Journal de bord

mardi 2 avril 2013

Justice et journalisme

Si l’on juge de la bonne santé d’une démocratie à sa presse, alors la France est malade. La France est malade de Mediapart, véritable tribunal avec à sa tête Edwy Plenel, petit Robespierre en chef et grand ordonnateur de la dictature de la rumeur et de la tyrannie de la calomnie. Jusqu’ici la seule certitude dont on dispose c’est que l’ancien ministre du Budget est présumé innocent “jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées”.

La justice fonctionne à pas lents, les medias à grande vitesse. Personne ne connaît le fond de l’affaire. Pas encore jugé, Jérôme Cahuzac est déjà condamné aux yeux de l’opinion. Pourtant jusqu’ici, il est seulement passé par le tribunal de Mediapart dont les justiciers, érigés en parangons de vertus, ont pris soin de fouler aux pieds les droits les plus élémentaires de tout citoyen. Mais il n’a pas encore comparu devant la justice française, celle qui est garante de notre égalité devant la loi.

Laissons donc la justice faire son travail, car jusqu’ici, si Mediapart est partout, la justice est nulle part…

Huffington Post, Guillaume Peltier, secrétaire national de l’UMP : “Mediapart partout, justice nulle part !”.

Depuis que pour la première fois Jérôme Cahuzac a été mis en cause par Mediapart, on a voulu nous faire croire que la seule alternative laissée au citoyen éclairé et passionné par la chose publique était de désavouer ce site d’information et de favoriser la justice ou de le soutenir et d’être du mauvais côté de la loi.

Cette thèse simpliste est propagée à cause du cumul de deux ignorances : sur le fonctionnement de l’institution judiciaire et sur la nature du journalisme d’investigation.

Je tiens pour rien, dans ce débat, ceux qui éprouvent une telle hostilité intellectuelle et politique à l’encontre d’Edwy Plenel que tout ce qui pourrait sortir de sa bouche, être écrit par lui ou sous son égide serait frappé de caducité ou de mauvaise foi. Comme si on était obligé d’aimer pour défendre ou pour être convaincu, équitable.

La problématique a été lumineusement illustrée par l’affrontement entre Jean-Michel Aphatie (JMA) et Mediapart, entre deux conceptions du journalisme. Pour le premier, le journaliste n’a pas à “se substituer” aux autorités judiciaires et l’attitude du second est donc critiquable.

Le vocabulaire a son importance et, à la lettre, on ne peut qu’approuver la pétition de principe négative de JMA puisqu’elle présume que la justice est déjà saisie et que le journaliste viendrait s’immiscer dans un processus qui ne le concerne pas ou plus. Ce qui va de soi et n’est pas exclusif de sa mission d’information. En effet, rendre compte du déroulement des procédures judiciaires est non seulement un droit mais un devoir démocratique pour le journaliste.

Mais, en l’occurrence, l’affaire à laquelle le brillant ministre Cahuzac se trouve confronté depuis les premiers jours du mois de décembre ne permet pas d’adopter la position classique et commode de JMA, partagée par beaucoup, notamment sur Twitter, qui reprochent à Mediapart de se prendre pour un justicier.

Ce qui est injuste et absurde.

Personne n’irait mettre en doute la nécessité pour les médias de tenter de débusquer, dans les coins sombres de la société et/ou de l’Etat, les secrets inavouables, les pratiques choquantes ou les comportements honteux. Cette investigation, pour les responsables publics, les ministres, les élus, est d’autant plus souhaitable que sa menace suffit souvent à elle seule pour dissuader tel ou tel de s’abandonner à l’illicite ou au frauduleux.

Quand Mediapart publie les éléments dont il dispose et qui se rapportent à un compte en Suisse qu’aurait ouvert Jérôme Cahuzac à l’UBS et qui, clôturé au début de 2010, aurait été remplacé par un autre compte à Singapour, il ne fait rien d’autre qu’accomplir une mission d’information qui peut être certes préjudiciable au ministre délégué chargé du Budget mais qui est justifiée précisément par la fonction exercée. Inconcevable de ne pas diffuser ce qui a été recueilli, pour une telle personnalité et à un tel poste !

[…] Dans ces conditions d’absolu blocage, comment s’étonner que Mediapart ait écrit, le 27 décembre, au procureur de la République à Paris pour demander la désignation d’un juge indépendant, l’ouverture, en clair, d’une information ? L’anormal est de devoir solliciter ce qu’une administration efficiente et impartiale de la justice aurait dû imposer.

Le scandale de ce dernier mois tient au fait que le 8 janvier 2013 seulement a été ordonnée une enquête pour blanchiment de fraude fiscale. Un mois donc s’est écoulé, empli de rumeurs, de faits, de précisions, de coups de théâtre, de dénégations, d’approximations et de confirmations, sans qu’à aucun moment le parquet de Paris ait éprouvé le besoin d’user de sa liberté toute neuve - il m’a été certifié par différentes sources que le ministère de la Justice ne venait plus troubler le cours des procédures dites “sensibles” ni imposer une autorité politique d’action ou d’abstention procédurale - pour au mieux saisir un juge d’instruction, au pire faire diligenter une enquête. […]

Justice au singulier, Philippe Bilger : “Pour la Justice ou contre Mediapart ?”.