Procès photoréaliste
Une affaire en France intéressante où la juge considère qu’un tableau ou dessin photoréaliste est de fait une photographie, ce qui peut en partie se concevoir, à tel point que la juge écrit dans ses attendus « clichés photographiques » alors qu’il s’agit de peintures à l’huile et de dessins à la pointe Bic.
On concluera aussi qu’il faut se méfier de ses anciennes copines…
[Juan Francisco Casas : Virginie After Hours.]
FAITS ET PROCÉDURE
Vu l’autorisation d’assigner en référé à heure indiquée devant nous accordée le 16 août 2012 à Virginie G. ;
Vu l’assignation qu’en suite de cette autorisation et par acte en date du 22 août suivant cette requérante a fait délivrer à Juan F., par laquelle il nous est demandé :
- à la suite de diffusion sur 24 sites internet dont ceux du défendeur, de la reproduction de son image au moyen d’œuvres « photoréalistes » réalisées par le défendeur à partir de clichés photographiques pris lors de leur vie commune entre 2002 et 2004, œuvres qui portent atteinte tant à son droit à l’image qu’à sa vie privée,
- au visa des articles 9 et 1382 du code civil et de l’article 809 du code de procédure civile,
- d’ordonner au défendeur « de s‘abstenir à l‘avenir de diffuser par quelque moyen que ce voit des images, portraits, dessins, photographies et peintures représentant Mademoiselle Virginie G. et obtenues à son insu » ;
- de le condamner à lui verser une provision indemnitaire d’un montant de 20 000 € et une somme de 4500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre celle de 350 € en remboursement des frais de constat d’huissier ;
Vu les conclusions en défense oralement développées par lesquelles Juan F. fait valoir que la demande principale est sans objet, la demanderesse ayant consenti tant à création des tableaux qu’à leur diffusion dans la sphère publique, qu’en toute hypothèse, elle n’est pas reconnaissable et, qu’enfin, s’agissant d’œuvres d’art le consentement de la personne représentée n’est pas nécessaire dès lors que lesdites œuvres ne portent pas atteinte à sa dignité ; à titre subsidiaire, le défendeur conteste le préjudice allégué et demande que soit déclarée irrecevable la demande visant des sites internet non contrôlés par lui ; reconventionnellement, en raison notamment de l’envoi par la demanderesse à des galeries ou musées de courriers le mettant dans une situation délicate vis-à-vis de ses partenaires, il demande sa condamnation à lui verser la somme provisionnelle de 1 euro outre celle de 7000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’à adresser à chacun des destinataires de ces courriers, une copie de l’ordonnance ;
Après avoir entendu les conseils des parties — après renvois du 6 septembre au 18 octobre 2012, puis du 18 octobre au 6 décembre suivant — le 6 décembre 2012 en notre cabinet portes ouvertes et leur avoir indiqué que l’ordonnance, mise en délibéré, serait rendue par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2013 ;
DISCUSSION
Attendu que Virginie G. expose qu’à l’occasion d’un séjour d’étude en Espagne, elle a, de 2002 à 2004, entretenu une relation sentimentale et vécu avec Juan F. ; que celui-ci a, durant cette période pris plusieurs clichés photographiques d’elle lui promettant de ne pas en faire usage ; qu’au terme de cette relation elle aurait vainement demandé la restitution de ces clichés et ensuite constaté que certains d’entre eux, parmi lesquels figurent des clichés particulièrement intimes, avaient été reproduits par l’utilisation d’une technique particulière au moyen d’un stylo « Bic » produisant une image qualifiée de « photoréaliste » ; qu’elle se plaint spécialement de cinq reproductions de son image :
- une pour laquelle le défendeur a reçu un prix et qui la représente assise vêtue d’une robe noire,
- une représentant la demanderesse dans des ébats amoureux intitulée « Autoretratoconvirginie2 »,
- une où elle apparaît dénudée les mains sur les seins,
- une autre le visage recouvert d’un masque cosmétique embrassant un homme,
- et enfin, une dernière où elle apparaît courbée, deux personnes étant accroupies à ses cotés ;
[Juan Francisco Casas : Therelaxingagosto#1 07/02/2008.]
Que le défendeur, qui se présente comme un « artiste peintre mondialement connu depuis plusieurs années dans le secteur de l’art contemporain », confirme exercer son art selon cette technique précisant que les « photographies font partie intégrante de cette démarche créative » et reconnaissant avoir utilisé des clichés photographiques de la demanderesse avec qui il vivait une relation de couple ; qu’il soutient que celle-ci l’a accompagné dans ses réalisations artistiques, manifestant ainsi son accord à l’utilisation des clichés photographiques pris avec son consentement ; qu’elle était notamment présente, en février 2004, lors de la cérémonie de remise par le ministre espagnol de la culture, du prix attribué par le journal ABC récompensant son œuvre intitulée Retrato de Virginie représentant la demanderesse et que, par la suite, ses correspondances électroniques démontrent qu’elle a suivi l’évolution de ses productions et a manifesté son accord à l’utilisation de clichés photographiques la représentant ;
Attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 9 du code civil que toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée, à ce titre, à obtenir réparation d’une révélation au public de faits relatifs à sa vie personnelle et familiale, et dispose sur son image et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à la publication de celle-ci sans son autorisation ; que ces droits sont également consacrés par l‘article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui crée une obligation positive pour les Etats signataires de cette convention de les faire respecter ; que ces droits doivent cependant être conciliés avec le principe de la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la même convention, dans le cadre de l’équilibre qu’il revient au juge de dégager, en vertu du second alinéa dudit article 10 ;
Attendu qu’il convient de relever que la première des conditions de l’existence d’une atteinte à ces droits de la personnalité est que la personne qui s’en plaint soit identifiée ou identifiable, condition qui est contestée en défense, que cependant cette contestation ne saurait être considérée comme sérieuse dès lors que les images litigieuses représentent, à l’exception de l’une d’elle, le visage de la demanderesse, que si celle la représentant lors débats amoureux ne montre que partiellement son visage, le titre de cette œuvre, Autoretratoconvirginie2, la désigne sans équivoque ;
[ABC, couverture du supplément culture, 14 fébvrier 2004.]
Attendu, quant à l’autorisation qui aurait été donnée par Virginie G., de reproduire les clichés photographiques la représentant et de rendre publiques ces reproductions, autorisation invoquée en défense, que cet argument peut effectivement constituer une contestation sérieuse faisant obstacle à la compétence du juge des référés, s’agissant de l’œuvre primée par le journal ABC « Retrato de Virginie » puisqu’il résulte des pièces produites, spécialement la pièce numéro 27 du défendeur, que la demanderesse a participé à la cérémonie de remise de ce prix, ce dont il peut être déduit un accord à la diffusion de cette représentation sans qu’il appartienne au juge des référés d’apprécier l’étendue de cet accord ; que pour les autres représentations de son image, qui portent également atteinte à la vie privée, il n’existe aucun élément permettant d’établir le consentement de Virginie G. à la diffusion de la reproduction des clichés photographiques litigieux, que son accord pour la diffusion du « Retrato de Virginie » voire d’autres portraits comme cela est prétendu (pièces n° 25 et 29 du défendeur), ne saurait être interprété comme une autorisation générale de reproduction et d’exposition publique de tous les clichés photographiques pris, même avec son consentement, par son ancien compagnon et notamment ceux la représentant dans la sphère la plus intime de sa vie privée ; que les échanges de courriels produits aux débats, et contestés en demande ne sauraient non plus constituer une contestation sérieuse des atteintes alléguées dès lors que, et abstraction faite de la contestation de leur réalité, ils sont trop imprécis pour établir l’accord de la demanderesse à la diffusion des images visées par la présente assignation ;
[ABC, 16 janvier 2004, page 58. “Juan Francisco Casas y Eugenio Recuenco, V Premios ABC de Pintura y Fotografía Fueron galardonados por Retrato de Virginie n°3”.]
Attendu, enfin, que le défendeur ne saurait utilement prétendre que la liberté de création artistique abolirait le droit à la vie privée et le droit à l’image des tiers hors l’hypothèse d’une atteinte à la dignité ; qu’outre le fait qu’il n’appartient pas à une juridiction de tracer la frontière entre ce qui peut ressortir ou non à la création artistique, cette solution heurterait, par son caractère absolu, les exigences de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui imposent aux Etats de protéger ces droits subjectif et d’apprécier concrètement la nécessité de faire prévaloir la liberté d’expression sur les droits à la vie privée et à l’image ;
Qu’en l’occurrence, il apparaît, à l’évidence, que le droit pour Virginie G. de ne pas voir rendre publiques des images la représentant dans des scènes relevant de la sphère de sa vie privée, parfois la plus intime, doit prévaloir sur la liberté d’expression, fût-elle de nature artistique, de Juan F. ;
Attendu, en conséquence, que les atteintes alléguées seront retenues à l’exception de l’image primée en février 2004 intitulée Retrato de Virginie pour laquelle une contestation sérieuse sur le consentement de la demanderesse existe ;
Attendu que la demande principale de la demanderesse tendant à voir ordonner à Juan F. de s’abstenir à l‘avenir de diffuser par quelques moyens que ce soit des images, portraits, dessins photographies et peintures représentant Mademoiselle Virginie G. et obtenues a son insu est trop générale et absolue pour qu’il y soit fait droit, qu’il peut seulement être relevé que de nouvelles publications et diffusions de ces images, sans l’autorisation de la demanderesse, se feraient aux risques et périls de Juan F. ;
Qu’il convient par ailleurs de relever que le moyen d’irrecevabilité de la demande concernant les sites internet cités par Virginie G. dans son assignation et dont Juan F. n’a pas le contrôle, est sans objet dès lors que n’est formulée aucune demande de suppression des images litigieuses sur quelque support que ce soit et que le défendeur, auteur de ces œuvres et dont il ne conteste pas être à l’origine de leur diffusion publique, est responsable de celle-ci ;
Attendu enfin que la provision indemnitaire doit être évaluée en tenant compte de la nature des images en cause, des relations entre les parties ainsi que du fait que le demandeur a accepté de supprimer de ses sites internet les représentations de la demanderesse ; qu’il sera alloué à Virginie G. la somme de 5000 € à ce titre outre celle de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, somme qui inclut les frais de constat d’huissier ;
Que, compte tenu du sens de la présente décision, les demandes reconventionnelles de Juan F. ne peuvent être accueillies ;
DÉCISION
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Disons n’y avoir lieu à référé s’agissant de l’œuvre de Juan F. constituée de la reproduction d’un cliché photographique représentant Virginie G. intitulée Retrato de Virginie primée en février 2004 par le journal ABC,
Constatons l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image de Virginie G. par la diffusion sur les 24 sites internet visés par le constat d’huissier dressé par Maître Pierre Landelle le 14 mai 2012, des quatre autres œuvres de Juan F. objets de la présente procédure,
Condamnons Juan F. à payer, à titre de dommages et intérêts provisionnels à valoir sur l’indemnisation du préjudice résultant des atteintes au droit à l’image et au respect de la vie privée de Virginie G., la somme de 5000 € et celle de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejetons les autres demandes,
Condamnons Juan F. aux dépens.
Le tribunal : Madame Marie Mongin (vice présidente)
Avocats : Me Anthony Bem, Me Marc Schuler
Legalis : “Tribunal de grande instance de Paris. Ordonnance de référé, 10 janvier 2013”.
[Juan Francisco Casas dans son atelier à Madrid, 2012. Juanfranciscocasas.com.]
Rappellons que les mesures prises par le juge dans le cadre d’une procédure de référé “ont un caractère provisoire c’est à dire non définitif. Elles sont susceptibles d’être remises en cause par le juge qui statuera sur le fond de l’affaire, au cours d’une procédure ultérieure.”
Blah ? Touitter !