Journal de bord

jeudi 12 juin 2003

Vive la France

Ce sont les Français qui me livrent, mais je crie “Vive la France”, les Allemands qui m’exécutent, et je crie “Vive le peuple allemand et l’Allemagne de demain”.
Guido Brancadoro, 30 avril 1942 - fusillé à l’âge de 21 ans.

La Vie à en mourir : Lettres de fusillés, 1941-1944, Taillandier (ISBN : 2847340793). 130 lettres de résistants fusillés, un livre à lire, découvert chez Matoo.

Ces lettres de la dernière heure constituent un acte de résistance. Elles sont destinées à être lues, répétées, au sein de la famille, et dans un cercle plus large. Ces hommes se tiennent debout, sans regrets, face à la mort. Ils redisent inlassablement leur amour à ceux qui resteront. Ceux-là, surtout, les préoccupent : de quoi vivra leur femme, leurs enfants feront-ils de bonnes études, trouveront-ils un bon métier ? Ils parlent philosophie, foi, sacrifice, ils apprivoisent la mort. Souvent, ils nous étonnent. Fertet, un gamin fusillé à Besançon, répartit bouquins et soldats de plomb. Beck, un communiste polonais, s’étend sur l’ordonnancement posthume de son jardin. À quelques heures du trépas, ces combattants de la liberté livrent une inoubliable leçon de ténacité, de courage, de dignité.
[Présentation de l’éditeur].

Lettre de Joseph Epstein à sa femme et à son fils. “Ma petite Paula bien-aimée, Fidèle jusqu’au dernier souffle à mon idéal, cet après-midi à15 heures, je tomberai fusillé. Je te laisse seule avec notre petit garçon chéri. Je ne pense qu’à vous deux. Je vous aime tellement, je t’aime tellement, ma petite chérie. Je te demande pardon de tout le mal que j’ai pu te faire. Tu m’as donné tellement de bonheur.” (…)

Des voix. Plus d’une centaine de voix arrachées à l’oubli. Moins des cris que des appels. Appel à l’espérance, à la fraternité. Des regrets, bien sûr, de laisser ceux qu’on aime dans la peine et l’insécurité, mais de remords aucun.

En présentant cette copieuse et intelligente anthologie d’adresses “d’outre-tombe et d’outre fosses communes” , François Marcot, professeur à l’université de Besançon et conseiller historique du Musée de la Résistance et de la déportation de la ville, pose crûment la seule question qui vaille devant le sacrifice de ces anonymes - la notoriété de Gabriel Péri, Guy Môquet ou Honoré d’Estienne d’Orves ne contrebalançant pas le poids des victimes restées dans l’ombre : “Qu’avons-nous fait de leur idéal de solidarité ? Quelle signification avons-nous donnée à leur mort ?”

(…)

La diversité des cas retenus, l’intelligence du dispositif (la lettre, telle quelle, puis une brève notice explicative pour que l’émotion, intacte, n’ait pas le dernier mot, piège d’une compassion qui dispense souvent de l’analyse), la qualité des annexes, tout concourt, à force de sobriété et d’efficacité simple, à faire de ce recueil un grand livre. A lire pour rendre à ces martyrs leur voix propres, débarrassées des interprétations postérieures. Avec les mots de leur engagement, ceux de leur passion, de leur rage et de leur générosité. Nulle recomposition. Aucune reformulation. Même l’orthographe originale a été conservée (ce qu’un bref cahier d’illustrations, émouvant en cela même qu’il donne à voir la matérialité de la dernière trace, permet de confirmer).

Et on ne sourit pas lorsqu’on lit la lettre du fondeur Jean-Pierre Timbaud, ouvrier syndiqué et militant communiste qui ne fut quasiment pas scolarisé, à sa femme et à sa fille : “Toute ma vie jais combattue pour une humanité mailleure jais le grandes confiance que vous verait realise mon rêve ma mort aura servie a quelque choses mai derniere pensée serront tout d abord a vous deux mes deux amours de ma vie et puis au grand ideau de ma vie. Au revoire me deux chere amours de ma vi du courage vous me le juré vive la France vive le proletariat international.”

[Le Monde, 9 mai 2003.]

1. Le 12 juin 2003,
Pierre CARION

Merci Laurent pour ce billet.

J’ai eu la george serree en le lisant, et je viens de commander ce livre.

2. Le 12 juin 2003,
merriadoc

Pas mieux.

3. Le 13 juin 2003,
Edouard

Tout à fait impressionnant.

4. Le 13 juin 2003,
be-rewt

C’est moi qui le prend comme ça ou c’est une réponse implicite à merdeinfrance ?

5. Le 13 juin 2003,
Laurent

Très sincèrement, je n’ai pas pensé à lui. Mais cela lui ferait sans doute un bon livre à acheter.

6. Le 13 juin 2003,
Matoo

Evidemment, le bouquin est pro-résistant et est orienté. Il faut avoir cela en tête en effet. Mais il ne s’agit que d’un recueil de lettres, une simple recopie… Cet ouvrage parle plus de l’attitude des hommes face à leur mort imminente, des hommes jeunes et très engagés politiquement. Il s’agit donc moins de faire cocorico, que d’être confronté à des jeunots qui expriment leur amour de leur patrie, de leurs parents, enfants, de leurs idéaux etc. C’est assez universel je crois… Ouai ouai, je crois qu’il y a assez de fusillés pour raison politique dans le monde… non ?

7. Le 14 juin 2003,
Laurent

Personne ne fait cocorico, même si le titre de mon billet peut y faire penser. C’est juste la reprise des paroles de Guido Brancadoro.

8. Le 23 octobre 2007,
Cécile de Quoide9

Sujet d’actualité…

Blah ? Touitter !