Confusion visuelle
[Battle of Antietam. Collodion humide par Richard Barnes.]
Cette image m’excite autant qu’elle me met mal à l’aise. Elle est, dans une certaine mesure, directement reliée au phénomène Instagram. Nous vivons une époque de confusion des médias et des esthétiques. Les repères chronologiques habituels se brouillent.
Ah, cette photo, j’en jurerai, c’est un inversible, elle a été prise sur du Kodachrome 64, probablement dans les années 70. Ah, non, elle provient d’un iPhone. Ah, quelle magnifique plaque de la guerre de Sécession, mais que vient faire cette automobile ?
J’ai le sentiment, mais je peux me tromper, et ce n’est pas un jugement de valeur (car, nullement, je ne souhaite me faire traiter de vieux con), que nous sommes depuis presque une décennie dans une phase de recyclage, d’où rien de vraiment neuf ne ressort comme phénomène appréciable. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que nous vivons une intense période de bouleversement visuel. Mais que deviendront nos repères ? D’une certaine façon, le vocable photographique devient de plus en plus difficile à décrypter et demande une culture chaque fois plus large. Je crains que cela devienne assez inaccessible, et donc trompeur.
D’un côté positif, savoir qu’un froid et pauvre cliché numérique nécessite un filtre transmuant les pixels dans une apparence de support analogique pour regagner une certaine noblesse et séduction, c’est une ode à notre passé technologique qui flatte le plus passéiste d’entre nous, mais c’est aussi avouer le manque flagrant de poésie de notre modernité. Oui, en fait, je ne sais pas si c’était un côté positif…
Peut-être aussi que l’analogique apporte une touche stochastique considérée comme une certaine chaleur… Peut-être sommes-nous dans la quête de l’imperfection dans l’aseptisation proprette du numérique.
Un indice irréfutable est ce que j’appellerai le holgaïsme, qui fait des ravages chez les plus jeunes, qui correspond, en gros, à mettre un cul de bouteille en plastique devant un capteur du réel de dernière génération, et qui me semble, par nature, très différent des, déjà ringards à leur propre époque dans les années 1970, qui mettaient de la glycérine sur leur filtre UV.
La part de hasard est devenue comme une protestation anarchiste face à la perfection technologique.
Mais, je m’éloigne de mon sujet premier, le vocabulaire visuel se brouille, sans toutefois créer. J’ai aussi, dans un recoin de mon esprit, que l’innovation esthétique est terminée, nous sommes dans l’ère du “post”, voire du “post-post”. Mais je vais passer encore pour un vieux con, alors qu’il n’en est rien, je suis super excité par tout ce qui se passe actuellement sur le plan du langage visuel.
Karl, La Grange
Je ne pense pas. Pour les utilisateurs proches autour de moi qui utilisent les filtres Instagram et autres. Ce n’est pas une protestation mais bien plus une recherche de plaisir et d’émotions. Dans le processus de sélection du filtre adéquat, il y a parfois plusieurs minutes. Pour d’autres cela pratique plus de l’automatisme (sens artistique du terme),
Je ne pense pas que l’innovation esthétique est terminée, elle prend en revanche des formes qui ont d’autres dimensions physiques et conceptuelles. Le phénomène des drones (pas seulement d’Afghanistan) en tant qu’outil de modifications de nos sociétés est important. Les cartes numériques et collectives éditables sont en train de modifier une esthétique géopolitique, etc.
New Aesthetic
Denys
En ce moment, chez The Vintagent, on aime beaucoup photographier des petites vieilles avec du vieux.
Krysalia
pour moi ça participe d’un choix d’imperfections. On sait que l’image sera toujours imparfaite (par sa nature même de produit des choix de cadrage, de composition, de lumière etc) mais aussi techniquement.
On préfère alors les filtres et leurs imperfections pour lesquelles on a développé de l’affectif, une histoire, qui nous paraissent rendre un vécu… par rapport aux imperfections du numérique qui ne nous évoquent rien pour l’instant. On remplace donc les secondes par les autres, et ce choix s’ajoute aux autres (compo/cadrage etc), dans ce qui apparaît être une démarche artistique pour celui qui le fait.
Ce n’est plus dans le geste et la technique mais dans l’exercice du choix que l’art se trouve, pour les utilisateurs d’instagram. C’est d’ailleurs ce que disait Karl : ce choix est vécu comme important puisqu’il faut parfois plusieurs minutes et plusieurs repentirs pour l’exercer, parmi toutes les possibilités du logiciel.
Peut être que nos enfants diront qu’ils veulent ternir leurs images numériques et trafiquer les couleurs/la netteté, pour obtenir ce look d’image numérique brute des années 2000, qui “leur rappelle tant de choses”, ou qui fait “vintage” :D.
xave
Vieux con.
“On n’invente plus rien, c’était mieux avant…” Nan, avant, on a toujours fait de la merde aussi, on s’est toujours reposé sur des formules éprouvées aussi. Et puis un jour, on regarde en arrière, et on ne se souvient justement que de ce qui a été éprouvé, la merde, on l’oublie facilement.
Moi, mon truc, c’est la musique. À chaque fois qu’on me dit “on n’invente plus rien, on recycle”, je conseille d’aller jeter un coup d’œil aux classement des ventes d’il y a dix, quinze ou quarante ans. Il y en avait, des putains de sombre merdes sans imagination, copiant les formules et se ressemblant toutes, mais on a retenu les Beatles ou Brel.
Je n’y connais absolument rien en photo, mais que 99% des amateurs se reposent sur des formules, ça ne m’étonne ni ne me choque. Et que les formules soient une reproduction des albums photos des parents, non plus, tout le monde est nostalgique, tout le temps. Les artistes sont ailleurs. On les repérera avec le recul (et si ça se trouve, on les copiera, et des vieux cons diront “ah, c’était mieux avant. Maintenant on ne fait que recycler.”)
Guy Verville
Je suis d’accord avec Karl et Xave. Il ne faut pas confondre expression artistique et moyen artistique. Seul le Temps, avec son grand T bien droit permet de séparer le bon de la répétition. Ni Mozart ni Bach n’y ont échappé. Ils ont produit quantité de bien belles œuvres gavées aux mêmes recettes. Mais ils ont quand même laissé leur trace dans la mémoire collective d’une parcelle de l’humanité, l’occidentale tandis que leurs contemporains ont reproduit ad nauseam des piécettes de salon. Toi-même, souvent dans ces pages, tu ne répètes ou ne digères que ce qui a été émis par d’autres.
On parle souvent de «démocratisation» de l’expression. Certains diront que c’est un nivellement par le bas. Il y a certes beaucoup de «bruit», la communication tant artistique que prosaïque semble s’apparenter à une cacophonie brute et sans but.
Il faut faire encore une fois confiance au Temps (ou temps sans ses décorations). Quelques voix s’élèvent, s’élèveront et nous émerveillent, continueront de nous épater. Le reste n’est que littérature et fausse bourgeoisie.
Guy Verville
J’ajouterais que cette capacité nouvelle à «reproduire» l’ancien est signe que nous sommes mûrs pour une nouvelle interprétation des choses. Tel un souffle quantique, les frontières se brouilleront pour laisser la place à l’expression de nouvelles visions. Encore faudra-t-il posséder l’intelligence pour y déceler un sens. Car c’est bien le danger qui nous guette. Devant l’incertitude, l’espèce humaine a tendance à faire des conneries.
Bob Marcel
Instagram ça peut être drôle de temps en temps. Mais tout le temps, ça masque juste la médiocrité de la photo de base. Mais je crois aussi que tu es en train de devenir un vieux con, après avoir été un jeune péteux.
Blah ? Touitter !