Mon ami
Marc Delcher
9 mai 1957 - 17 décembre 1994
Marc était mon compagnon de vie. Il est mort à la maison, dans mes bras aimants, au milieu de la soirée du 17 décembre 1994, à l’âge de trente-sept ans, suite à un sida.
Marc était mon compagnon, mon ami, la personne la plus importante qu’il me fut jamais donné de rencontrer. Il est mort d’une méchante et longue maladie, entouré de mon affection et de mes soins aimants. Il a laissé un vide dramatique dans ma vie, un vide aussi grand que je m’y perds encore. Il m’a appris l’amour. J’aurais souhaité faire ici son éloge, mais il n’était pas du genre à se laisser circonscrire, tant il était riche, et les mots me fuient devant cet exercice vertigineux.
Météore merveilleux, il était de ceux qui ne peuvent laisser indifférent, de ceux dont la rencontre vous transforme irrémédiablement. Oui, il vous offrait le monde en partage, quitte à vous en écorcher. Et il avait ce don magnifique de se faire aimer et de savoir ce qu’aimer veut dire.
Ces pages ne sont pas un cénotaphe, ce sont des mots vivants qui vous sont ici livrés. Des mots chargés de douleur. Parce que je souffre et n’arrive toujours pas à me remettre de la perte de l’être aimé. Des mots chargés de douceur aussi, de cette chaleur que me procure le souvenir de tendres moments.
Marc était poète. La poésie était indissociable de sa vie, même quotidienne. Et cela participait à son charme ineffable. Il avait pour référence Victor Segalen, et aussi : Stevenson, Giono, Saint-Exupéry. Sur son dernier chemin, il lisait René Leys et toute l’œuvre de Segalen, Le serpent d’étoiles de Giono, Le reflux de Stevenson et Billy Budd, marin de Melville, que je lui avais offert au moment de notre rencontre comme étant mon livre préféré.
Alors que le présent s’est fait passé et la présence absence, il me reste ses poèmes et des souvenirs tendres. Car Marc écrivait beaucoup, il avait la passion des mots, et nous l’avons partagée. Regardez chaque mot, il témoigne. Il n’est pas qu’empreinte d’une main en voyage. (…) Celui qui écrit est là ; tout entier car il a fait acte d’amour profond, pour avoir reconnu un monde offert, pour l’avoir accepté comme sien, pour avoir voulu l’offrir à son tour en partage, disait-il.
Pour reprendre les mots de Marc, il a vécu sa longue maladie, la mort qui approche, comme un événement parmi d’autres, sans fuite ni mensonge. Peut-être a-t-elle juste ajouté une certaine intensité à sa vie, une certaine intransigeance face aux hypocrisies et faux-semblants qui font notre ordinaire.
Il est mort vers minuit, à son domicile, dans la nuit du 17 au 18 décembre 1994, à l’âge de trente-sept ans, épuisé par le malin virus, entouré de l’amour des siens, laissant des cœurs tragiquement orphelins.
Ses cendres furent remises à la mer, à la Pointe du Talut, au large de Groix.
Dans le soleil de l’hiver, il s’est effacé en paillettes d’or dans l’eau verte de l’océan.
Telles grains de mica brillant, elles figureront le silence.
Il me reste ses écrits. Et il ne fallait pas garder ce legs, ne pas confiner dans quelque tiroir la parole au silence de feuillets déjà jaunissants. Dépositaire de circonstance, il me fallait partager ce bien sans prix, fait de mots frémissants de l’être cher. Car les mots ne peuvent être retenus qu’au risque de les détruire. C’est dans le froid décembre lorientais, parmi ceux que Marc avait marqués en leurs cœurs de son empreinte indélébile, que le devoir impérieux de partager s’est fait sentir. J’ai voulu vous livrer ces fragments comme une modeste contribution au tendre édifice de la mémoire, comme un cadeau à ceux qui ont croisé, ne serait-ce qu’un instant, cet inoubliable regard.
“Fragment : 2. Fig. Partie d’une œuvre dont l’essentiel a été perdu ou n’a pas été composé.”
Paul Robert, Le Petit Robert.
Vous trouverez sur ce site l’intégralité du livre publié en 1995. Il vous est également possible de le télécharger au format PDF.
L’un des dernier poèmes de Marc m’est tout particulièrement dédié, alors, à mon tour de vous l’offrir en partage :
LA GÎTE
À la voix que tu donnes
Détendue, un peu lasse
Toute en creux qui m’apaisent
Et m’installent à ton bord,
J’entame le voyage,
Car les voiles ont claqué
De ce vent régulier
Frisant l’eau qui se fend
D’une étrave inclinée,
Un filet d’écume fine,
Et mon cœur à la gîte
Répond à l’oiseau
Que la terre précieuse
Est un désir par l’horizon,
Un murmure à la face du ciel.
3 décembre 1993.
Marc et sa maman, plage de Cotonou, 1960.
Adieu, mon p’tit lou.
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obni
Rarement vu une présentation aussi agréable pour le lecteur. Vraiment superbe.
TDD
Tu as magnifiquement su rendre, au travers de la mise en page, la chaleur paisible et le sentiment de paix qu’il t’apportait, et que manifestement son souvenir t’apporte encore, même s’il est accompagné par l’amertume d’une absence dont il est long et difficile de guérir.
Bravo.
Samantdi
Une évocation pleine de respect et d’amour qui donne envie de le connaître, par ses textes et les traces qu’il a laissées.
Pardon Laurent, jusqu’alors, en vous lisant, je vous prenais pour une brillante tête-à-claques, ce texte m’apporte un nouvel éclairage sur vous.
Jean Pierre
Bonjour Laurent,
C’est avec beaucoup de bonheur et d’émotion que j’ai parcouru ces pages sur Marc. Elles sont magnifiques. Marc était un ami commun et tu te souviens peut-être que vous étiez venus tous les 2 à la maison un week end de janvier 94. Je me souviens également avec tristesse de sa disparition. Je relis souvent le livre “Fragments” que tu nous avais envoyé plus tard et j’y retrouve une lettre que Marc nous avait écrite l’été précédent. J’en conserve l’original précieusement.
J’espère avoir le plaisir de te lire.
Amitiés - Jean Pierre et Gilles
veronique
J’ai longtemps hésité, quel droit aurais-je? Alors je me lance, j’ai un ordinateur depuis 2 mois et sachant par mon fils Arnaud, filleul et neveu de Marc, que je pourrais le retrouver sur Embruns, j’y vais quasiment tous les jours, presque subrepticement, le cherchant partout à travers toi. Ton billet de jeudi (16 mai 2005) “insomnie” ne pouvait évidemment que m’émouvoir et me troubler. Bien sur que Marc serait furieux de te voir te morfondre, perdre ta vie alors qu’elle lui était si précieuse et qu’elle lui a été retirée trop tôt. Bien sur aussi, je comprends ta souffrance, Marc a laisse son empreinte si profondément en nous qu’il n’est pas possible de ne pas ressentir un vide cruel. Je revois les rires du petit Marc, sa douceur, son sourire, il donnait sans compter et savait écouter et partager. Alors que faire, repousse ta tendance à l’apitoiement, reconnais que tu as connu grâce à lui un amour exceptionnel, essait de te montrer à la hauteur, ce Laurent-là lui aurait fait horreur, et pense au lapin et pas à toi. Aime-toi, Aime-moi, Aime-enfin. c’est assez explicite, non? Moi, je prends Fragments, le livre, je lis et relis et cela m’apaise. Je pars marcher sur les chemins côtiers, j’habite le Pouldu, en face de la mer avec le phare de Groix dans l’alignement et marc m’accompagne, ça lui aurait tellement plu de marcher entre ciel et mer, comme au-delà du monde, on croirait presque voler. Désolée si j’ai été brutale. peut-être à une autre fois. Amicalement. Véronique
margaux
j’ai lu et relu fragments un centaine de fois. j’ai bientot 15 ans. marc était mon… grand-oncle. oui ca doit etre ca… je ne l’ai pas vmt “connu”. mais j’ai l’impression de connaitre un bout de lui qd je le lis encore et encore.
fontaine-frankel
J’ai perdu l’amour de ma vie en juillet dernier, après 7 années de passion fusionnelle. David est graphiste-illustrateur. Je comprends votre souffrance.
Je te t’adresse que ce qu’il m’est possible de t’offrir à l’instant: mes ondes positives et une pensée pleine d’amitié en guise de grain de réconfort.
Lady Lace
J ai rarement lu des textes aussi beaux,aussi émouvants,ou l on sent toute la detresse de la perte de l etre aimé,avec beaucoup de pudeur,de retenu.. Pour avoir été bénévole dans une association de lutte contre le Sida (à une epoque ou meme dans le personnel hospitalier il y avait beaucoup de betises,de mechancetés)….Je sais à quel point on se sent demuni face à cette maladie…Et à quel point les malades ont besoin de l amour de leur proches ..Vous avez su lui donner de l amour jusqu au bout,etre uni avec lui,totalement… C est tellement beau et fort. Je ne sais que vous dire ,je decouvre vos blogs à l instant,et je suis bouleversée de vous lire. Quelle dignité,aussi,quand d autres se repandent en lamentations.. Je vous envoi mes pensées amicales et affectueuses.
nathalie
ton temoignage m a emu ! c est magnifique et cela donne tellement d espoir de constater que votre amour etait sincere et l est toujours puisque votre lien est indestrucible ! je te souhaite de vivre d autre(s) amour(s) avec l approbation de laurent qui doit certainement desire te voir heureux ! bonne continuaion a toi !
veronique
“C’est dans le froid janvier lorientais, au milieu de ceux qu’Arnaud” aimait … qu’il a trouvé le repos sous une froide pierre tombale.
C’était le filleul de Marc, il avait seulement 31 ans, la vie lui semblait insupportable et il a préféré la quitter.
Pensez à lui vous qui l’avez connu ou peut-être seulement croisé et gardez-le vivant.
Il était chaleureux et à l’écoute des autres, un fils aimant, nous nous adorions et désormais j’ai tout perdu. Maintenant
“je parle à tout ce qu’il a touché
effleuré
aimé.
Je lui parle
à lui
l’enfant dans l’invisible
l’inaccessible
mais hors du silence”
Claude Couderc
unouveaucompte
très fort et émouvant!
Blah ?