Lestrade, le communautaire
[Photo Milenio.]
[…] Par bien des aspects, Pourquoi les gays sont passés à droite est d’abord un récit personnel. Un des plus grands militants homosexuels français raconte son parcours circulaire, de sa province natale au retour en province à l’âge de la maturité. Entre les deux, il y a bien sûr: Paris. Plus Lucien de Rubempré que Rastignac, Lestrade a connu la nuit urbaine, le journalisme (il sera adopté par le magazine Gai Pied qui sera pour lui “une seconde famille”), le militantisme gay (“je trouve leur discours trop obtus et surtout trop triste”), la passion pour la house et la musique techno dont il fut l’un des introducteurs en France et dont il deviendra le critique du journal Libération. Et puis, bien sûr, le sida. Lestrade appartient à cette génération d’homosexuels, unique dans l’histoire, qui, entre 1983 et les années 2000, ont perdu un grand nombre de leurs amis. Au retour d’un voyage aux États-Unis, il crée Act Up-Paris à l’été 1989. Son combat, radical et d’abord solitaire, aura finalement un impact considérable sur l’histoire de la pandémie et sur la politique française.
De ces années de luttes dures, Lestrade a conservé une certitude: le communautarisme sida a sauvé des dizaines de milliers de vies dans les années 1990. Pour lui, “les minorités se développent, s’épanouissent et s’affirment au sein de la société à travers la notion de groupe”. Lestrade assume, ce qui est rare en France, une position communautariste. Aimanté par les quartiers gays des États-Unis, il pense que les gays ont réussi à s’entraider parce qu’ils formaient une communauté. Et cette idée le fascine.
A partir de là, Lestrade va concentrer ses attaques contre le modèle républicain français, aveugle aux différences, rigide dans son universalisme abstrait, qui cache trop bien son racisme et son homophobie sous couvert de l’égalité pour tous. Lestrade dénonce une France qui “s’est engluée dans son refus obsessionnel de la discrimination positive et du multiculturalisme”. Il rappelle aussi, dans une confession très personnelle, comment “la République” lui a “enlevé” un de ses boyfriends arabes, qui n’a pas pu rester avec lui parce qu’il n’était pas Français et n’avait probablement pas de papiers.
En cela, son parcours est un peu l’inverse de celui de Caroline Fourest, née dans le communautarisme dur et qui va évoluer vers le républicanisme obtus.
[…] Lestrade consacre à cette journaliste multi-cartes ultra-féministe, qui squatte les plateaux de télévision, un chapitre complet d’une particulière dureté. Après avoir mis en lumière l’ultra-communautarisme de Caroline Fourest, lorsqu’elle présidait le Centre Gay et Lesbien de Paris et animait la revue ProChoix (qui développait “une analyse du monde à partir de l’angle gay”), Lestrade note son basculement en “passionaria de la laïcité” et bientôt en islamophobe caricaturale. Il étrille cette “success woman de la guerre contre l’Islam” et pointe habillement ses contradictions. Lestrade est très en colère et s’adresse à elle directement: “Nous nous désolidarisons de toi, tout de suite… Tu devrais avoir honte”. Que Caroline Fourest, égérie des lesbiennes, s’en prenne à une autre minorité “ça, écrit Lestrade, on ne l’a jamais fait”.
Après cette charge où la sincérité frappe à chaque ligne, Lestrade continue le passage en revue des figures qui “déshonorent” la cause gay dans “cette vieille France de Renaud Camus”. Voici le tour de Frédéric Mitterrand. Là, difficile de taxer le ministre de la Culture de “raciste”, étant donné qu’il a la double nationalité tunisienne et qu’il passe toutes ses vacances dans sa maison de Tunisie. Lestrade attaque ailleurs où, évidemment, ça fait mal: le tourisme sexuel. Il fut déjà, durant l’affaire de La Mauvaise Vie de l’automne 2009, un critique sévère du comportement du ministre de la Culture. Il récidive dans ce livre. C’est la charge la plus dure que j’ai lue d’un gay contre le comportement de Frédéric Mitterrand. Elle fera date.
Voici le tour du romancier et critique littéraire Joseph Macé-Scaron. Après avoir décrit comment ce journaliste réactionnaire du Figaro portant polo Fred Perry (symbole des skinheads) était devenu “wild” et “macho” à Marianne, Lestrade dénonce ses livres où il bascule à droite et s’en prend à sa propre communauté: “C’est comme si un plombier polonais écrivait un livre pour s’en prendre à la vague des plombiers polonais qui sont arrivés en même temps que lui”. Pour Lestrade, “c’est la version light de ce que dit Renaud Camus”.
On pourrait trouver off the limit cette tonalité pamphlétaire du livre et regretter autant d’attaques ad hominem. On n’a pas oublié, d’ailleurs, que Didier Lestrade a toujours été un partisan de l‘“outing”, action qui consiste à dévoiler publiquement l’homosexualité de gays cachés lorsqu’ils se révèlent publiquement homophobes. Alors comment se fait-il que l’on trouve la charge efficace et jouissive?
L’une des raisons profondes de l’intérêt que suscite Pourquoi les gays sont passés à droite réside dans la personnalisation du livre par son auteur. On ne lit pas un essai, pas même un pamphlet, mais plutôt le témoignage personnel d’une des principales figures françaises du monde gay d’aujourd’hui. Va-t-il trop loin? Oui, bien sûr, et Lestrade répond par avance à la critique: “Oh, vous me trouvez trop personnel, trop intime? Mais vous savez, on a le droit de dire ces choses-là entre gays et lesbiennes. C’est comme les blagues juives, il faut être un peu juif pour les comprendre vraiment. Entre nous, on a le droit de se dire ses quatre vérités”. Argument imparable.
[…] Didier Lestrade était l’homme idoine. Désormais provincial, loin des coteries parisiennes et de ses opportunismes contraints, se situant bien au-delà des désillusions perdues, autant attaché à la décroissance qu’à l’indépendance, heureux des plaisirs de la campagne — ici idéalisée à travers le jardinage et l’amour des chiens en liberté — l’ex-diva de la house music a acquis une image de grand sage.
A 54 ans, il peut tout dire. C’est un Renaud Camus qui a bien vieilli, une Caroline Fourest qui n’est pas aigrie, un Macé-Scaron qui aurait enfin lu Montaigne. Son livre Pourquoi les gays sont passés à droite est un bijou, rare, incongru, inattendu. Un sourire. Pour moi, c’est un des livres les plus justes que j’ai lus sur la question gay contemporaine.
L’Express, Frédéric Martel : “Comment Sarkozy va tenter de récupérer le vote gay par la peur de l’Islam”.
Didier Lestrade, Pourquoi les gays sont passés à droite. Le Seuil, 142 p., 14,50 euros.
Lestrade publie aussi avec Gilles Pialoux Sida 2.0, Regards croisés sur 30 ans d’une pandémie… et demain ?. Éditions Fleuve Noir, 460 p., 19,20 euros.
francbelge
Qu’il est hot… :-)
Marie-Aude
Si j’ai tout compris, les bons communautaires, c’est ceux qui font la tournée des bougnats, c’est ça ? ^^
VinZ
J’aime pas chez Lestrade cette volonté d’union des minorités (gay, arabes, etc.), il y a un côté identitaire qui me dérange. Je crois à la communauté nationale, au vivre-ensemble, plutôt qu’au communautarisme.
Surtout, j’ai du mal à ne pas voir du sexisme chez Lestrade, surtout quand il s’en prend à Fourest, coupable d’être lesbienne et de défendre les droits des femmes face à l’obscurantisme musulman.
Pour suivre le travail de Caroline Fourest (j’écris de temps en temps des articles pour la revue ProChoix), lui reprocher d’être en “guerre contre l’islam”, de “s’en prendre à une autre minorité”, c’est juste ridicule (elle dénonce régulièrement les vraies dérives, à la Riposte Laïque)… et c’est confondre une religion et son obscurantisme.
Pour info, un article de Fourest il y a un mois, évoquant les attaques de Lestrade et Martel.
Marie-Aude
@VinZ, chaque religion a ses obscurantismes. Néanmoins, alors qu’au début j’étais très séduite par Caroline Fourest, j’ai remarqué beaucoup d’approximations et de malhonnêtetés intellectuelles dans ses attaques (pour ne pas dire de “mensonges”, disons qu’au mieux elle ne vérifie pas toujours ses sources, ou bien elle tronque les phrases exactement comme ça l’arrange, pour en changer le sens réel). J’aimerais bien aussi tous lire plus régulièrement chez tous ces afficionados de la lutte contre l’obscurantisme musulman les mêmes attaques contre l’obscurantisme chrétien ou juif, notamment celui qui a droit de cité dans la communauté européenne, et qui rend la vie des femmes irlandaises, (entre autres mais pas seulement) si difficile. A défaut de lire ce genre de choses, j’ai quand même le sentiment que le viseur est pointé très spécifiquement sur une religion donnée, et dans ce cas, les arguments “oui mais vous comprenez ce n’est pas l’islam que j’attaque, mais ses excès” ont quand même un énorme air de faux nez.
VinZ
En même temps, allez trouver quelqu’un qui ne triture pas, consciemment ou pas, les mots d’un autre pour lui faire dire ce qu’il n’a pas dit. Qui ne va interpréter les phrases ambigues dans le sens qui l’arrange…
Prenons Pascal Boniface, qui a consacré un chapitre de son livre “Les intellectuels faussaires” à Fourest, lui reprochant approximations et citations tronquées, tout en faisant la même chose en pire pour tenter de prouver qu’elle serait islamophobe et sioniste…
Après, c’est normal qu’en France, on tape plus souvent sur l’islam que sur les autres pour l’instant, parce que c’est actuellement la religion qui provoque le plus de choses (voiles, burkas, prières dans la rue, revendications sur le halal) à contrôler/résoudre dans le cadre de notre laïcité. Mais, pour continuer sur l’exemple de Fourest, elle a écrit récemment un livre sur l’Opus Dei avec Fiammetta Venner, on les a même accusé de mener une campagne contre le pape parce qu’elles étaient à l’origine de la révélation des propos négationnistes de l’intégriste Williamson…
Marie-Aude
Je suis désolée, VinZ, mais triturer consciemment, de la part de quelqu’un qui se présente comme journaliste, ça ressort de la faute professionnelle. De la part de quelqu’un qui se présente comme intellectuelle, ça jette un doute plus que sérieux sur tout ce qu’elle dit.
Quand quelqu’un dit “si on peut comprendre la violence des palestiniens, le terrorisme n’est pour autant pas acceptable” et que Caroline Fourest cite “on peut comprendre la violence des Palestiniens” en expliquant que c’est un soutien aux terroristes, pour moi cela va largement au delà du triturage.
Quant à dire que l’Islam “provoque” le plus de choses à contrôler / résoudre dans notre laïcité, je crois plutôt que l’Islam est mis en permanence sous le feu de la rampe, parce que c’est un exhutoire bien pratique. Autrement dit, vieux proverbe laïc bien français, quand on veut noyer son chien on l’accuse de la rage.
Je suis très intéressée de savoir en quoi, dans une perspective de laïcité, les revendications sur le halal posent plus de problème que sur la cashrout ? En quoi le voile porté par une personne privée, c’est à dire non détentrice de l’autorité de l’état, est plus problématique qu’une soutane, qu’une robe de bouddhiste ou qu’une perruque juive ? En quoi la burka qui n’a jamais été portée en France serait un problème, et en quoi le fait qu’entre 200 et un milliers de nanas allumées choisissent de porter le niquab pose plus de problème que les centaines de milliers de femmes anorexiques ?
Sans doute parce que ce sont des thèmes de campagne faciles, et qui n’engagent pas à un résultat concret, à la différence de la lutte contre le chômage ?
Vous m’excuserez d’y trouver un goût très amer, et d’y entendre un certain nombre de choses qui ont sifflé aux oreilles de mon père et de ses frères, en d’autres temps.
Peut être n’avons nous pas tout à fait la même vision de la communauté nationale.
(Désolée de troller, mon capitaine…)
Laurent Gloaguen
C’est bien la première fois en presque 10 ans d’existence qu’on s’excuse de troller ici… Non, votre débat est intéressant, continuez :-)
Marie-Aude
Ah alors si on m’encourage :) ^^
blah
Quelqu’un peut m’expliquer pourquoi Caroline Fourest reçoit autant de critiques ?
C’est une des journalistes d’opinion les plus sensées que je connaisse. Ses positions sont toujours nuancées et justifiées (elle était contre la dernière loi sur le voile, au fait), et elle prend le temps de répondre aux attaques dont elle est victime, c’est assez rare pour le noter.
Même si je n’ai pas vérifié les accusations de malhonnêteté intellectuelle portées contre elle je trouve qu’elle fait toujours preuve de transparence, de clarté et de pertinence dans ses écrits, si bien que ses fautes potentielles qu’on s’acharne à vouloir soulever me sembleraient, si elles étaient vraies, bien ridicules par rapport ses mérites.
padawan
@blah : toujours regarder d’où vient la critique. En l’occurence certaines viennent de gens qui ont le don de se fâcher avec beaucoup de monde, on plus précisément dont c’est le fond de commerce.
Blah ? Touitter !