée contre un espar en la pliant. Je connais bien ce verbe puisque j’ai pas mal navigué sur un fameux trois-mâts…

FERLER, fr. v. a. (…) Plisser la voile, en apporter la voile sur et le long de la vergue, la réduire au plus petit volume, et l’attacher en cet état avec des cordelettes nommées Rabans de ferlage.

JAL (Auguste). Glossaire nautique, répertoire polyglotte de termes de marine anciens et modernes. Paris, Firmin-Didot Frères. 1848.

-

FERLER, v. a. To furl, To hand. Ferler une voile, c’est la relever, plis par plis, tout le long et un peu au-dessus d’une vergue sur l’avant; on la fixe, ainsi, avec des rabans dits de Ferlage, et, alors, elle est Ferlée ou serrée; Ferler ne s’emploie qu’en parlant d’une voile carrée; dans les autres cas, on se sert du verbe Serrer.

BONNEFOUX (Pierre-Marie-Joseph de), PÂRIS (Edmond). Dictionnaire de la marine à voile et à vapeur. Paris, Arthus Bertrand. Seconde édition. 1856.

En 1906, Soé, Dupont et Roussin notent dans leur Vocabulaire des Termes de Marine : “Ne s’emploie guère que pour les voiles carrées.”

Ce sens persiste jusqu’à nos jours, puisque j’ai trouvé ce “plagiat” de Bonnefoux dans Le grand dictionnaire terminologique :

Ferler une voile c’est la relever pli par pli, tout le long et un peu au-dessus d’une vergue, sur l’avant. On la fixe ainsi avec des rabans dits de ferlage. Après l’avoir carguée, relever une voile carrée pli par pli, le long de sa vergue, à l’aide de rabans de ferlage. Ferler ne s’emploie qu’en parlant d’une voile carrée. Dans les autres cas on dit serrer.

Office de la langue française. Le grand dictionnaire terminologique. 1984.

J’ai bien sûr déjà entendu des yachtmen contemporains parler de “ferler la grand voile sur la bôme”, alors qu’un vieux marin comme moi dirait “serrer la grand voile sur le gui”… Le parler plaisancier moderne est souvent plein d’impropriétés (et trop souvent d’anglicismes). Mais l’idée est là cependant, il s’agit de plier la voile et l’assujettir, non pas de l’enrouler.

En anglais, le sens est plus large et comprend “l’enroulement autour” qui n’existe pas en français.

furl. verb [ with obj. ] roll or fold up and secure neatly (a flag, sail, umbrella, or other piece of fabric): he shouted to the crew to furl sails | (as adj. furled) : a furled umbrella. • [ no obj. ] literary become rolled up; curl: (as adj. furled) : the plant sends up cones of furled leaves. The Oxford English Dictionary.

C’est ainsi que les enrouleurs de voile s’appellent en anglais des Roller furling systems.

Pour en revenir à Hemingway, on peut voir à quoi pouvait ressembler un skiff cubain de la première moitié du XXe siècle sur cette photo : http://www.loc.gov/pictures/resource/det.4a05178/

It made the boy sad to see the old man come in each day with his skiff empty and he always went down to help him carry either the coiled lines or the gaff and harpoon and the sail that was furled around the mast. The sail was patched with flour sacks and, furled; it looked like the flag of permanent defeat.

L’idée est clairement se serrer la voile en l’enroulant autour du mat amovible. L’usage du “ferler” dans la traduction de François Bon me paraît donc être une impropriété, enfin, pour un marin. :-)

12. Le 18 février 2012,
Jean

Ernest Hemingway a vécu en France et y a travaillé comme correspondant de presse cf. Paris est une fête. Je suppose que la langue française ne lui est pas étrangère. Il s’est suicidé en 1961 et la traduction du Vieil homme par Jean Dutourd a été publiée en 1952. Si elle est aussi maladroite qu’on le dit, n’a-t-il pas eu tout le temps de s’en apercevoir et de s’exprimer sur la question ?

13. Le 18 février 2012,
chabi

Merci à Gallimard de son imbécillité pour cette leçon de traduction. J’aurais une préférence pour la traduction d’embruns car elle est près du texte : quel auteur ne pèse-t-il pas ses mots dans sa langue ?, et nous devons rendre compte de ces choix plutôt que d’autres intentions d’auteur !

14. Le 19 février 2012,
blah

Bizarrement ça ne me donne pas envie de lire l’original.

15. Le 19 février 2012,
Michel

J’ai refait moi aussi la traduction du début, et j’ai rédigé quelque chose d’étonnement proche de ce que vous avez fait, et de très éloigné de ce qu’à fait Bon. La traduction de Bon est vraiment mauvaise, on voit tout de suite qu’il n’a pas souhaité transcrire le style d’Hemingway ni se donner la peine de vérifier le sens précis des mots techniques. Même sur des mots simples, on trouve des contre-sens.

Ce n’est pas la première fois que je vois de mauvaises traductions sur son site. J’ai le souvenir de traductions de Lovecraft qui devaient avoir été faites par Google traduction…

16. Le 19 février 2012,
Grégory Haleux

Merci de donner à lire ces extraits ! Je me suis amusé à comparer et voici ce que j’ai noté pour la traduction de Bon :

@ « He was an old man who fished… » : si l’on a pu reprocher à Jean Dutourd de traduire par « Il était une fois un vieil homme […] qui… », François Bon fait-il mieux en traduisant par « Le vieil homme pêchait… » ? N’est-il pas préférable de traduire par « C’était un vieil homme qui … » ou par « Il était un vieil homme qui … » ? D’autre part, pourquoi « AN old man » devient-il « LE vieil homme » ?

@ même chose pour « A boy » qui devient « LE garçon »…

@ « But after forty days without a fish » : Dutourd dit « au bout de ce temps » ; Bon, « après ces quarante jours », oubliant lui aussi d’insister sur « sans poisson »…

@ « definitely » : Bon traduit naïvement par « définitivement », alors que le “faux ami” signifie « sans aucun doute, incontestablement »

@ « salao, which is the worst form of unluck » : Dutourd traduit par « ce qui veut dire aussi guignard qu’on peut l’être » ; Bon traduit littéralement et lourdement « ce qui est la pire forme pour dire pas de chance »…

@ « each day » : Bon traduit par « chaque soir »…

@ « the sail that was furled around the mast » : Bon traduit par « la voile ferlée autour du mât » mais, comme il est dit en commentaires du blog Embruns, « to furl » est un terme commun en anglais, signifiant (en)rouler, (re)plier, tandis que ferler est un verbe technique de marine… Dutourd dit plus simplement et logiquement « la voile roulée autour du mât ».

@ Bon ne traduit pas la deuxième occurrence du verbe « to furl ».

@ « the flag of permanent defeat » : le littéral « drapeau d’une permanente défaite » nous paraît très laid, l’antéposition de l’adjectif nous paraissant plus calquée bêtement sur l’anglais que motivée par le rythme ou le sens.

@ « The sail was patched […] » : « Une voile rapiécée […] », Bon met ici du style où il n’y en a pas, faisant une phrase sans verbe conjugué, si ce n’est dans une subordonnée qui n’existe pas dans le texte original : celui-ci est en effet constitué de deux phrases apposées.

@ « in the back of his neck » : Bon traduit encore une fois de façon bêtement littérale par « l’arrière du cou » quand il s’agit, ainsi que le traduit Dutourd, de la nuque.

@ « The brown blotches of the benevolent skin cancer […] » : Bon traduit encore par une phrase sans verbe conjugué. Sans doute pense-t-il ainsi éviter les difficultés de la syntaxe, mais il produit une phrase horriblement bancale, frisant le non-sens. Ainsi parle-t-il d’un « cancer de la peau bénin à cause de la réflexion du soleil […] » N’était-il pas préférable de placer l’adjectif « bénin » juste après « cancer » ? Non seulement cela serait plus fluide, mais cela ne laisserait pas entendre que si le cancer est bénin, c’est à cause de la réflexion du soleil…

@ « his hands had the deep-creased scars from handling heavy fish on the cords ». Voici la traduction de Bon : « ses mains gardaient les cicatrices profondément plissées des poissons hâlés lourdement sur la corde »… Non-sens complet ! Dutourd ajoute quelques mots mais au moins est-ce plus clair : « ses mains portaient les entailles profondes que font les filins au bout desquels se débattent les lourds poissons. » Chez Bon, que veut dire « garder des cicatrices » ? des « cicatrices profondément plissées » ? des cicatrices de poissons ?? « hâlés lourdement » ???

@ « But none of these scars were fresh » : encore traduit par une phrase sans verbe conjugué : « Mais aucune de ces cicatrices pour être récente. »

@ « erosions in a fishless desert » : Bon met au singulier ce qui est pluriel et détermine l’indéterminé : « l’érosion dans le désert sans poisson ».

@ « we caught big ones every days for three weeks » : Bon fait encore là un gros contresens en traduisant « nous avons attrapé tous ces gros, un par jour pendant trois semaines ». « ones » renvoit aux poissons évoqués juste avant, mais Bon fabrique l’expression « ones every days » qui signifierait selon lui « un par jour »…

@ « I know you did not leave me because you doubted ». Bon traduit par : « Et que tu ne m’as pas quitté parce que tu aurais douté. » Pourquoi ne pas traduire « I know » ? Ce n’est pas pareil que le “Je me souviens” de la phrase précédente…

Et tout cela pour la seule première page… Et tout ce flot de pleurnicheries et de hauts cris pour si peu… Il me semble que le traducteur a encore de gros efforts à faire en anglais, voire dans sa propre (?) langue.

17. Le 25 février 2012,
ElDorado

Merci beaucoup pour ces extraits, rien ne vaut en effet le texte pour se faire une idée. Ce qu’il y a de chouette avec cette polémique, c’est au moins qu’elle permet de nous souvenir de ce très joli texte. Je partage les opinions présentées en commentaire, et suis tout particulièrement frappé par le côté “dâté” du texte de Dutourd alors que le texte d’Hewmingway n’a semble t’il à mes yeux pris aucune ride. Merci pour l’analyse détaillée de Grégory Haleux ci-dessus. Il reste un point qui me chiffonne : “But remember how you went eighty-seven days without fish and then we caught big ones every day for three weeks.” Traduit par “Mais rappelle-toi quand on a passé tous les deux vingt-sept jours sans rien attraper, et puis tout d’un coup qu’on en a ramené des gros tous les jours pendant trois semaines.” par Dutourd et “Mais rappelle-​toi quand tu étais resté quatre-​vingt-​sept jours sans un poisson, et qu’ensuite on avait attrapé tous ces gros, un par jour pendant trois semaines ?” par Bon. 87 ne vaut pas 27 et il y a quand même une sacré différence. Dans un cas les bons jours de pêches sont finalement quasiment 1/2 sur la période, dans l’autre la “traversée du désert” est quand même plus perceptible. De plus dans la première phrase Hemingway mentionne que l’auteur est en mer depuis 84 jours (donc bientôt proche d’une nouvelle période de prospérité ?). On pourra dire que je pinaille, mais cela me semble tout de même important.

Bref, si maintenant je dois compléter ma bibliothèque de ce classique qui n’y figure pas encore, je prendrai la VO :)

« L’effacement soit ma façon de resplendir. » Philippe Jaccottet, qui connait quand même son affaire en matière de traduction !

Blah ? Touitter !

Liens du samedi

1. Le 18 février 2012,
ooblik

viva PALADIUM ! :) ça me fait dire que mes Digest sont en retard…

2. Le 18 février 2012,
Marie-Aude

L’article sur les droits d’auteurs est intéressant, mais il faut bien le lire comme un article sur le “copyright”, c’est à dire la protection des droits commerciaux des “éditeurs”. Car sinon, De plus, les nouvelles technologies baissent considérablement les coûts de production et de diffusion des oeuvres, et donc le seuil de rentabilité. est un peu à côté de la plaque. Les nouvelles technologies ne baissent pas le coût de production d’un livre, d’une photo, d’un tableau, etc… (ou alors à raisonner hors investissement matos)

Repart rêver dans les bibliothèques du monde, j’en ai besoin

3. Le 18 février 2012,
Jean

Bien d’accord avec Marie-Aude, d’ailleurs en Grande-Bretagne on ne connaît pas le droit d’auteur et c’est le copyright qui s’applique : ce sont eux qui l’ont inventé. Chez Numerama on entretient systématiquement la confusion entre les deux systèmes. En tout cas belle solution libertarienne : très certainement limiter les droits de l’auteur à 14 ans serait fort profitable à l’industrie toute entière qui pourrait commercialiser sans plus jamais le rémunérer. Elle a le pouvoir économique pour produire, les réseaux pour distribuer, pas lui, et le domaine public se vend très bien (Bach, Mozart, et pour les enregistrements : Salvador, Gainsbourg, etc.) On pourrait aussi rééditer tous les 14 ans en apportant des modifications, renouvelant ainsi le copyright ou ailleurs en Europe les droits voisins… La matière première gratuite, c’est parfait pour le commerce. Assurément beaucoup de dynamisme et profit optimal :-)

4. Le 20 février 2012,
Gilles

Si tu aimes faire des liens, un petit script KISS : http://sebsauvage.net/wiki/doku.php?id=php:shaarli

Un exemple de rendu : http://sebsauvage.net/links/

5. Le 20 février 2012,
Karl, La Grange

Pas trouvé le contexte de cela. Amis photographes ?

6. Le 20 février 2012,
Laurent Gloaguen

Hmmm, il y a une publicité “(?) Maison - Marbotte et Albert Crié - rue de Richelieu - Paris 2e” et un panneau “Côté arrivée” (une gare, un vélodrome, un hippodrome ?). Un meeting politique à Paris de toute évidence. Je cherche…

7. Le 20 février 2012,
Laurent Gloaguen

Bon, j’avance, vu le pylône, l’éclairage et le panneau “arrivée”, il s’agit du Vélodrome d’hiver, sans doute dans les années 30.

Une photo du vélodrome par Brassaï :

http://d-d.natanson.pagesperso-orange.fr/Veldhiv-Brassai1.jpg

8. Le 20 février 2012,
Laurent Gloaguen

Autre photo qui confirme mon identification du Vél d’Hiv : “Meeting des locataires. Paris, Vélodrome d’hiver, janvier 1946.”

http://www.parisenimages.fr/Export450/3000/2119-7.jpg

9. Le 20 février 2012,
Laurent Gloaguen

Hmm, vu d’autres photos du Vél d’Hiv, ça date probablement de l’immédiate après-guerre.

10. Le 20 février 2012,
Laurent Gloaguen

Je dirais un meeting de Maurice Thorez pour les législatives de 1945. À confirmer…

11. Le 20 février 2012,
Karl, La Grange

il a fait au moins un discours le 30 novembre 1944 au vélodrome il semble.

12. Le 20 février 2012,
Karl, La Grange
13. Le 20 février 2012,
Laurent Gloaguen

Pour le slogan, ce serait du genre “Contre Franco, c’est assurer la sécurité de la France”.

Blah ? Touitter !