Le Québec et la seconde guerre mondiale
Fait exceptionnel, la conscription au Canada, lors de la Deuxième Guerre mondiale, a été le résultat, non-pas d’une décision gouvernementale ou du vote d’un parlement, mais d’un référendum. En 1942, seul le Québec s’est opposé à la conscription par 71 % des votants.
Dès le 10 septembre 1939, le Canada est entré en guerre (contrairement aux États-Unis qui attendront frileusement 1942). Le 25 octobre 1939, les Libéraux d’Adélard Godbout emportent les élections de l’Assemblée législative du Québec, la conscription ayant été le thème central du débat électoral (54,2 % des voix, 70 députés contre 15 aux Unionistes).
Le 30 septembre, Adélard Godbout avait déclaré : “Je vous affirme avec toute la force dont je suis capable que le gouvernement d’Ottawa ne décrétera jamais la conscription militaire tant que vous laisserez la politique libérale diriger vos destinées.” Et : “Je m’engage sur l’honneur, en pesant chacun de ces mots, à quitter mon parti et même à le combattre, si un seul Canadien français, d’ici la fin des hostilités en Europe, est mobilisé contre son gré sous un régime libéral, ou même un régime provisoire auxquels participeraient nos ministres actuels dans le cabinet de M. King.” Son adversaire, le premier ministre Maurice Duplessis, lui emboîte le pas : “un vote pour Maurice Duplessis, c’est un vote pour l’autonomie… contre la conscription” (discours à Trois-Rivières, le 4 octobre). Le mauvais bilan des Unionistes au pouvoir provincial et l’engagement des Libéraux contre la conscription au niveau fédéral devaient assurer la victoire de ces derniers. D’autre part, Camillien Houde, maire de Montréal, se présente comme candidat indépendant dans le comté de Sainte-Marie et est élu contre le candidat Unioniste.
Photo : Adélard Godbout, Premier ministre de la province de Québec, du 8 novembre 1939 au 30 août 1944.
Le 26 mars 1940, les Libéraux de William Lyon Mackenzie King remportent l’élection fédérale des députés à la Chambre des communes d’Ottawa (51,5 % des voix, 181 sièges contre 40 aux Conservateurs de Robert Manion). Au Québec, les Libéraux, contre la conscription, gagnent 61 sièges sur 65.
L’enrôlement des hommes célibataires est décrétée pour le 15 juillet 1940. Une course au mariage s’engage alors au Québec, beaucoup craignant que cette inscription ne soit qu’une étape vers la conscription. Les paroisses organisent des mariages de groupes. Des centaines de couples seront ainsi mariés au parc Jarry, à Montréal, dans l’espoir de se soustraire à la Loi sur l’enrôlement obligatoire. Certains iront jusqu’à se retirer dans les bois. On les appellera, sans dérision aucune, les “patriotes”.
Photo : Camillien Houde, maire de Montréal.
Camillien Houde, est arrêté le 6 août pour avoir appelé publiquement les citoyens à ne pas participer à l’enregistrement national (décrété le 18 juin et prévu entre le 19 et 21 août pour tous les hommes et femmes de 16 à 60 ans — cette formalité permettant la création d’une carte d’enregistrement utilisée par les citoyens dans leurs rapports avec l’administration). Il ne sera libéré qu’en 1944.
En 1942, le besoin en hommes se fait de plus en plus pressant et le recrutement des volontaires (125 000 hommes) ne suffit plus. Le premier ministre Mackenzie King organise un plébiscite pour le 27 avril 1942, par lequel il demande aux Canadiens de se prononcer pour la conscription, et d’ainsi abandonner la promesse de 1939 tenue jusqu’alors. (“Consentez-vous à libérer le gouvernement de toute obligation résultant d’engagements antérieurs restreignant les méthodes de mobilisation pour le service militaire ?”)
Le 11 février 1942, la première grande assemblée de la Ligue pour la défense du Canada, groupe de pression contre la conscription, animé par Georges Pelletier et André Laurendeau, a lieu à Montréal, au marché Saint-Jacques. On y trouve, entre autres, Jean Drapeau et Gérard Fillion.
Si la population anglaise, sensibilisée par les souffrances de la Grande-Bretagne (le Blitz), penche plutôt pour un engagement plus massif dans la guerre, l’opposition à la conscription est écrasante au Québec (71,2 % contre au référendum du 27 avril, dont 85 % chez les francophones).
Photo : affiche de 1943.
Par ailleurs, l’industrie de guerre est une bonne affaire pour le Canada. Le Québec n’est pas en reste avec un développement qui atteint 500 % en quatre ans. Le taux de chômage passera de 9 % en 1939 à 0,6 % en 1944. Comme aux États-Unis, ce formidable essor industriel, en quête permanente de main d’oeuvre, aura un impact inattendu sur le rôle de la femme dans la société. Les femmes s’engagent massivement dans les usines de munitions, de construction d’avions et de fabrication d’uniformes, où les salaires sont bons et où l’on travaille pour une bonne cause.
Photo : ouvrière dans une usine de munitions, 1942.
Malgré les Québécois, 63,7 % de la population canadienne accepte le 27 avril de délier le gouvernement de sa promesse. Toutefois, la conscription ne sera réellement effective qu’en 1944.
En réaction, une nouvelle formation politique, anti-conscription, voit le jour fin 1942 : le Bloc populaire canadien, à l’initiative du député libéral Maxime Raymond. On y retrouve des figures majeures de la société québécoise : Lionel Groulx, René Chaloult, Pierre Gauthier, Philippe Hamel, André Laurendeau, Henri Bourassa, Jean Drapeau, Paul Gouin, Maxime Raymond, ce dernier déclarant “quand l’heure de la bataille sonnera, que ce soit au fédéral ou au provincial, nous serons là pour défendre notre politique que je veux résumer en deux mots : le Canada aux Canadiens et le Québec aux Québécois”. Le journal Le Devoir sera le relais de leur action.
Le 19 août 1942, un contingent de troupes alliées tente sans succès de débarquer à Dieppe, il est composé de 4 965 Canadiens volontaires (dont environ 500 canadiens-français), 1 100 Britanniques, une cinquantaine d’Américains et quelques hommes de la France libre.
En mai 1944, le 22e Régiment Royal, composé de francophones, est engagé en Italie du Nord.
Le 6 juin 1944, 15 000 Canadiens volontaires sont engagés dans l’opération Overlord, dont les Fusiliers Mont-Royal, le Régiment de Maisonneuve et le Régiment de la Chaudière qui réunissent des francophones.
Le 8 août 1944, le Bloc populaire canadien obtient 15,2 % des voix aux élections fédérales et fait élire quatre candidats dont son chef, André Laurendeau.
Le 14 août, Camillien Houde est libéré et reçu à Montréal comme un héros de la “résistance” québécoise. Il retrouvera vite son mandat à la mairie (le 11 décembre).
Le 23 novembre, le gouvernement décide l’envoi outre-mer de 16 000 conscrits.
Le 28 novembre, suite à cette décision d’envoyer outre-mer des conscrits, une manifestation anti-conscription dégénère à Montréal. Les manifestants souhaitent s’attaquer aux sièges des quotidiens Le Canada, Montreal Star et The Gazette qui soutiennent l’action gouvernementale. Le centre-ville est la scène de nombreux actes de vandalisme, parfois à connotation antisémite.
Le 7 mai 1945, l’armistice est signé. 1 086 343 Canadiens furent engagés dans la guerre, dont 600 000 envoyés en Europe, 42 042 y trouveront la mort et 53 145 seront blessés. Entre 84 000 et 90 000 québécois francophones se sont portés volontaires, soit environ 16 % des volontaires canadiens.
Photo : Régiment de la Chaudière.
(Régiment de la Chaudière, 212 tués, 793 blessés - Régiment de Maisonneuve, 214 tués, 778 blessés - Régiment des Fusiliers Mont-Royal, 365 tués, 778 blessés. Je n’ai pas réussi à trouver le chiffre global des victimes québécoises. Je recherche également le nombre de conscrits canadiens effectivement envoyés outre-mer.)
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On dit que rien ne vaut une guerre pour révéler la nature d’un pays. Que révèle du Canada la crise de la conscription et qu’en reste-t-il dans la mémoire collective québécoise ?
Et qui se souvient de ce premier ministre du Québec, Adélard Godbout, qui a décrété l’instruction obligatoire (et ce, contre l’Église catholique), a donné le droit de vote aux femmes et fondé Hydro-Québec, mais qui soutint finalement la conscription après le référendum, malgré son engagement de 1939… Aucune rue ou station de métro ne porte son nom à Montréal.
La seconde guerre mondiale est-elle une page peu glorieuse de l’histoire québécoise ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Demeure-t-il un malaise devant ce qui peut être ressenti comme un fourvoiement des intellectuels québécois de l’époque, principalement nationalistes ? (Je rappelle que poser des questions n’est pas forcément y répondre.)
Et quels honneurs Montréal prépare-t-il aujourd’hui à la mémoire de ses vétérans ? Une cérémonie dans un hospice de Sainte-Anne-de-Bellevue ? Le Québec tourne-t-il le dos à son histoire et à ses vrais héros, ces quelques milliers de soldats volontaires qui sont tombés à des milliers de kilomètres de leur patrie ?
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ygel
Cet épisode démontre bien le repli du Québec sur lui-même que le règne de Maurice Duplessis ne fera que perpétuer jusqu’en 1960. Les Canadiens-Français ne se sentaient pas du tout concernsé par ce qui se passait dans l’Empire.
Le Québec actuel ne tourne pas le dos à son histoire, il ne la connaît pas du moins celle entre 1867 et 1960.
neige
Les Québecois ont aussi refusé de se battre aux côté des américains (venus de Boston, Portland etc … cad: l’épisode du Général Benedict Arnold) en 1865, pour buter les anglo dehors et se libérer de l’Angleterre. Le Québec est aussi rarement d’accord d’avec le reste du Canada, c’est encore ici que l’opposition à l’intervention armée en Irak est la plus forte, comme l’a été celle pour s’enroler auprès des alliers (les Anglais encore) à la deuxième guerre (encore une fois la commande venant du gouv. d’Ottawa).
Bon, et part cela…. Adélard est mon arr. grand-papa Bis. Pas de farce! Mes grands parents habitent toujours la maison ancestrale, une belle demeure de style ’loyaliste’ (une autre épisode à souligner) à Frelisghburg. Ce dont tu parles, le refus par l’histoire de reconnaître ce que Godbout a apporté de bon au Québec, peut-être parce que trop progressiste à l’époque, a été maintes fois exorcicé dans la famille. Il y a un papier ici, écrit dans Vigile, et qui fait référence a cet oubli (ref. le cinéaste Jacques Godbout, son neveu), qui en est peut-être pas un finalement.
Laurent
Ciel, l’arrière petite fille d’Adélard Godbout sur mon modeste carnet ! ;-)
Michel Dumais
Un peu plus que tu pourrais le croire Laurent.
http://www.cyberpresse.ca/actualites/article/1,63,0,062004,703821.shtml
Plusieurs personnes que je connais, dont ma mère qui a connu la guerre, se souviennent. Discrètement j’en convient, mais elles se souviennent. À toutes les fois que je vois ces vieils hommes se rappeler les horreurs de la guerre, je ne peux m’empêcher mes yeux de “se mouiller” et de me dire: “En mémoire de ces hommes encore vivants, et de ceux qui sont tombés au combat, plus jamais cela” Et à chaque mois de juin, oui, il y a une pensée discrète pour ces hommes et ces femmes qui ont donné leur vie. N’oublie pas non plus Laurent, quelque temps avant le déclenchement de la guerre en Irak, une foule nombreuse avait envahi le centre ville de Montréal en protestation face aux politiques de Bush. Ils ont peut être oublié les atrocités de la seconde guerre, mais ils sont conscients que les guerres sont et seront toujours inutiles. Il est dommage que la plupart des québécois, comme le souligne avec justesse le lapin, aient oublié l’histoire, mais en voyant leur réaction face à la guerre en Irak, je suis malgré tout rassuré. Je suis rassuré aussi de voir ces mêmes jeunes s’impliquer autant et avec détermination dans le mouvement altermondialiste. Il y a encore beaucoup à faire, mais Dieu que j’ai confiance en cette belle jeunesse qui nous botte le cul à l’occasion, nous les cheveux gris. Mes deux grosses cennes, ami Laurent.
neige
J’suis pas la seule, mais à te lire, sans doute. Atoka! à parler canneberges tu pourrais peut-être en attirer d’autres … piste.
eric
j’habite en france dans le pas-de-calais à boulogne-sur-mer je recherche des photos des renseignements sur le regiment de la chaudiere regiment qui a libéré boulogne tout information sera la bienvenue merci d’avance
neige
La Chaudière …. c’est par là qu’est passé le général Arnold et son armée pour atteindre Québec à partir de Portland, Maine. C’est une rivière. Si c’est aussi un régiment, faudrait demander info à la Base Militaire Valcartier de Québec. Ça doit être sur Google.
Raymonde Giguère
Effectivement sur Google on trouve plusieurs URL pour le Régiment de la Chaudière, leur rôle le Jour J, des photos, l’histoire etc. Bonne visite.
rerebob
Il y a même eu une émeute a québec en basse-ville contre la conscription, ça durer trois jours et des adolescents sont mort de coup de feu venant des policiers, peu s’en rappelle. Mais quand même si les Canadien était contre la conscription tout a été rationalisé, l’argent a été retirer et tout marchait avec des tickets, des bateaux civils fesait la navette dans le pacifique nord et transportaient vivre et marchandise vers l’angleterre. Certain civils sont mort a cause des sous-marins. Et si l’enrollement n’était pas forcer il était fortement encourager. D’autre par si les québécois hésitent a s’enroller sous le drapeau Canadien c’est peut-être qu’ils savent que les francophone vont toujours se retrouver en première ligne et fair le travail que les anglophone ne veulent pas fair. Aujourd’hui c’est moins pire mais a l’époque les franco ils se fesaient malmener quand ils s’engageaient et ce même en temps de paix. Bien que je suis un québécois et francophone je n’ai pas honte de mon passeport Canadien qui sur le plan humanitair (pas le passeport mais le pays) a toujours fait sont possible autant du point de vue monétair que présence sur le terrain ou pour ce qui est de l’acceuil de réfugier apatride de toute sorte de pays. Une chose qu’ont oublie aussi c’est l’apport des medecins Canadiens qui est encors aujourd’hui est très actif dans le monde entier et il y a aussi l’enseignement, nous envoyont des volontairs enseigner en haiti, c’est pas facil ça. Et si notre comportement n’était pas exemplair face a la conscription je pourrait nous reprendre en disant qu’il n’y avait pas 98% de la population qui étaient “collabo” comme les Francais.
rerebob
J’ai dit pacifique nord ???? ATLANTIQUE NORD bien sur !!!
Martin
Je voulais savoir de ce paragraph
“Le 7 mai 1945, l’armistice est signé. 1 086 343 Canadiens furent engagés dans la guerre, dont 600 000 envoyés en Europe, 42 042 y trouveront la mort et 53 145 seront blessés. Entre 84 000 et 90 000 québécois francophones se sont portés volontaires, soit environ 16 % des volontaires canadiens.”
Combien de ses soldats étais des conscrits. ( Combien était quebecois, le nombre total de conscrit?)
Merci beaucoup
Pierre Alarie
Plusieurs des membres des Regiments vennant du Quebec ne sont pas des Quebecois.
Martin L
Mon grand-père qui a maintenant 81 ans, est un des survivants de ce régiment historique du Québec. Il m’a raconté longuement les événements qu’à vécu ce régiment. Il faut juste lire le court résumé sur Wikipedia pour constater combien l`histoire de celui-ci est totalement absente sur le sujet. Le Canada a d’ailleur la fâcheuse habitude de rendre hommage à ces régiments du Québec tels, Mont-Royal, Maisonneuve et La Chaudière sous le voile du 22e Régiment. Biensûr le 22e puise ces sources dans ces régiments francophones, mais encore faut-il le rappeler. De plus, on résume vite l’exploit de ses hommes du Québec part le débarquement de Normandie. Alors qu’il y a eu Dieppe, Juno, Falaise, les ports de Boulogne, Calais et que ce régiment a aussi pris part à la libération de la Hollande, qu’elle a combattue en Italie jusqu’en Allemagne. Enfin bref, malgré tous ces oublis, il est clair que les Québécois, anciennement nommés ’Canadiens-Francais’, ont combattue fièrement pour la mère Patrie qu’est la France, et ceci affirme et soude à jamais nos liens historiques, familiaux et prévilégiés avec nos cousins francais. Nous avons le devoir de ne pas oublier sur les 2 continents.
Laurent Gloaguen
Pour répondre à Martin (#11), un peu tard, à la question du nombre de soldats conscrits.
Selon le Wikipedia, “Crise de la conscription (1944)”, au sujet des conscrits : “Toutefois, aucun autre déploiement n’est fait avant 1945, quand 13 000 hommes sont envoyés à l’étranger. La plupart proviennent des conscrits pour le service domestique recrutés sous la Loi sur la mobilisation des ressources nationales, et non dans la population en général. Peu participent aux combats en Europe : seuls 2 463 hommes atteignent les unités en première ligne. De ceux-ci, 79 conscrits perdent la vie.”
J’ignore le nombre de Québecois parmi ces 79 victimes canadiennes (ou 69 selon Johanne Ménard). Je n’ai pas non plus réussi à trouver le nombre de Québecois qui furent conscrits après l’arrêté ministériel le 23 novembre 1944.
Dav_c
En effet, depuis 4 siècles les quebecois rochigne a aider les anglais étant donner toute les guerres anglais-francais qui selon squ’e j’en sais on suivi le quebec l’or de la colonisation de l’amérique.
Bien attendue lorsque l’on parle de la france, nous quebecois , somme beaucoup présser de venir vous aider.
Francais dans l’ame, Quebecois au bar!
David
Michel COICAUD
J’ai lu avec émotion cette page d’une histoire peu connue en France. Je comprends la position des québecois face à la conscription. Je comprends que l’on refuse de se battre pour un état qui nie votre identité et qui vous traite en citoyens de seconde classe. Je n’y vois pas de raison d’avoir honte.
Merci à tous les cousins du Québec d’aimer si fort mon pays qui le leur rend si peu.
Blah ?