“Miscellanées”

notes du carnet

Les adieux au Navire

Je dois avouer que j’ai pleuré juste après avoir publié mon dernier billet sur le Navire, mais il me fallait tourner cette page de façon définitive. Le besoin avait commencé à sourdre depuis un ou deux mois, la décision mûrissait, puis il a fallu trancher d’un coup sec.

Cependant, cela faisait un peu mal, je m’y été attaché. Près d’une année à son bord, souvent faite de joies et d’émotions, qui effacent les moments plus pénibles. Et déjà plein de souvenirs et de rencontres…

Le navire m’a donné beaucoup de plaisir et d’émotions. J’ai cinglé grâce à lui vers des terres inconnues où j’ai fait rencontres et partage. Mais j’ai le sentiment qu’aujourd’hui, il ne me mènera plus qu’en terre connue.

Le navire dans sa forme actuelle ne correspond plus à ma personne. Alors, je serre et rabante les voiles et mène la vielle coque sur sa vasière pour son dernier voyage.

Navire.net n’est plus.

C’est ainsi que capitaine Bonhomme, droit dans ses bottes, est resté sur le pont et a sombré avec son bateau dans les froids flots.

Le Navire ne convenait plus à ma personne, il bridait mon expression dans sa forme et par son public. Je ne me reconnaissais plus dans l’image de moi-même qu’il me tendait dans son miroir. Le Navire n’avait pas pris un bon cap à mes yeux.

Inhibant par son public, car il ne m’était plus possible de m’y exprimer intimement et sincèrement sans m’y faire insulter par une racaille sans scrupules. En effet, j’avais joué avec le feu, mais je n’avais plus le courage d’assumer les usantes retombées sur le long terme. Je voulais sortir des polémiques stériles et des combats de coqs sans vainqueurs. Je voulais retrouver mon droit à exprimer ma différence et ma sensibilité sans risquer les injures et invectives blessantes, qui à la longue, endommagent le moral. Retrouver la sérénité et le plaisir d’écrire…

Inhibant par sa forme, car la linéarité chronologique, “diaristique”, et la juxtaposition désordonnée de billets bien différents n’était plus mon idée du carnet Web.

J’écrivais :

Est-ce un phénomène dépressif lié au raccourcissement des jours ? L’usure d’événements personnels pas toujours faciles à gérer, d’un avenir incertain et sans repères ?

Est-ce le contrecoup dû à la réception par une population toujours plus large, qui engendre des réactions déplacées qui fatiguent, la perte de la notion d’espace intime d’expression à destination d’un public choisi, d’un cercle de pairs, ou encore, le risque à s’exposer de plus en plus mal assumé ?

Est-ce la certitude d’être lu qui inhibe ? Ou la perte du plaisir d’écrire ? La crainte de ne pas répondre aux attentes (car figurez-vous que les lecteurs ont leurs attentes et ne ne privent pas de vous le signaler) ? Le souci de ne pas apparaître comme péremptoire ou infatué de son ego ? Une envie subite d’humilité et de discrétion ?

Est-ce l’exaltation de la découverte d’un nouvel outil qui est retombée ? Je me lasse vite de mes jouets. Peut-être aussi suis-je versatile et inconstant…

J’ai la nostalgie des débuts de ce carnet. Des joies de la découverte, de l’interactivité, du partage, de la rencontre. J’avais vingt lecteurs et je connaissais chacun.

Puis, je suis tombé dans les fossés du cybernarcissime, dont je connaissais pourtant déjà l’existence.

Aujourd’hui la flamme s’est éteinte. Je cherche d’autres pistes, mais je ne trouve pas. Je tente des diversifications, mais dureront-elles ?

(…) La blogosphère me fait l’effet d’une cours de récréation où l’on vient faire son petit tour, où l’on s’amuse, et puis s’en vient le sentiment de vanité, et on quitte la salle du banquet en catimini.

La blogosphère personnelle est à géométrie variable, d’abord le cercle des amis et proches, des compagnons de route, centré sur vous, puis celui des relations. Et plus on s’éloigne de ce centre de gravité, plus grand est le risque de se brûler les ailes.

Je ne souhaite plus parler d’actualité, de débats. Je ne veux plus m’épuiser dans des procès sans fin à la bêtise. Je ne souhaite pas pour autant étaler ma vie, mon quotidien. Alors, que faire ?

N’est-ce encore qu’une grosse fatigue passagère ? Ou la cassure est-elle plus profonde ? Le soufflé est-il retombé ? Pour l’instant, j’attends l’étincelle qui va raviver la flamme et réfléchir, tenter de me consacrer sur l’essentiel et faire fi de ces divertissements qui, certes plaisants, m’ont sans doute éloigné d’un travail plus exigeant mais plus enrichissant.

Mais pour le moment, je suis fatigué. Chuis tanné.

Ma tentative, avec Embruns, cette nouvelle maison que j’espère douillette et confortable, est de répondre à ces questions et de me réapproprier une parole plus sincère, plus honnête et plus spontanée.

Beaucoup de témoignages, suite à la fin de l’aventure Navire, m’ont particulièrement touché, aussi, afin de me les souvenir, qu’il me soit permis d’en citer quelques uns ici. Ils m’ont redonné l’énergie de persévérer, de recommencer, de remettre du coeur à l’ouvrage.

Laurent ferme le navire.
Laurent a tenu une année. Navire.net a été propulsé en haut du blogomat, grace à une qualité bloguesque soutenue, quelques contributions à la communauté des carnets, un esprit d’analyse percutant, un brin de provocation gratuite mais volontaire, et de polémiques fabriquées de toutes pièces. (…) Bonne retraite au Navire, et au prochain… [Houssein]

La blogosphère francophone n’est pas en déclin. Elle est seulement en train de faire peau neuve. D’ailleurs, le Capitaine a déjà mis le cap sur ses envies d’autre chose :
“(…) je prépare un nouveau projet personnel, plus intimiste et exigeant”
Cette fois, ce n’est pas le blog qui prend la mer, mais la mer qui emporte son auteur vers de nouveaux rivages.
La récente mise en ligne de son photolog levait déjà un coin du voile sur la richesse du personnage.
Il n’abandonne pas la course. Il nous signale simplement qu’il a déjà pris de l’avance dans la suivante.
Au plaisir de vous retrouver très bientôt Capitaine. Ce sera à votre convenance et sans quartiers. [Netlex]

Navire en rade. Le Navire a décidé de rester à quai. J’espère qu’il ne coulera pas, j’y ai encore des billets dans la cale. En attendant la suite promise, on retrouvera le Capitaine et sa longue vue à travers son biogue. Bon vent à toi Laurent ! [Padawan]

Ah non!
Bon, voilà le Capitaine qui me gâche mon lundi et bien des lundis à venir, s’il ne se dépêche pas de démarrer un autre projet sur le Web. Je ne m’en suis jamais cachée: le Capitaine faisait partie de mes lectures préférées et sans lui, ma petite routine blogosphérique ne sera plus aussi agréable. Zut.
Un carnetier favori qui ferme boutique, c’est comme un ami qui nous annonce “ah tiens, je quitte le pays indéfiniment”. Tu fais quoi? Tu l’engueules ou t’es content pour lui? [Martine]

Queen Mary 3
Navire aurait-il coulé ? On ne peut qu’en croire l’avis de fermeture définitive posté sur le site … Navire, c’était le bon goût du large, c’était l’invention du MousseNavireBiereGuiness où il fallait s’inscrire sur des sites où tous les mots étaient attachés. Navire, c’était une blogroll exigeante, d’où on pouvait se faire bannir tel l’huître du supermarché un soir d’Amoco Cadiz, c’était quelques coups de gueule, c’était quelques coups de coeurs, c’était un grand nom de la blogo… [Petit Padawan]

Il était un grand Navire.
Navire. net. Un blog de moins. C’est fréquent, me direz-vous, mais un blog de qualité et intéressant qui disparaît, c’est plus tannant. Même du temps virtuel fait s’attacher aux mots d’une personne. Il dit qu’il reviendra sous une nouvelle forme… Avis aux intéressés, c’est à suivre. [Grenadine]

Un homme à la mer
Navire ne coule pas mais rentre au port définitivement. Visiblement, Laurent est las. Les blogues sont, la plupart du temps, un travail personnel. Quand barrer n’amuse plus le capitaine, il part pour d’autres destinations. Et le blogue met en panne. C’est la vie. Mais le capitaine a promis de refaire surface. Et comme on le sait, les Bretons sont têtus. [Adverbe]

Le Navire en cale sèche
Respectons les choix du capitaine. S’il ne retire plus aucun plaisir à écrire, pourquoi continuerait-il à publier? Qui sait si nous ne le reverrons pas voguer sous d’autres cieux. Je t’embrasse et bon vent, marin. Yo-ho-ho, et une bouteille de rhum! ;-)) [Michel Dumais]

Un NAVIRE qui tangue et chavire. Comme on dit, plutôt sombrer que de prospérer à l’ombre du doute. Quant à moi, cinq jours, cinq jours depuis que je me suis sortie de l’individualisme bourgeois exprimé à l’ombre protectrice de mon carnet, et j’ai trouvé la formule : la joie est en soi, les peines sont l’apanage de l’ego. [L’irremplaçable flocon]

Et vogue le Navire…
Le ton était souvent irrévérencieux, volontairement provocateur, quelquefois dérangeant, et s’il admettait que parfois son navire “naviguait en eaux troubles”, ses billets avaient un mérite immense, dans la vaste blogosphère, celui de ne pas laisser le lecteur indifférent. De provoquer la réflexion et l’envie de réagir… Il s’en suivait de longs échanges entre les lecteurs, parfois vifs, quelquefois discourtois ou stériles, mais toujours enrichissants pour celui qui sait ouvrir son esprit aux autres, et cherche à comprendre les autres points de vue.Le Navire replit ses voiles… Mais c’est en cale sèche que l’on répare les bateaux…
Merci pour ces billets, ces réflexions et ces coups de gueule. À très bientôt beau Navire, et n’oublie pas que ‘où tu iras j’irai’… [Aquaboniste]

Je reviendrais simplement sur un événement qui m’a fait de la peine cette semaine : l’arrêt du blog de Laurent, navire.net . Je n’en n’ai pas parlé avant car j’étais persuadé que le bougre nous avait mijoté là un coup de Jarnac comme il en a le secret. Mais non, il semble bien que sa décision soit irrévocable… (…) Aujourd’hui, mes 2 comparses ont décidé d’arrêter leur blog, du moins sous leur forme initiale: le point d’orgue de cette aventureaura donc eu lieu il y a quelques semaines quand j’ai pu recontréin real life mes deux acolytes à Paris autour d’un bière et d’une bonne pipe! Certes tout ceci n’est qu’ une tempête dans un verre d’eau. [Pierre Carion]

Les blues… d’la blogosphère. (…) Mais quand on prend le temps de s’asseoir et de tout remettre en perspective, on revient souvent aux sources: un blog pour soi, pour le plaisir d’écrire. [DangerousTreasure]

Et surtout :

Je ne sais pas trop comment réagir à la nouvelle de la fermeture de navire.net. Je trouve d’abord que c’est une perte considérable pour le monde de carnets francophones, encore assez restreint. Le site qu’a créé Laurent il y a à peu près un an avait un accent bien particulier : c’était intelligent, engagé, souvent provocateur. Son auteur n’a pas eu peur d’incommoder les bons sentiments de la carnetosphère bien-pensante, dont il a à plusieurs reprises critiqué, quelquefois assez sévèrement, des habitants très connus. Navire.net s’est érigé fièrement en refus carnetier à ceux qui auraient voulu s’accaparer à grands cris le discours politique francophone dans le nouveau moyen de communication que sont les carnets web. En plus, il n’était pas ennuyeux. On ne savait pas ce qu’on allait y trouver en passant chez navire.net, c’est pourquoi pour moi c’était un toujours plaisir de cliquer sur l’hyperlien pour découvrir quel point de vue insolite il aurait signalé — à l’heure du petit déjeuner new-yorkais ou montréalais (pour ne pas dire san-diégain) Laurent aurait déjà pondu à l’heure de Paris un billet plein d’humour, de sensibilité et de substance. Égoïstement, je sais que cela va me manquer beaucoup.

En effet, tout ce que j’écris ici est complètement égoïste, je le reconnais. Laurent a bien le droit de cesser la vraie corvée qu’est maintenir presque quotidiennement un carnet en dépit des obligations de travail et de famille, des changements d’humeur personnelle. Je comprends tout cela et cependant je ne peux pas dire que je sois content que navire ferme — il n’y a toujours pas un excès de voix lucides, originales et élégantes. En perdre même une est plutôt grave.

Pourtant, je le savais — depuis le grand billet de retour de sa croisière, j’ai senti, comme bien d’autres l’ont fait aussi, un mécontentement nouveau, une sorte de frustration et un manque de plaisir dans l’acte d’écrire un billet dans le carnet. Il y avait aussi le problème à peine résolu du Petit Lapin obligé de rentrer chez lui.

Quand Laurent remarque son carnet n’était plus lui, il a tort. C’était seulement un autre lui, aussi réel que celui qui avait commencé le carnet, mais différent par les effets du temps. Un “lui” qui était beaucoup apprécié. (On peut bien se moquer du blogomat de Weblogues.com mais c’est une donnée imparfaite comme une autre et malgré les “tricheries” de classement éventuelles signalées par Mediatic on voit bien que navire.net est placé très haut dans la liste — une place qu’il mérite tout à fait, à mon avis.)

Quand j’ai lu le billet de Laurent qui annonçait la fermeture de navire.net, j’ai tout de suite pensé au début du poème extraordinaire “East Coker” de T S Eliot : “In my beginning is my end”. Le début de chaque chose, de chaque tâche, de chaque individu, contient sa fin. Je pense que c’est une idée empruntée de la religion hindoue, mais je ne suis pas certain. C’est tellement simple qu’il serait facile d’oublier que c’est bien vrai : quand on commence, il y aura invariablement une fin. Même pour les carnets.

Mais le poète termine son oeuvre avec l’inverse, vraie aussi. “In the end is my beginning.” Voici la dernière strophe du poème.

“Home is where one starts from. As we grow older
The world becomes stranger, the pattern more complicated
Of dead and living. Not the intense moment
Isolated, with no before and after,
But a lifetime burning in every moment
And not the lifetime of one man only
But of old stones that cannot be deciphered.
There is a time for the evening under starlight,
A time for the evening under lamplight
(The evening with the photograph album).
Love is most nearly itself
When here and now cease to matter.
Old men ought to be explorers
Here or there does not matter
We must be still and still moving
Into another intensity
For a further union, a deeper communion
Through the dark cold and the empty desolation,
The wave cry, the wind cry, the vast waters
Of the petrel and the porpoise. In my end is my beginning.”

Navire est mort. Vive navire.

Inoubliable et touchant billet de Sale Bête, ponctué par ce non moins inoubliable commentaire définitif d’un dénommé Martin :

C’est Navire la vedette du moment - vous voulez lui voler le show avec des billets d’adieu tous plus recherchés les uns que les autres ? Tous très ego ces blogs et flatte-blogs. Il y a un temps où il faut que ça se termine ce cirque en solitaire. C’est sain.

Auquel répondait un autre commentaire sur mon billet d’adieu :

Tant mieux ca faira un blog de pd sentimentaliste en moins.

Ite missa est.

PS. Embruns, le carnet web d’un pd sentimentaliste, ça sonne bien, non ?

PS. bis. J’oubliais ce clin d’oeil de qui vous savez : “Les navires poubelles à la casse. Un navire nous quitte. Encore un navire fwançais qui se déplace à trois pattes. Un ’tour d’hélice au cul’ de trop sans doute. Bon débarras.”

1. Le 2 décembre 2003,
oui

[ Commentaire supprimé. ]

2. Le 2 décembre 2003,
oui

après tout, c’est vrai… le sieur Laurent n’accepte plus les commentaires qui ne vont pas dans le sens de sa prose.

Navrant.

3. Le 3 décembre 2003,
Laurent

Navré, je n’accepte plus les commentaires au ton déplaisant, surtout quand ils sont anonymes.

4. Le 18 avril 2007,
adoonis

Alors que faire ?. Sans dévoiler sa vie, sans états d’âmes, sans politiser à tout va, sans se prendre la tête …. simplement partager le gout d’écrire, de voir, de ressentir, de vivre … j’aime vos écris, teintés d’approches pertinentes - Bravo ! Dont change anything … Adoonis

Blah ?