Michel Tremblay, Le cahier noir
Je viens juste d’achever la lecture du dernier roman de Michel Tremblay, Le cahier noir (Léméac/Actes Sud, ISBN 2-7427-4720-6, sortie en France le 15 avril prochain), que m’avait offert mon lapin pour les fêtes.
C’est l’histoire, narrée à la première personne, de Céline Poulin, jeune serveuse au restaurant Le Sélect, à l’angle des rues Sainte-Catherine et Saint-Denis, au coeur du quartier latin. La nuit, elle y sert des hamburger platters à une faune bigarrée d’étudiants, de putes, travestis, folles et autres vedettes nocturnes. L’action se déroule au milieu des années soixante, juste avant l’année de l’Expo. Le cahier noir, c’est un journal, celui où elle confie le récit intime de son rapport à sa mère et de sa libération. Et étrangement, c’est par la tragédie d’Euripide Les Troyennes que tout va lui arriver. Je n’ai guère l’envie de vous en dire plus si vous aviez l’intention de lire ce livre, car cela serait vraiment gâcher le plaisir, et même le dos de couverture de l’éditeur est bien trop bavard.
J’ai eu bien du plaisir à lire ce livre, en partie pour le fait qu’il est relié aux Chroniques du Plateau Mont-Royal. On y retrouve ainsi le personnage de La Duchesse, vendeur anonyme de chaussures chez Giroux et Delaurier le jour, et la nuit, travesti flamboyant et pathétique sur la Main. Le livre est en quelque sorte une histoire parallèle, ou encore une suite aux Chroniques : mêmes décors, mêmes personnages en toile de fond, mais vus au travers des yeux d’une héroïne qui vit en dehors du cycle des Chroniques. C’est aussi un livre où l’on parle beaucoup de théâtre, et qui d’autre que le dramaturge Tremblay pourrait nous parler aussi bien de la passion des planches… même si l’approche est distanciée, du fait même que la narratrice déclare ne pas y attacher un grand intérêt.
Michel Tremblay pratique dans ce roman l’art de la rétention et de la suspension. Des informations capitales à la compréhension du personnage de Céline et de sa psychologie ne sont en effet livrées qu’avec retard, comme si, effectivement, certaines évidences (de taille…) ne méritaient pas d’être dites en préambule par une narratrice qui n’écrit que pour elle-même. L’effet de ce personnage qui se construit progressivement au fil de la lecture est assez saisissant. Et dans presque chaque chapitre, l’auteur sait mettre une tension interne et tarde souvent à livrer la clé d’un événement, mettant le lecteur sur des charbons ardents. Ce qui fait que le livre est terriblement accrocheur et qu’il est difficile de l’abandonner une fois commencé. La dissociation entre le temps de l’action et le temps de l’écriture lui permet aussi de beaux effets à rebours. En fait, l’auteur fait un usage consommé du coup de théâtre et de la manipulation pour mieux tenir le lecteur à sa merci (le fieffé coquin).
D’autre part, le personnage de la waitress du Sélect est très attachant. Cette Céline, fille courage, qui fonce pour mener sa vie comme elle l’entend malgré sa différence, qui nous fait parte de ses doutes et hésitations, qui passe progressivement de l’ombre à la lumière, on aimerait la connaître, même de loin, on aimerait s’asseoir sur une banquette de son greasy spoon et l’observer au milieu de ses clients, peut-être même lui commander un club sandwich et un cherry coke. J’ai une grande admiration pour l’auteur qui arrive toujours à rendre ses personnages crédibles et vivants, même quand il mène son héroïne à la rédemption dans la marginalité la plus totale.
Ce n’est certainement pas à classer parmi les plus grands livres de Michel Tremblay, mais c’est extrêmement plaisant à lire et pour peu que vous ayez été déjà pris par les Chroniques, ce livre est définitivement à lire, car il est empreint de cette même magie, et il faut savoir qu’il inaugure sans doute une nouvelle suite de chroniques… Reste toutefois la crédibilité de cette jeune serveuse sans éducation qui écrit aussi bien, ou presque, qu’un Michel Tremblay… Même si l’auteur introduit volontairement des naïvetés et des discontinuités de style pour donner le change.
Maintenant, il n’y a plus qu’à attendre Le cahier rouge…
—
Début du livre :
25 janvier 1966. La honte est une bête qui possède plusieurs têtes, je le sais depuis mon enfance, par la force des choses, à cause de ce que je suis. Et celle qu’elle m’a montrée ce matin était particulièrement mortifiante. Non pas que je considère que je n’ai pas démérité ce que je n’oserai pas appeler ici mon châtiment, ce n’en était tout de même pas un, mais, disons, cette simple punition ou cette pénalité, le prix à payer, je suppose, pour m’être laissé une seule fois tenter par les pièges de la vanité : après tout, j’ai couru après, tant pis pour moi. J’ai voulu patauger dans une eau qui m’était étrangère, risquer un oeil sur un monde aux antipodes de celui que je connais, qui dépasse de loin mes capacités, mes goûts, et l’humiliation qui en a découlé, aussi insignifiante fût-elle pour les autres, aussi anodine, m’a jetée, moi, dans des affres si cuisantes que seule l’écriture que j’entreprends en ce moment pourra, peut-être, m’en purifier. Me confier à la page blanche, me confesser de mon ridicule, représentent ma seule planche de salut, comme d’habitude. […]
Françoise P.Jacob
Je viens d’achever ce livre que je n’ai pratiquement pas laché depuis trois jourrs.Le style de M.tremblay est fascinant et ses personnages toujours aussi attachants.( quel plaisir de retrouver ceux du Plateau du Mont-Royal).Mais qu’il ne joue pas trop aux réglements de compte avec les français.Tous ne vont pas chercher une forme de folklore désuet au Québec… J’attends impatiamment “le cahier rouge”.
Mat
J’ai adoré ce livre que je viens à peine de terminer. J’ai déjà acheté le cahier bleu et attends de la FNAC le cahier rouge !!!! Dans quelques jours… Connaissez-vous une adresse, un mail, un moyen de joindre Michel Tremblay ? J’y pense depuis longtemps… Cela a commencé avec la grosse femme d’à côté… et j’aimerais le rencontrer, ou en tout cas, entrer en contact avec lui ! Par avance merci.
Karim
Bizarrement je viens de finir un livre de Michel Tremblay
Un ange cornu avec des ailes de tôle
. Je dis bien bizarrement parce que je connaissais de nom cette auteur mais pour une these a l’école j’ai du le lire pratiquement de force je dois l’avouer. Depuis je suis profondement troublé par ce que j’ai lu et evidement le resumé que j’en fait. Je ne pretend pas avoir eu le meme parcourt que Michel Tremblay mais j’en revien tout simplement pas de certaine ressemblance donc celle de nos mere. Bref je remercie cette personne de m’avoir fait connaitre cet auteur donc je suis deja entrain de lire d’autre de ses oeuvres et regrette surtout de ne pas en avoir lue auparavant (blâmons ma generation litterature fast-food). Bref c’etait juste un merci que je voulais lancer a l’auteur qui ma fait t’en de bien a mon âme et moi aussi j’aimerai bien avoir un e mail ou peut importe l’information que j’aurai pour communiquer avec Michel Tremblay.Patricia Casey
Je ne sais comment rejoindre Mr Michel Tremblay, cet homme qui véhicule les plus pronfondes souffrances de nos êtres incarnés et qui a la sensibilité et le talent de faire ressortir le divin en chaque être humain. Merci Mr Tremblay je vous aime.
Blah ?