“Miscellanées”

etude du blogue

Blogs à part

Pour référence, un bon article d’introduction au blogue par Serge Courrier, publié par l’hebdomadaire Télérama, en mars 2002.

Blogs à part

Quelque chose à dire ? Créez votre blog ! Ces sites nés en quelques clics pullulent sur le Net. Et prennent les formes les plus variées, du journal intime au média alternatif.

Des internautes qui partagent leur façon de voir le monde avec une armada de lecteurs actifs, des journalistes qui libèrent leur plume, des passionnés qui lancent leurs propres journaux alternatifs et interactifs… Apparemment tous différents, ils ont un point commun : ils créent des “blogs”, sites Web dont le contenu est mis à jour très facilement, gérés par un outil technique qui n’a rien de révolutionnaire, mais qui est entré en résonance avec des besoins d’expression - et de lecture - restés en partie insatisfaits. A tel point que le blog commence à devenir un phénomène social.

Pas besoin d’être un as de la programmation pour publier une info et la voir s’afficher immédiatement sur son blog. On saisit son texte dans une zone ad hoc, on clique sur un bouton “publier”, et l’article apparaît sur le site, avec le nom de son auteur, le jour et l’heure de sa rédaction. Les textes se positionnent automatiquement, le plus récent se cale en haut de la page, les plus anciens sont relégués dans les archives tout en restant accessibles. Et pour ne pas laisser le visiteur inactif, les blogs lui permettent souvent de commenter les articles, histoire de critiquer ou de compléter les informations.

Pour les puristes, les “vrais” blogs, encore appelés “weblogs”, ne sont l’oeuvre que d’une seule personne. Le maître des lieux relate au quotidien ses impressions, ses sentiments voire ses faits et gestes, mais publie surtout des informations glanées sur le Web, prémâchées par ses soins et qui font écho à sa vision du monde, à ses centres d’intérêt ou à son expertise. “Le contenu de mon site répond autant à un besoin d’expression très personnel qu’à un intérêt pour les technologies, la littérature et le journalisme, résume Karl Dubost, chercheur en informatique, responsable de La Grange. C’est un peu exhibitionniste, mais il témoigne surtout d’un réel plaisir d’écrire, d’être lu et de partager des informations utiles avec mes lecteurs.” La Grange bruit d’extraits de romans, de fragments de poèmes, de l’actualité du domaine de recherche de Karl Dubost, de ses carnets de voyage, de son calendrier, de ses rencontres d’un jour et de ses états d’âme.

Stéphanie Booth, étudiante en histoire des religions, qui a lancé Climb to the stars en 1999, explique que “ce n’est pas vraiment un journal intime. En fait, j’ai toujours aimé écrire. Là, je publie des informations qui me concernent mais qui, j’en suis sûre, intéressent d’autres gens”. Pour tous, le fait d’avoir des lecteurs, qu’importe leur nombre, est extrêmement gratifiant. “Il y a cent à cent cinquante personnes qui visitent mon site tous les jours, s’enorgueillit Stéphanie. Ils réagissent à mes textes, me donnent des conseils, des informations complémentaires, etc.”

Cet aspect communautaire est un élément clé des blogs. Communautés “dirigées”, unissant un auteur à ses lecteurs, mais aussi communautés horizontales, entre auteurs. Chaque “weblogueur” affiche sur sa page d’accueil la liste de ses blogs préférés et converse régulièrement avec leurs responsables. Sites et lecteurs forment ainsi des chapelets de réseaux sociaux, où les liens sont parfois solides, mais plus souvent éphémères.

La communauté se rassemble sur une personnalité et sur un contenu, mais ne garantit en rien la qualité du site. “La plupart des weblogs sont remplis de banalités écrites par des adolescents ou des adultes qui donnent des détails sans intérêt sur leur vie quotidienne, expliquait récemment le psychologue américain John Grohol. Mais parmi eux, on trouve des trésors qui reposent sur la forte personnalité de leur auteur. Ils ne cherchent pas à être adulés ou à attirer l’attention d’autres gens sur eux-mêmes. Cela vient naturellement grâce à la puissance de leur travail, l’originalité de leurs histoires et la force de leurs mots.”

Pas étonnant alors que des professionnels de l’écrit se laissent prendre au jeu. Journaliste française travaillant à Los Angeles pour Libération, Télérama, France Info ou encore BFM, Emmanuelle Richard anime son blog depuis octobre 2000 sans verser dans le nombrilisme. Ici, comme pour de nombreux weblogs, il s’agit principalement de “filtrer” l’information, d’effectuer une sélection très personnelle de l’actualité glanée sur le Web en s’autorisant parfois à dire “je”, ce qui est rare chez un journaliste. “Ce blog me permet d’abord de faire partie d’une communauté d’internautes actifs qui pour certains deviennent des amis, explique Emmanuelle Richard. Ensuite, les textes que j’écris là restent sous mon contrôle. S’il y a une erreur, je la corrige, contrairement à ce qui se passe quand j’envoie un sujet au loin, en France. Enfin, je me dis que les informations ainsi publiées peuvent toujours servir à d’autres gens qui n’ont pas le temps de butiner toute la journée. Moi, c’est mon boulot !”

D’autres journalistes comme Florent Latrive ou Laurent Mauriac, tous deux de Libération, ont développé leurs propres blogs en les transformant en véritables magazines en ligne. Ici, les articles sont longs et les contributeurs multiples. Ici, le ton est libre et la ligne éditoriale très personnelle. Ici, il n’y a pas de rédacteur en chef et pas d’articles qui passent à la trappe. Même impression de liberté pour le journaliste Marc Laimé, à qui l’on doit des articles fleuves, très documentés et mordants, diffusés par le site d’information alternative Uzine. Des articles qui sont néanmoins scrupuleusement relus et discutés par un comité de lecture.

Mais c’est en dehors des milieux journalistiques que se créent le plus de sources d’information “alternative” animées par des collectifs de contributeurs non professionnels. Les plus revendicatifs reprennent à leur compte une phrase que Jello Biafra, chanteur du groupe Dead Kennedys, a hurlée lors d’une manifestation antimondialisation à Seattle en 1999 : “Ne haïssez pas les médias, devenez les médias !” Samizdat est de ceux-là, qui publie une actualité “A bout portant”. Même démarche activiste pour LSIJolie, qui se bat en France contre toutes les atteintes à la vie privée, ou pour le réseau Indymedia, qui se développe sur toute la planète pour servir de contre-pouvoir à la mondialisation. Ici, le blog devient un support permettant de publier facilement ses idées. De nombreux autres collectifs, plus modérés, plus thématiques, produisent de l’actualité. Le site américain Slashdot, très respecté dans le monde des nouvelles technologies, en est un exemple frappant. Tous hyperactifs, une épée de Damoclès les menace pourtant : l’épuisement. L’épuisement humain, qui a poussé nombre de blogs à s’arrêter.

Les weblogs sont-ils pour autant des médias ? Concurrencent-ils les sources traditionnelles ? Les infos qu’ils diffusent sont-elles crédibles ? Une brochette de journalistes américains, eux-mêmes weblogueurs, ont abordé récemment ces questions dans les colonnes de l’Online Journalism Review. Glenn Fleishman, qui collabore notamment au New York Times, remarquait qu’”une des choses les plus intéressantes au sujet des blogs, c’est le nombre de fois où ils m’ont fait changer d’avis sur des sujets que je traitais”. Paul Andrews, ancien chroniqueur du Seattle Times, affirmait quant à lui que “le Web donne aujourd’hui voix à un grand nombre de points de vue alternatifs. […] J’ai toujours pensé que le rôle d’un journaliste était de s’assurer que la voix des gens puisse être relayée”. Doc Searls, rédacteur en chef adjoint du Linux Journal, allait encore plus loin en affirmant : “Il s’agit d’une logique du “ET” et non pas du “OU”. Les weblogs deviendront de plus en plus une source d’information que les médias traditionnels devront prendre en compte.”

Serge Courrier - Télérama n° 2721 - 5 mars 2002.