Train touristique de Charlevoix
J’ai testé pour vous le tout nouveau train touristique de Charlevoix mis en service début septembre, reliant Québec à La Malbaie, qui offre une vue unique sur le fleuve Saint-Laurent.
Photo : train au départ à la Chute Montmorency.
La ligne de chemin de fer qui suit le rivage du Saint-Laurent entre Québec et Clermont fait 147 km, ses débuts remontent à la fin du XIXe siècle.
La première partie de la ligne, entre Québec-Limoilou et Sainte-Anne-de-Beaupré, a été inaugurée en 1889. Elle était destinée au transport des pèlerins entre la capitale et la basilique Sainte-Anne. Le prolongement de la ligne jusqu’à La Malbaie-Clermont sera construit entre 1909 et 1919.
Concurrencé par l’automobile, le trafic voyageurs est abandonné en 1959 par la compagnie Canadien National qui exploite alors la ligne.
En 1984, un train touristique est lancé, “Le Tortillard du Saint-Laurent”, mais il ne parvient pas à la rentabilité et l’entreprise dépose le bilan l’année suivante.
En 1994, la voie est vendue par le Canadien National à la Société des chemins de fer du Québec (SCFQ). Cette société entretiendra la voie et fera payer un droit de passage aux trains de marchandises du CN.
“Le Tortillard” est relancé en 1995 et connaît à nouveau un échec l’année suivante avec plus de 2 millions de pertes.
En 2009, l’homme d’affaires Daniel Gauthier, le cofondateur du Cirque du Soleil qui a entrepris d’investir massivement dans le développement touristique de la région de Charlevoix, achète la filiale Chemin de fer Charlevoix à la SCFQ dans le but de rétablir une liaison voyageurs.
Le trafic de marchandises assuré par le Canadien National perdure sur la ligne jusqu’en mai 2010 lorsqu’un train déraille en raison la vétusté des voies. La voie est rétablie en décembre 2010, mais le principal client du CN sur cette ligne, le papetier AbitibiBowater qui charge du bois à Clermont, décide d’abandonner définitivement le train au profit de la route.
Le chantier de réhabilitation complète de la voie aura coûté plus de 18 millions de dollars (12 millions de financements provincial et fédéral, 3 millions du Canadien National qui se garde dans le cadre d’une entente la possibilité d’une nouvelle exploitation commerciale, et 3,4 millions de Daniel Gauthier).
La société Chemin de fer Charlevoix dépense également 38 millions pour son projet de train touristique. Cette nouvelle liaison voyageurs est destinée à amener des clients aux différentes installations du groupe de M. Gauthier, dont la station de ski de Petite-Rivière-Saint-François, “Le Massif”, et le projet hôtelier actuellement en construction à Baie-Saint-Paul, “La Ferme”.
Deux locomotives RS-18 (construction Montreal Locomotive Works, 1958, restaurées par Genesee-Wyoming) et deux wagons-génératrice sont achetés. Huit voitures de train de banlieue à deux niveaux datant de 1955-56 proviennent de Chicago (Union Pacific Railroad ) et sont complètement réaménagées en voitures-restaurants à Saguenay.
Six voitures ont une capacité de 68 passagers, les deux autres, accessibles aux handicapés (mais qui ne sont pas encore en service), peuvent embarquer 60 passagers. Chaque voiture dispose d’un galley où sont assemblés les plats déjà préparés aux cuisines de l’hôtel Fairmont-Manoir Richelieu à La Malbaie.
L’offre actuelle consiste en un aller-retour dans la journée entre Québec et La Malbaie avec repas “gastronomique” à l’aller comme au retour. Le prix est de 284 dollars par personne avec taxes (210 euros), sans les boissons en sus, ce qui place d’office la prestation dans le registre du luxe. Les passagers ont une escale de 3 heures à La Malbaie. La clientèle plutôt âgée choisit en grande majorité d’aller au casino du Manoir Richelieu, un autocar gratuit les y emmenant. Pour le reste, il faut dire qu’il n’y a pas grand-chose d’intéressant à La Malbaie.
J’ai donc testé ce nouveau train en charmante compagnie et le résultat est mitigé, surtout à ce prix-là. Il y a des problèmes qui relèvent de la jeunesse et qui seront sans doute corrigés et d’autres qui vous font dire qu’il y a eu des manques de réflexion.
Les points positifs
Les voitures, très hautes de plafond (ce sont d’anciennes voitures à deux niveaux), donnent une sensation d’espace. Les larges fenêtres procurent une grande clarté et la décoration, sobre et blanche, renforce le côté lumineux de l’atmosphère. Les sièges sont confortables. Bref, une belle réussite de design qui a bien su tirer parti de ces voitures plus toutes jeunes.
La cuisine, sans être exceptionnelle ni particulièrement originale, est de bonne facture. On sent le professionnalisme de l’équipe du Manoir Richelieu conduite par le chef Jean-Michel Breton, et malgré les contingences de plats assemblés à bord bien après leur réalisation, les assiettes qui arrivent à table ont belle allure, sont bien construites et appétissantes. Je n’ai pas noté de graves problèmes de températures, sauf parfois le froid qui est un peu trop froid, ce qui casse les arômes. Les réchauffages sont eux parfaits.
La vue sur le fleuve est bien sûr splendide, et unique puisque la route n’offre que très partiellement l’accès au rivage. Le spectacle est juste magnifique avec le train qui semble évoluer à fleur d’eau. Avec de bonnes conditions météo, n’hésitons pas à sortir l’adjectif “magique”.
Enfin, un mot sur le personnel qui est efficace, souriant, courtois, et en nombre suffisant.
Les points négatifs
L’accumulation de petits ratés a fait que mon expérience est globalement négative. Je sais bien que le train est encore en période de rodage, mais j’ai quand même payé le plein tarif et je n’ai pas le sentiment d’en avoir pour mon argent.
Gros accroc, on ne nous a pas servi les plats précommandés sur Internet. Au premier repas, j’ai pris ça de bonne humeur, au second, plus vraiment. Non, vraiment non, je ne suis définitivement pas le genre de personnes à commander un menu végétarien et je me suis senti un peu insulté quand le personnel a laissé entendre que j’avais peut-être des problèmes de mémoire. On nous a certes offert des digestifs à titre de compensation, mais cela me paraît insuffisant en regard du préjudice. Il y a manifestement un bug dans le système informatique, évitez donc la réservation sur le Web.
Second accroc culinaire, un plat d’un de mes commensaux était raté, un morceau de flétan trop sec, pas mangeable. Cela peut arriver à toutes les cuisines, y compris les plus grandes. Sauf qu’ils n’ont pas de plats de substitution en cas d’accident. Zéro, nada, aucune marge de sécurité. Ce n’est pas professionnel.
Troisième accroc culinaire : un pain parfaitement médiocre. Il y a qu’à le regarder en photo pour imaginer ce que c’est.
La carte des vins est faiblarde, et il n’y a pas de vins offerts au verre.
Enfin, pour une “croisière gastronomique” qui se veut le reflet des terroirs, il n’y a que des bières importées dans un choix ultralimité. Pas une seule bière québécoise et encore moins d’une brasserie du Charlevoix. Sachant qu’il y a dans la province des microbrasseries qui produisent parmi les meilleures bières du monde, par exemple À l’Abri de la Tempête, c’est ridicule. Juste de la Newcastle ou de la Moretti ? Je n’arrive tout juste pas à y croire. Comble d’ironie, le diaporama sur l’iPad qui est sur chaque table nous apprend que oui, on fait bien de la bonne bière en Charlevoix.
Dernier détail concernant la table, je ne connais aucun restaurant “gastronomique” qui ne propose pas de café expresso.
Pour ce qui est du train, il y a des mauvaises places. Nous étions côté terre, ce qui fait que nous n’avons pas profité du spectacle du fleuve dans sa pleine mesure, ni à l’aller, ni au retour, puisque personne n’a pensé à la possibilité d’inverser le placement des gens entre l’aller et le retour.
Par contre, si je n’avais pas la plus belle vue sur la nature, j’avais une excellente vue panoramique sur les chiottes, d’autant plus que la moitié des gens oubliaient, par étourderie ou manque d’éducation, de fermer la porte après usage. Rajoutez les odeurs au visuel, et vous avez une idée de mon expérience gastronomique faite de plats végétariens que je n’avais pas commandé, pour presque 350 dollars (avec les boissons).
Un dernier point, si vous avez des problèmes d’accessibilité, évitez de réserver avant qu’ils n’aient mis en service les deux voitures spécialement aménagées, il y a actuellement une marche d’environ 40 cm pour embarquer qui peut être très pénible.
Conclusion
Vous êtes mieux d’attendre que la période de rodage s’achève si l’aventure vous tente. Il y a des éléments clairement pas au point et vous risquez une déception comme la mienne. Si l’entreprise tient compte des critiques légitimes et corrige le tir sur ces méchants petits détails qui peuvent ruiner une expérience, le train touristique de Charlevoix deviendra sans doute un incontournable du tourisme haut de gamme de la région de Québec. Un très beau projet sur le papier, il faut maintenant que la réalité suive, que la “promesse produit” soit remplie. Le luxe laisse beaucoup moins de place à l’approximation qui serait pardonnable dans d’autres contextes. Là, j’ai juste le sentiment d’avoir été gentiment abusé.
Renseignements
Train touristique de Charlevoix.
Photos
Locomotive RS-18.
Voiture-restaurant.
Un aménagement intérieur réussi, spacieux et lumineux.
Un pain de qualité très médiocre.
Entrée végétarienne. Ils ont mis une orchidée (ça se mange ?) pour masquer la laideur.
“Crème brûlée de foie gras de canard de La Ferme Basque de Charlevoix, Brioche aux bleuets.” Très correct, mais la brioche semble en fait être une pâte à choux du genre goujère, ce qui n’est pas un problème de qualité mais d’information.
Plat végétarien. Couscous de légumes, passable et un peu insipide.
“Bisque crémée à l’huile de homard façon cappucino, Raviolis de fromage de chèvre aux tomates séchées.” Une réussite, bisque savoureuse.
“Panna cotta au chocolat blanc et mousse au café; Caramel de pomme au gingembre.” Impeccable, les saveurs sont là.
Un genre de gâteau au fromage, joli, sans plus.
“Fines tranches de canard de La Ferme Basque de Charlevoix fumé aux épices, Compote de cerises jubilé au miel et taboulé de mangue poivrée.”
Une entrée végétarienne très plaisante à l’œil, un peu moins en bouche (un peu fade).
Un choix de bières ridicule quand on se targue de faire découvrir des produits locaux.
Une carte des vins indigente. Pas de vins au verre. Ce n’est pas à la hauteur d’une restauration qui se veut “gastronomique”. Le coefficient est dans les trois, ce qui n’a rien de choquant dans la restauration, mais le choix de vins est vraiment médiocre.
Une accessibilité problématique, mais on nous a promis que cela serait vite corrigé. À mon avis, les quais devraient à terme être surélevés pour un plus grand confort.
Le clou du spectacle : un voyage avec vue panoramique sur les toilettes. Il manque peut-être un rideau et une éducation du public qui ne sait pas fermer une porte, mais pour un wagon-restaurant, c’est juste mal conçu et corriger cette erreur s’avérera difficile.
Martine
Merci pour cette revue détaillée du parcours! J’en parlais justement avec Ed en fin de semaine et comme nous ne connaissons pas Charlevoix - même si je viens de Québec - nous avons songé à faire ce voyage en train. Le prix me rebutait par contre et j’avais envie de passer plus de temps dans la région, ce qui augmenterait la facture. Je pense qu’on va attendre à l’an prochain, si le projet survit, si le tout s’améliore et si on peut avoir des sièges côté fleuve… Il paraît que presque tout est réservé pour cette année de toute manière.
Laurent Gloaguen
À ce prix là et en l’état des choses, connaissant par ailleurs les exigences gastronomiques de Ed, je vous conseille d’éviter pour l’instant. Le rapport qualité/prix n’est pas au rendez-vous.
Fadette
C’est dommage d’avoir lancé ce projet touristique alors qu’il est semble pas très au point. J’étais très tentée avec les publicités à la télévision, mais à 650$ par couple pour une journée après avoir lu ça, ça me fait réflechir. Comme Martine, je vais attendre de voir ce que ça donne l’année prochaine.
Gagarine
Concernant la brioche aux bleuets, ils ont dû être à court pour votre voyage. Dans la vidéo de présentation, on la voit distinctement. Mais bon, sur le fond, cela ne change rien au problème. Le serveur aurait dû mentionner (et s’excuser pour) le changement, au moins au moment de servir le plat.
Sinon, vous avez envoyé le billet à l’exploitant? Je serais intéressé de voir leur réaction.
padawan
Tu as survécu à un repas végétarien ? Woha !
José-Lyne Bélanger
Bonjour, je travaille pour le Bureau de la sécurité des transports et j’aimerais utiliser votre photo du train pour le rapport annuel.
Pourriez vous me donner la permission de m’en servir.
merci
Blah ?