Journal de bord

samedi 22 mars 2014

Démolir le Sacré-Cœur

On peut être un économiste réputé et un piètre historien. Jacques Sapir – qui ne nous traînera pas devant les tribunaux si nous disons que, politiquement, il se situe à la gauche de la gauche… – vient aujourd’hui, sur son compte twitter, de dire qu’il est pour qu’on dynamite la basilique du Sacré-Cœur. Il faut rappeler que le projet de l’érection à Paris d’une basilique dédiée au Sacré-Cœur remonte au 4 septembre 1870 – jour de la proclamation de la IIIe République, donc bien avant le déclenchement de la Commune de Paris – et le “vœu” rédigé en janvier 1871 par Alexandre Legentil et Hubert Rohault de Fleury. Rappelons à Jacques Sapir comme à Ian Brossart que la Commune de Paris commence le 18 mars 1871. Il n’y a donc pas de relation directe entre le projet d’érection de la basilique et la répression de la Commune. Elle n’est ni “le symbole d’une atroce répression” ni “sur le sang de la Commune de Paris”, comme Sapir a le front (de gauche) de l’écrire dans d’autres tweets posté aujourd’hui. Mais cela, les gens de gauche l’ignorent ou veulent l’ignorer par pure idéologie. Ils vivent dans le délire d’une Histoire réécrite pour “les besoins de la cause” et fort éloignée de la vérité. C’est en cela qu’ils sont dangereux. Et prêt à dynamiter le Sacré-Cœur. De préférence avec nous dedans…

[Daniel Hamiche. L’Observatoire de la christianophobie.]

On peut être un ex-maoïste converti au cléricalisme antirépublicain (oui, oui, ça existe…), faire des raccourcis sur l’histoire de la Commune, et qualifier les autres de “piètres historiens”. (Non, la juste et large connaissance de l’histoire ne consiste pas à lire en diagonale une page Wikipédia et à n’en retenir que ce qui nous intéresse.)

“Il faut rappeler que le projet de l’érection à Paris d’une basilique dédiée au Sacré-Cœur remonte au 4 septembre 1870 — jour de la proclamation de la IIIe République.” C’est une façon pour le moins synthétique, sinon fausse, de résumer les choses. Félix Fournier, nouvel évêque de Nantes (sacré le 10 août 1870), notoirement légitimiste, qui pensait que la défaite de la France contre la Prusse, le 1er septembre à Sedan, était une punition divine, aurait émis le vœu le 4 septembre 1870 que l’on construise une basilique expiatoire à Paris dédiée au Sacré Cœur. [Selon d’autres sources (Jacques Benoist), le vœu de Fournier serait plus tardif, bien après d’autres, et daterait du 19 janvier 1871. Dans tous les cas, Fournier n’a aucun rôle prépondérant dans le “vœu national”, mais nous supposerons que cela sonne bien à certaines oreilles que de dire “remonte au 4 septembre 1870 — jour de la proclamation de la IIIe République”, associant ainsi de manière artificielle des événements qui n’ont aucun rapport afin de produire un sens qui m’échappe quelque peu mais dont je soupçonne cependant la pernicieuse intention.]

Fournier était loin d’être le seul dans le clergé a partager ce point de vue : le libéralisme né de l’apostasie de la France à la Révolution était la source de tous les maux — et le creuset des œuvres du Diable, j’ai nommé Paris, la moderne Babylone, “la grande, la mère des impudiques et des abominations de la terre”, devait payer ses crimes. Il va sans dire que la guerre civile de 1871, animée d’une bataille anticléricale, à Paris même, n’a fait que renforcer les partisans de ce vœu. L’histoire, ou Dieu, a décidé que les Versaillais l’emporteraient et que le vœu serait donc exaucé.

Le “vœu national” était porté activement par la Société de Saint-Vincent-de-Paul, et il fut rédigé formellement en janvier 1871 par des laïcs. Son plus ardent promoteur, Alexandre-Félix Legentil, souhaitait que l’on construise cette église à la place du nouvel opéra, alors inachevé, qu’il qualifiait de “scandaleux monument d’extravagance, d’indécence et de mauvais goût” [Lettre du 30 décembre 1870 à Léon Cornudet]. Le scandale de l’indécence et du mauvais goût, c’était bien sûr principalement celui du groupe sculpté de Carpeaux qui avait suscité une énorme polémique en 1869. Le Palais Garnier était assurément un temple babylonien.

On a suggéré plus tard, en 1872, d’établir la basilique rue d’Haxo, pour commémorer le meurtre d’une dizaine de prêtres au même endroit, mais ce fut rapidement écarté pour des raisons de visibilité. L’église devait dominer Paris, comme Notre-Dame de Fourvière à Lyon ou Notre-Dame de la Garde à Marseille. Montmartre, encore dénudé à l’époque, devait s’imposer presque naturellement. “Voici la montagne de la poudre à canon, nous lui opposerons la montagne de la bénédiction” aurait dit Mgr Guibert. Une allusion aux canons de la Commune, bien entendu.

Oui, c’est là où la Commune a commencé, là où ont été assassinés les généraux Clément Thomas et Lecomte, que s’élèvera l’église du Sacré-Cœur ! Malgré nous, cette pensée ne pouvait nous quitter pendant la cérémonie dont on vient de lire les détails. Nous nous rappelions cette butte garnie de canons, sillonnée par des énergumènes avinés, habitée par une population qui paraissait hostile à toute idée religieuse et que la haine de l’Église semblait surtout animer. — Hubert Rohault de Fleury, au sujet de la cérémonie de la première pierre du 16 juin 1875.

Il n’est pas faux de dire qu’il y a eu coïncidence chronologique et géographique dans le projet du Sacré-Cœur (pour reprendre les termes de Jacques Benoist), mais c’est oublier que sans l’épisode de la Commune, ou plus précisément sans que Thiers fasse barrage à la République et au socialisme après avoir capitulé pour des raisons qu’il reste à approfondir — et que la Commune n’eût donc jamais existé —, il n’y aurait jamais eu de Sacré-Cœur sur Montmartre.

Certes, “il n’y a pas relation directe entre le projet d’érection de la basilique et la répression de la Commune”, mais il y a relation très directe entre l’érection effective de la basilique à Montmartre et la Commune. M. Hamiche me parait sur ce point un peu jésuite.

Le vrai scandale à mes yeux est le vote d’utilité publique par l’Assemblée de ce “symbole d’expiation nationale”, pour reprendre les termes de l’archevêque de Paris, le 24 juillet 1873, vote qui ouvrait la porte aux expropriations nécessaires à la construction sur la Butte. Oui, “utilité publique”… manquions-nous donc tant d’églises à Paris ? Avions-nous vraiment besoin d’un monument supplémentaire à la gloire de l’ignorance et de la superstition ?

Jacques Sapir a raison, il faut démolir le Sacré-Cœur. Pour ma part, je pense plus à une démolition symbolique que physique : on pourrait par exemple le transformer en temple républicain comme on a fait pour l’église de Sainte-Geneviève, dédié à la mémoire de toutes les victimes des guerres civiles, ou encore en faire un musée, pourquoi pas dédié à l’art du tag (tant de belles surfaces blanches à exploiter pour les artistes contemporains…).

Nous pourrions aussi demander à une architecte comme Jean Nouvel de nous y concevoir une tour, nous l’appelerions “Phare de la Raison pure”. Ça aurait plus de gueule que la meringue de Paul Abadie.

Ce qui est sûr, c’est que 143 ans après, les plaies ne sont toujours pas cicatrisées et que l’héritage politique du XIXe siècle est toujours bien vivant.

1. Le 22 mars 2014,
La mouche du coche

Phare de la Raison pure” Voilà qui fleure bon le communisme avec de vrais morceaux de camps dedans. Je doute que les homos y auront leur place. Et ce projet de tour aurait effectivement de la gueule, celle d’une deuxième tour Montparnasse, ce qui traduirait bien la laideur de notre époque.

Sinon analyse historique très fine qui tranche avec ce qu’on lit ailleurs.

Faute à “la source de tous les mots”

2. Le 22 mars 2014,
Laurent Gloaguen

Où allez vous cherchez tout ça… je pensais à un mix de temple de la Raison à la Robespierre et de Liberté illuminant le monde.

Vous êtes maccartiste, vous voyez du communiste partout.

3. Le 22 mars 2014,
Laurent Gloaguen

(Merci pour la faute, c’est corrigé.)

4. Le 22 mars 2014,
La mouche du coche

@ Laurent,

Je me suis bien dit que vous aviez pensé à Robespierre mais comme j’aime bien Robespierre, j’ai préféré dévier votre pensée sur le communisme avec ces statues réalistes à la gloire du travail, etc.

Parce que la pensée de Robespierre est plus subtile que le communisme : il s’oppose certes aux religieux, mais aussi aux athées, en créant un “être suprême” qui devait créer une nouvelle vision du monde, ni complètement matérialiste, ni tout à fait religieuse. (votre lien sur Wikipedia, en parle)

Attention donc, Laurent. En évoquant Robespierre, vous remettez en selle une transcendance, ce qui est le premier pas vers la messe. Horreur.

5. Le 22 mars 2014,
Le chafouin

Laurent qui se remet à troller… C’est moche.

6. Le 23 mars 2014,
La mouche du coche

Ho ho le chafouin. Si vous avez envie de faire des commentaires plus intelligente que les nôtres, lachez vous. On fait ce qu’on peut là.

7. Le 23 mars 2014,
La mouche du coche

Pardon : IntelligentS

8. Le 23 mars 2014,
Laurent Gloaguen

Les pépés du Muppet Show Réac dans mes commentaires.

9. Le 23 mars 2014,
Yogi

@ la mouche : C’est à la selle que l’on dépose la transcendance, pas en selle.

Blah ? Touitter !