Yann de Kermarec
Pour archives personnelles, une compilation de mes modestes participations à l’Hôtel des blogueurs.
02/07 - Voyage…
Dimanche 03/07
LE HAVRE GARE - 07h54 - Corail 3136,
PARIS ST LAZARE - 09h56.
PARIS ST LAZARE - 10h04 - Corail 3375,
TROUVILLE DEAUVILLE - 11h50.
TROUVILLE DEAUVILLE - 12h15 - TER 52509,
HOULGATE GARE - 12h38.
02/07 - Attente
Au large du Havre.
Nous sommes en attente, en attente du pilote, en attente de notre poste à quai. J’ai appelé le bosco, qu’il fasse armer l’échelle. Nous dérivons doucement. J’imagine que la Compagnie ne sait pas l’usage que je fais de l’Internet à la passerelle. Mais il y a si peu à faire, si ce n’est jeter un regard distrait à l’écran du radar. C’est mon dernier quart à la mer, mon dernier 8-12. Trois mois de navigation, aucun jour de repos. En tout cas, c’est dit, c’est la dernière fois que je fais du tramp. Ma seule ambition, c’est de faire du 5000 EVP sur une bonne ligne, pour le moins.
Le vieux n’est pas encore monté, il doit être encore à boire son cognac avec le chef au carré. Nika tente de rebooter le vieux PC qui nous fait office de radio du bord avec WinAmp, mais je crois que la vielle épave électronique n’a pas supporté notre dernier coup de chien au large du Portugal. En attendant, nous captons clair les radios françaises. J’ai mis France Inter. Le temps d’apprendre que c’était le début du Tour de France et qu’il y avait un “super-jackpot” au Keno.
La côte est ponctuée de lumières, un halo orangée souligne la ville invisible. La barque est silencieuse, machines arrêtées, la mer calme. je peux presque percevoir le clapotis le long de la coque, et tous ces grincements plus ou moins tenus, qui accompagnent le rythme de la houle et qui sont comme la respiration un peu rauque du navire. Parfois, un cri d’oiseau perce les ténèbres du couchant.
Voilà bien le genre de nuit propice aux divagations de l’esprit car il n’y a pas grand-chose pour l’occuper. Morne inactivité et sentiment de solitude. Au loin, ces villes, ces lueurs de vie, ici, cette monotonie, cette langueur qui envahit. Et le sentiment d’être bien seul, tant sur le bateau qu’au monde.
Ici, chacun gère sa solitude affective à sa manière, mais tout le monde la ressent et bien peu l’expriment. L’éloignement de l’être aimé, de la famille, des enfants… Les marques d’amitié seront toujours empreintes d’un ton bourru, comme si l’on avait peur de blesser par une expression trop directe.
À bord, ses problèmes personnels, ceux laissés à terre, on se les garde. “À chacun sa merde” ai-je entendu dire. Il ne faut pas faire de vagues, faire en sorte qu’une bonne vingtaine de personnes puisse vivre ensemble, dans un espace aussi réduit, sans anicroche. On reste discret sur sa vie privée. Il s’instaure ainsi un étrange modus vivendi, qui n’est pas désagréable. Une sorte de savoir-vivre maritime, sans règles écrites, mais naturellement inné. Celui qui dérogerait trop à ces règles serait rapidement mis à l’écart.
Au large, le spectacle de la côte est toujours le même, nous ne semblons pas avoir bougé. Le GPS me le confirme, juste une dérive latérale de 0,5 noeuds. Je demande à Nika de m’apporter un café.
J’aime bien ce gars, bourru, silencieux, ce petit brun trapu venu des montagnes du Péloponèse. Un compagnon de quart idéal.
Je suis là, à la dérive, et dire que demain, je serai dans un hôtel, style pension de famille, sur la côte normande. J’ai hâte. J’ai besoin de me poser, d’oublier, tenter d’oublier, ces atroces événements.
03/07 - Arrivé à bon port
21 h 00. Stoppé, attente pilote devant port.
22 h 47. Lancé moteurs.
22 h 50. Pilote à bord.
23 h 17. 1re amarre à terre.
23 h 20. Accosté babord à quai.
23 h 25. Amarrage terminé. TPLM.
Levé à 4 h 45. Fait mon sac. Pris ma douche. Descendu à la mayence me faire un café et manger une tartine de beurre salé et nutella… Hmmm.
Quitté le bord à 6 h 05. Adieu vieille barque, que le diable t’emporte.
Voyage sans encombre. Arrivée Houlgate gare, 12 h 39. Pris taxi. Arrivée hôtel, 12 h 57.
Pour ceux qui connaissent un peu le coin, l’hôtel est situé (lat. 49° 18’ 23’’ N - lon. 0° 03’ 35’’ W) sur la Butte d’Houlgate, du côté des campings. À 87 m au dessus du niveau de la mer, il surplombe la Falaise des Vaches Noires. Un escalier de fortune (des traverses de chemin de fer enfoncées dans la glaise) permet de se rendre à la plage. Connaissant l’instabilité de ces terrains, leurs glissements fréquents, je doute que ce vieil hôtel termine le siècle… D’ailleurs, la zone est maintenant inconstructible.
Ma chambre, la n° 11 au premier étage, orientée nord-est, donne sur un genre de petite pommeraie et un bâtiment annexe sans étage, avec des chambres de plain pied avec le jardin. J’ai le sentiment qu’on a mis des géraniums dans tous les endroits où il était possible de le faire.
La patronne m’avait l’air faussement enjouée, cachant mal sa fatigue. Et je l’ai trouvée trop curieuse : “Monsieur est militaire ?” (sans doute à cause de ma coupe de cheveux en brosse et mon vieux sac de toile). ” Je fus, Madame, je fus.” Le ton et la nature de ma réponse eurent le mérite d’abréger son indiscrétion.
Elle parut très fière de m’annoncer qu’elle avait fait installer, à grands frais, “l’Internet Satellite Ouifi” dans tout l’hôtel. Par contre, y a pas de télé dans ma chambre… Pourquoi pas, je suis ici pour avoir la paix.
En fait, j’apprendrai plus tard qu’il y deux patronnes à l’hôtel, celle qui m’a accueilli et la cuisinière. Probablement un couple de lesbiennes.
J’ai trouvé un cafard dans la salle de bains. Mais cela ne me dérange pas.
Poussé par la faim, je suis descendu immédiatement après avoir rangé mes affaires. La carte du restaurant est prometteuse. J’ai commandé une blanquette de Saint-Jacques à la Normande, des papillotes de rougets à la sauge, et une demi-bouteille d’Entre-Deux-Mers. Les rougets étaient un peu trop cuits, mais la blanquette de fort bonne facture. Mais, dieu que le service est lent… Enfin, ce sont les vacances, j’ai tout mon temps.
15 h 20. Sieste.
04/07 - Photo oubliée
J’ai trouvé une photo aérienne de Houlgate, abandonnée sur une table de la réception. Je ne sais pas qui l’a faite, mais la personne a mis une croix rouge sur la position de l’hôtel.
04/07 - Tranquillité
Hier, je me suis révéillé vers les 17 h 25, après deux bonnes heures de sieste.
J’ai alors pris une douche rapide, et je suis descendu vers Houlgate, via le chemin du Sémaphore, la rue Jean Vanier et la rue des Degrès, ce qui représente environ 20 minutes de marche (mais c’est plus long au retour étant donné la forte déclivité). La prochaine fois, j’essaierai par l’escalier de la Falaise et la plage, pour voir ce qui est le plus rapide.
Le petit centre ville n’a pas beaucoup changé et j’y ai vite retrouvé tous les repères de mon adolescence.
Je suis remonté à l’hôtel vers les 19 h 30. En manque de lectures, je me suis rendu à la bibliothèque de l’hôtel, un charmant petit bâtiment circulaire (un ancien pigeonnier ?). Mais je n’y ai pas trouvé grand chose à mon goût parmi les rayonnages de policiers, romans à l’eau de rose et fascicules d’historiographie locale.
N’ayant pu sustenter mon esprit, mon ventre me guida au restaurant où je commandais un repas frugal, juste un plateau de fruits de mer, arrosé de Muscadet comme il se doit. La patronne est venue à ma table s’enquérir de ma bonne installation. Je lui répondis que tout était parfait et que j’étais bien heureux d’être dans un établissement aussi calme et reposant. Je n’ai pas trop compris le rictus qu’elle fit en entendant ce compliment sur la bonne tenue de son hôtel… Cette femme est parfois étrange.
Après le repas, je me suis dirigé vers le cossu salon pour y fumer une cigarette sans incommoder les dîneurs. Il y avait là une femme dans la trentaine, frêle et élégante, lisant un magazine féminin dans un confortable fauteuil. Étant seul dans cette pièce en sa compagnie, je pris l’initiative de me présenter et j’appris que le bel oiseau racé s’appelait Diane. J’ai tout de suite décelé dans son regard une fragilité, comme une fêlure à l’âme, et cela m’a beaucoup touché. J’ai également apprécié sa voix douce, calme et posée.
Incidemment, elle me proposa de l’accompagner sur la terrasse pour voir le couchant. Ce que j’acceptai bien volontiers. Après quelque minutes à contempler l’oeuvre de la Nature, Diane frissonna à la faveur d’une risée et me dit qu’elle devait s’assurer du bon coucher de sa nièce. Je la conduisis donc vers le bâtiment annexe où se trouve sa chambre et je pris congé d’elle en lui souhaitant une agréable fin de soirée.
Rentré vers les 22 heures par la porte principale de l’hôtel, je suis tombé sur un réceptioniste noir que je n’avais pas encore vu. Il ne répondit à peine à mon bonsoir guilleret tout en me jetant un regard torve.
Fatigué de cette longue journée, je me suis couché tôt. Enfin une vraie nuit complète depuis plus de trois mois.
Ce matin, je me suis révéillé dès potron-jacquet, vers les 6 h 30. C’est à peu près à cette heure que j’ai aperçu par la fenêtre un genre de Poulidor, équipé comme un pro de la pédale, en combinaison moule-bite aux couleurs fluo. Comme on annonce de la pluie, le garçon est plutôt courageux. Sans compter le vent d’Ouest qui va se lever…
J’ai trouvé une photo abandonnée sur un guéridon de la réception. Heureusement que j’avais mon appareil numérique pour la publier sur mon carnet. On dirait (à voir l’ombre sur la plage), qu’elle fut prise d’un aérostat !
Je dois dire que je n’ai pas fait grand chose aujourd’hui, si ce n’est de retourner à Houlgate pour m’acheter Le Marin et Ouest-France, et, je dois avouer, de passer beaucoup de temps à trainer sur Internet.
Il est déjà l’heure d’aller dîner. Je n’ai pas vu cette journée passer. En espérant peut-être recroiser le doux chemin de Diane.
04/07 - Soirée mi-figue, mi-raisin
La jolie Diane m’a ostensiblement ignoré au restaurant, évitant tous mes regards. Elle avait aussi l’air fatiguée et nerveuse. J’imagine qu’avec son fardeau de nièce, une petite chipie impertinente et mal élevée, ce ne doit pas être toujours facile.
Je suis allé me promener sur le chemin du Sémaphore, la nuit est froide (11° C, vent d’Ouest de 7 à 9 nœuds), mais l’air embaume le troène.
En rentrant à l’hôtel, le noir était là, toujours aussi peu amène à mon égard. J’ai appris qu’il était le veilleur de nuit. Je l’ai intérieurement baptisé “Le nègre du Narcisse”.
Des rires jaillissaient en cascade du bar. Ayant besoin de bonne humeur, je m’y suis dirigé. C’est là que j’ai rencontré la pétulante Amandine, un peu enivrée de rosé bien frais. J’ai commandé un double whisky-glace. Il y a longtemps que je n’avais tant ri…
08/07 - Géologie
Il faut que je me sorte de cette torpeur. Rompre l’isolement. J’ai passé ces derniers jours enfermé dans ma chambre, à lire, et surtout ressasser le passé.
L’hôtel est somme toute assez bruyant, je n’ai peut-être pas fait le bon choix (je me demande en particulier ce que peut bien fabriquer l’occupant du la chambre n° 10, en face de la mienne).
Il faudrait que j’écrive un article sur la Falaise des Vaches noires, merveille géologique entre Houlgate et Villers-sur-mer, falaise argileuse jurassique surmontée d’un épisode du crétacée, expliquer à la patronne que son hôtel est bâti sur de la craie cénomanienne et que c’est pour cette raison que certaines plantations de viennent pas. Il faudrait que j’aille au Chaos d’Auberville, lieu isolé des Vaches noires, où se retrouvent à marée basse naturistes et exhibitionnistes de tout poil, afin de chasser les céphalopodes, bivalves eu autres brachiopodes de l’oxfordien.
La dernière fois, je n’avais trouvé que des Pachyteuthis excentralis, des Lopha gregarea, et quantité de Gryphaea lituola. J’aimerai bien cette fois-ci trouver au moins une belle ammonite.
09/07 - Mondanités
Je n’aime d’ordinairement pas ces raouts de sociabilisation, style Club Med, mais je suis tenu de dire que le traditionnel apéritif du vendredi soir offert par la patronne, cette dernière étant habillée pour l’occasion d’une étrange robe sac de couleur vert Véronèse, ceinturée d’une écharpe de satin cramoisi, ensemble qui me fit un instant penser à un sapin de Noël, cet événement d’habitude donné en terrasse avec vue sur mer, mais aujourd’hui, en raison de la météorologie incertaine, dans la grande véranda protégeant de l’ondée, fut un moment relativement agréable et l’occasion d’examiner la faune disparate et insolite que constitue la clientèle de cet hôtel balnéaire en ce début de mois de juillet plutôt frais pour la saison — oui, il est vrai qu’occasionnellement, j’apprécie les phrases longues, voire très longues, ce doit être l’influence proustienne des lieux, et un signe de révolte inconsciemment adressé à tous ces professeurs de lettres qui, d’une écriture rouge et rageuse, ornaient les marges de mes copies adolescentes d’un récurrent et humiliant “trop long!”.
J’ai donc eu l’occasion d’avoir une conversation courtoise et gaie avec Madame Célestine, ce qui m’a permis d’en apprendre beaucoup sur la plupart des conviés. J’ai cru comprendre qu’elle se pâmait pour un certain Raphaël, vacancier immanquable en raison d’un toucan rieur au grand bec jaune, tantôt perché sur son épaule, tantôt faisant preuve d’indépendance en voletant de-ci de-là. Elle m’a appris que le vélocipédiste était une star déchue du cyclisme, et qu’elle n’était pas très sûre de son orientation sexuelle. Je lui ai demandé si elle savait quelques détails sur Diane, qui m’évite maintenant depuis des jours, et en réponse à ma curiosité, Madame Célestine toussota tout en semblant un peu gênée. Puis, s’approchant de mon oreille : “on dit que c’est une nymphomane alcoolique”. Je fus d’abord ébranlé par le choc de la révélation, mais je ne voulus finalement rien en croire, mettant cette déclaration sur le compte de l’imagination visiblement débordante de la vieille dame. Elle m’a également parlé du photographe américain, jeune homme assez exubérant, voire agaçant, indécollable de son téléphone portable, mais je n’ai pas retenu les détails. Quant à Aïcha, la nièce de Diane, elle ne cessait de courir en tous sens et d’importuner les gens. Il y a vraiment des claques qui se perdent, et je me sens sur le point de m’en charger moi-même à l’occasion.
Je n’ai pu que saluer la charmante Amandine de loin, la bavarde Célestine n’ayant pas l’air décidée de me laisser.
Il semblerait que mon “nègre du Narcisse” ait disparu de la circulation, je ne l’ai pas vu ce soir.
15/07 - Photo volée
Je sors de mon silence sur ce blogue (les vacances, c’est vraiment épuisant à ne rien faire) pour raconter cette étrange aventure qui m’est arrivée hier.
J’ai reçu une photo de moi par e-mail, jusque là, rien de bien étrange. Sauf qu’elle a été prise à mon insu par je ne sais qui, alors que je profitais de la plage du côté des Vaches noires (sans doute mardi ou mercredi dernier). J’ai bien tenté de répondre au mail, mais l’adresse de l’expéditeur (devineki@hotmail.com) est fausse. Et comment cette personne peut connaître mon adresse Internet ? Je ne connais personne à Houlgate et j’ai du mal à imaginer les trois seuls clients de l’hôtel que je connaisse un peu (Amandine, Célestine, Diane) se livrer à ce genre de mauvaise blague.
C’est à rien n’y comprendre, et maintenant, je porte un regard suspicieux sur tous les gens que je croise. Déjà que dans ce fichu hôtel, tout le monde a des airs de conspirateur ou d’échappé de prison…
16/07 - Embarras & embrasement
Mon Dieu, mes vacances avaient jusqu’alors tenu leurs promesses de tranquillité et de repos, mais il semblerait que la Saint-Donald soit aussi un peu ma fête, puisque mes souvenirs n’ont pas enregistré de journée à la fois aussi pénible, inquiétante et riche en événements déconcertants.
Je vous ai déjà parlé de cette photo volée, prise alors que je me prélassais assis sur la plage, nu sous le soleil exactement, la vague venant battre mon entre-jambes, provoquant un ressac rafraîchissant des plus agréables, et que le vent (force 2 à 3, O-NO) caressait mes épaules humides (j’aime ces moments de communion solitaire avec la Nature)…
Photographie qu’un mystérieux pervers m’a envoyée par courrier électronique et qui vient de faire basculer ma vie dans une sorte de “twilight zone”. C’est ainsi que j’ai passé la journée à Houlgate, obsédé par l’identité du voyeur, le soupçon au ventre, inquiet de tout regard trop appuyé sur ma personne. Quelles sont ses motivations ? Pourquoi moi ? Comment connait-il mon identité ? Je n’arrivais à me dépêtrer de ces angoissants questionnements pour l’instant sans réponse. Mais je ne savais pas encore qu’il y avait pire à venir.
Après une brève baignade de fin de journée, dans mon coin tranquille habituel, je suis remonté à l’hôtel, et je venais de prendre une douche pour me dessaler quand j’entendis toquer à la porte, d’abord discrètement, puis une seconde fois plus impérieuse. Interloqué, n’attendant pas de visite, je pensai sur le moment qu’il s’agissait probablement d’une erreur et je me saisi d’une serviette pour m’en ceinturer la taille avant d’aller ouvrir.
Je reconnu immédiatement l’un des clients de l’hôtel, un jeune blondinet aux yeux verts. “Bonjour, puis-je vous parler ? J’ai des choses importantes à vous dire”. Alors que je reculai d’un pas pour l’inviter à entrer dans la chambre, le pénible et très embarrassant dysfonctionnement de costume se produisit, ma serviette chut d’un coup me révélant nu comme un vers devant l’inconnu qui esquissa un petit mouvement de surprise. Je laissai échapper un juron, sentis le rouge me monter au visage, et, ramassant ma serviette, je le priai de m’excuser un instant tout en me dirigeant vers la salle de bains où j’avais laissé mon pantalon. Je revins dans une tenue un peu plus décente, m’excusai à nouveau, le jeune homme me dit avec un étrange sourire “Oh, ce n’est rien…” et il m’apprit la plus effarante des nouvelles. La fameuse photo était à disposition de toute la clientèle de l’hôtel sur l’ordinateur en libre-service à la bibliothèque. J’accusai le choc et je me dis “Le salaud de bâtard qui m’a fait ça, si je l’attrape”, pensée imprégnée de colère immédiatement remplacée par une plus inquiétante “Ça y est, avec le coup de la serviette, le mec va être persuadé que je suis un exhibitionniste et va colporter ça dans tout l’hôtel”. Le messager prit alors congé, tout en me demandant “À l’occasion, vous m’indiquerez le coin où vous allez vous baigner, ça a l’air bien”.
Je finis de m’habiller et je me ruais littéralement vers la bibliothèque pour effacer le fichier du délit, tout en priant qu’il y ait eu peu de gens pour tomber dessus, tout en me disant que, finalement, la photo n’était pas si mal, montrant bien le dessin de mes épaules et illustrant les nombreux développés assis avec haltères que j’ai eu l’occasion de faire au long de mon dernier voyage. Après avoir fait le ménage de l’ordinateur, je poussai un soupir de soulagement et désormais, une conviction s’installait : “C’est un client de l’hôtel, et je vais trouver qui”.
Mais ma journée n’en était pas finie pour autant… Ce midi, non loin de ma table au restaurant, déjeunaient Madame Rossignol et une femme, comment dire, pulpeuse ? Et ce qui était étrange, c’est que son visage ne m’était pas étranger, mais je n’arrivais pas à resituer dans quel contexte. Hôtesse de l’air ? Présentatrice météo ? Agaçant… Quand, soudain, une idée folle me traversa l’esprit, on dirait l’héroïne de “Tempête sur mon cul” (ou un titre approchant) qui était le film culte qu’on se passait et repassait à l’École de la Marine Marchande. Je mis sur le compte de mon abstinence depuis maintenant plus de trois mois ce délire de mon esprit et conclus que, finalement, je ne connaissais sans doute pas cette créature.
Revenant de la bibliothèque vers les 19 heures, je croisais la sus-dite femme à la réception. Elle m’adressa un grand sourire qui me fit froid dans le dos. Sûr, elle avait vu la photo, ce ne pouvait être autre chose. Le “Vous êtes la vedette du jour” qu’elle prononça acheva mes maigres doutes sur la question. J’aurais eu envie de me cacher dans un trou de souris quand elle ajouta “Je suis Charlène et je déteste manger seule”. Je sentis la sueur perler sur mon front. “J’aimerai bien vous connaître au delà de la photographie… Voulez-vous m’accompagner au restaurant ?” Fait comme un rat, mon cerveau vide, mon regard se perdant dans son décolleté, je balbutiai “Si je puis vous être utile”. Mais pourquoi faut-il que je sois si timide avec les femmes, surtout celles qui alimentent mon imaginaire le plus débridé ?
Je ne sais plus trop précisément ce qui s’est passé lors de ce dîner tant j’étais sous le coup de mes émotions, si ce n’est l’épisode de la douzaine d’huîtres qui fut le plus perturbant. Charlène a une manière, heu, pour le moins troublante de gober ces mollusques et je restais hypnotisé sur ses lèvres mouillés. Je crois qu’elle m’a achevé en me déclarant “Saviez-vous que les huîtres sont un puissant aphrodisiaque ? En tout cas, surtout pour moi.” Ce qui déclencha en moi une réaction tout à fait inopinée que je masquai immédiatement de ma serviette (ce pantalon de lin trop léger, sans sous-vêtements, c’était vraiment une très mauvaise idée, même s’il fait très chaud).
J’ai dû faire bien pale figure et faire rire de moi. Et je n’osais jeter un regard sur le reste de la salle tant j’étais persuadé que tout le monde me dévisageait à cause de la fameuse photo.
Prétextant la fatigue et des coups de fil à passer, je pris congé après le dessert (oui, je sais, je suis un peu couillon par moment) et je rentrai à ma chambre, un peu chaviré. Je me suis déshabillé, allongé sur le lit, et je me mis à soulager un membre devenu quasi douloureux à forces de tensions répétées au cours de cette soirée et la libération, dans un râle étouffé, fut d’une puissance inaccoutumée. Merde, le papier peint…
17/07 - Offrandes matrimoniales
Hier, Charlène m’a gentiment invité à l’aider à déballer les cadeaux de son mariage raté (elle a fui au dernier moment, si j’ai bien compris). “J’ai besoin de votre aide, je ne pourrais pas le faire toute seule, c’est encore si vif et sensible, vous comprenez…”. Chevalier servant dans l’âme, je ne pouvais me défausser de cette amicale réquisition.
Je dois dire que je fus assez stupéfait. Je m’attendais aux habituels cristaux de Baccarat, porcelaines de Limoges, ménagères complètes, nappes brodées, cafetières, etc. mais les amis de Charlène sont assez surprenants : cocotte-minute, lingerie fine, déguisements baroques, et accessoires à usage intime ! Limite mauvais goût.
Elle semblait toute fois assez émue lors de ce déballage et je me suis contenté d’assurer une présence amicale et virile pour l’aider dans cette épreuve. Cette fille est, je dois dire, assez touchante.
Sinon, je n’ai toujours aucun indice sur l’origine de la photo et de sa diffusion. Heureusement, personne ne m’en a reparlé. Peu de gens ont dû la voir (David, Charlène), ce qui me soulage. Je cherche, je cherche et je trouverai.
18/07 - Songe d’une journée d’été
Au marché de Dives, la charmante Charlène a acheté une bourriche d’huîtres, ces bivalves dont elle raffole, comme j’ai pu l’observer, quelque peu interdit, lors de notre dîner au restaurant. Elle m’a gentiment invité à venir les déguster en sa compagnie dans sa chambre : “Vous m’aiderez à les ouvrir, et pensez à apporter une bouteille de vin frais et un couteau”. Ah, ah, la jolie demoiselle ne doit pas savoir qu’un marin sort toujours avec sa bite et son couteau, comme dit le vieux proverbe…
À l’heure dite, je frappais à sa porte. Elle m’ouvrit en m’offrant le spectacle de son corps parfait vêtu d’une nuisette transparente. Je me doutais un peu que c’était un guet-apens, j’en avais sous les yeux la gracieuse confirmation et je fis le choix de me laisser faire.
Je suis tenu de dire que nous oubliâmes assez rapidement la gastronomie du littoral, après seulement deux ou trois huîtres, pour nous consacrer à d’autres tendres plaisirs de la chair. Mais je n’étais pas prêt à une telle orgie sensuelle… Si nous commençâmes par quelques classiques préliminaires, la suite fut au-delà de toutes mes espérances. Nous passâmes même par des positions inimaginables, mais, il est vrai que je ne dispose que d’une expérience assez limitée dans ce domaine. Après au moins une heure de chevauchées fantastiques et de jeux coquins, nous fîmes une pose consacrée à la dégustation d’huitres. Nous bûmes le vin qui n’était plus très frais.
Charlène se couvrit pudiquement l’épaule et l’entre-jambes du varech de la bourriche. C’était désormais à mes yeux ma Vénus de Boticelli. Je vins fouir de mon visage la masse végétale et marine, y respirer les effluves de crustacés et de rivages mêlés, humant la moindre brûlante exhalaison du coquillage caché, m’enivrant de ces parfums hypnotiques et sucrés.
Puis, Charlène s’est absentée pour aller à la salle-de-bains. Elle revint peu après alors que j’étais couché sur le ventre, elle m’a dit d’une voix ferme “Ne bouge plus”. Elle est venue s’asseoir à califourchon sur mon dos, s’est penchée pour fouiller dans le tiroir de la table de nuit. Après quelques instants d’attente, quelle ne fut pas ma stupeur d’éprouver une sensation glacée, l’application d’une substance dans un endroit des plus intimes que la décence m’interdit de citer ici, aussitôt suivi d’un doigt prospecteur. Il y eu un court moment en suspens, puis, je sentis la chose : toute constriction fut vaine, toute résistance de mon corps impossible, elle entra en moi, céda le barrage de ma virginité. Je poussais un gémissement d’extase mêlée de surprise. Je m’abandonnais tandis que Charlène commençait un doux mouvement de va-et-vient. J’étais sa chose, elle me dominait, on pourrait même dire qu’elle me baisait. Jamais je n’aurais pu imaginer d’être ainsi fourragé, et encore moins que j’aimerais cela. “Tu aimes ça, mon amour”. Je ne pus que soupirer d’assentiment. J’avais rendu les armes de ma bastille, baissé les canons de ma pudeur virile, et cette défaite sonnait comme une victoire. Je geignais de plaisir à chaque coup de boutoir. Après de longues minutes d’extase, elle a retiré l’instrument de la passion, et je me suis retourné. Charlène m’adressa un sourire de complicité. J’étais heureux.
Et c’est là que tu as sorti un accessoire dont j’ignorais jusqu’à l’existence, un genre de queue comme celle des coiffes de gardes républicains. Tu me susurras “pony time”. Sans avoir le temps de réagir, le mystérieux objet fut mis en place de ta main précise et douce. Et là, oubliant toute inhibition, je fus ton poney, vigoureux et docile à la fois. Je gambadais gaiement, faisais la cabriole, obéissant à la moindre de tes injonctions… J’étais maintenant ta monture, ta bête, ton animal. Et j’aimais ça. Je venais te flatter de mon museau humide et cela te faisait rire. Tu as claqué ma croupe et j’ai murmuré “encore”.
Fatiguée du jeu, elle m’ôta le “pony tail” d’un coup vif et cria : “Maintenant, à ton tour, mon beau marin, aime-moi, aime-moi fort, aime-moi bien”. Puis, d’un fortissimo d’une puissance inattendue : “As-tu entendu ? Baise moi, baise moi !” J’aurai dû penser à fermer la fenêtre tant ce hurlement de désir allât se perdre dans le moindre feuillage du verger et qu’on dû l’entendre jusqu’à la plage… Elle se tourna, se pencha en position d’attente, m’offrant l’invitation impérieuse de son séant callipyge d’odalisque triomphante.
Je m’exécutai, puisant dans mes dernières ressources. Son corps fut rapidement pris de vibrations irrépressibles et violentes qui, à l’unisson, m’électrisèrent. Dans un violent orage de spasmes, de secousses communes, je joins mes cris aux siens, un voile noir tomba devant mes yeux, constellé d’étoiles vacillantes, et foudroyé un instant, comme traversé d’une lance, je m’écroulais en l’enlaçant dans un dernier râle…
Elle haletait comme la proie essoufflée qui vient de se rendre à son prédateur, et dans un soupir me dit : “c’était bon mon marin, j’en avais besoin”. Elle ne savait pas combien moi aussi…
Nous restâmes un long moment à reprendre notre souffle. Il n’y avait pas besoin d’aller courir le pré, le bonheur était là, palpable, chaque atome d’air épais et moite portant sa pleine charge positive de plénitude. J’étais repus, épuisé, comblé, vidé, grisé, rétamé, ravagé, consumé, le sourire au lèvres. Illuminé, proche du nirvana après cette tempête qui avait chaviré mon frêle esquif moral et révélé la toute puissance d’une force jusqu’alors inconnue en moi, je mesurais l’ampleur de cette délivrance profonde qui ébranlait la moindre fibre de mes certitudes à jamais emportées. Au sortir de ce jour, je ne serai plus jamais le même homme… et j’ai surtout appris que certaines voies réputées impénétrables sont au contraire la porte qui peut s’ouvrir sur des terres inconnues dignes de Vasco et de l’Eldorado.
J’écris cette confession alors que l’on entend au loin le clocher, c’est l’heure de la messe… Après cette révélation, je sais que ma vie sera désormais tout autre. Bienheureux l’explorateur qui va à la rencontre des limites extrêmes de ce monde. Marin, j’étais, aventurier, je devins.
Fanny, femme de chambre
Il est bien malheureux que cette nuit inoubliable (surtout pour celle qui dut nettoyer la chambre le lendemain) vous ait coupé le sifflet.
Hélas, après ce dernier message, nous n’entendîmes plus jamais parler de Monsieur de Kermarec.
Que devint-il ? Quitta-t-il Houlgate ? Finit-il étouffé par des algues proliférantes ? S’assomma-t-il avec son ancre ?
Nous éclairerez-vous ?
Tristan
Excellent. Vraiment excellent. Je n’ai suivi l’Hotel des blogueurs que de très loin, mais je réalise que c’est un vrai happening littéraire (si vous me pardonnez l’expression). Kozlika et sa bande on fait là des merveilles, et c’est un plaisir de lire la prose de Laurent dans un mode plus littéraire que quand il joue aux G.O. de la blogogeoisie ;-)
Candid
Mouuais…., il y eut Guy des G(C)ar(e)s, il y aura donc Laurent du Por(c)t. Les deux écrivaient sans fautes d’orthographe …, ce mérite doit leur être reconnu.
rhagnagna
Je n’ai lu que jusqu’au 08/07 mais il me semble Candid que vous devriez decerner vos mérites avec plus de parcimonie. “vielle épave” (ligne11) “un halo orangée” (ligne15) “qu’il y deux patronnes ” “commandais”(au passé simple plutôt) “J’aimerai bien cette fois-ci” (rhoo,s’agit-il réellement de futur ?) Cependant je reconnais la qualité de l’ecriture, que j’avais préalablement ressentie dans les articles.
trouducullacouenne
a croquer se beaux monsieur
Blah ?