“Miscellanées”

actus et opinions

Amiante et désinformation sur Radio Canada

Radio Canada a diffusé un reportage de Catherine Kovacs sur l’amiante le lundi 7 décembre 2009.

Le journaliste de L’Actualité, Jean-François Lisée, le trouve excellent.

“Tout cela pour vous dire que, pendant ces décennies, je n’avais jamais vu de reportage aussi équilibré sur la question que celui réalisé récemment par Catherine Kovacs, de Radio-Canada, et qu’on peut voir ici.”

Un “reportage équilibré” sur l’amiante diffusé au Québec sur une chaîne nationale à une heure de grande écoute, je ne voudrais pas manquer ça, je vais donc le voir.

En voici une retranscription/synthèse qui démontre à elle seule le caractère partiel et partial de l’œuvre :

– André Cartier, président du comité des maladies professionnelles pulmonaires à l’hôpital Sacré-Cœur, Montréal : “Comme pneumologue, tu vois tellement de gens qui sont malades en relation avec l’exposition à l’amiante, que je trouve ça malheureux qu’on continue à en utiliser et qu’on mette autant de gens au risque lorsqu’on l’utilise mal”.

- Louise de Guire de l’Institut national de santé publique : “L’amiante, c’est connu, ça donne l’amiantose, qui est une fibrose du poumon, qui est une maladie chronique non cancéreuse, le cancer du poumon et le mésothéliome de la plèvre et du péritoine”.

- Catherine Kovacs : “Les recherches l’ont démontré, l’amiante est une substance cancérigène”.

- André Dufresne, directeur du Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, “La seule façon de diminuer ces maladies-là, c’est en fait de bannir l’amiante”.

[Scène de désamiantage dans une chaufferie.]

[Chiffres sur l’évolution des maladies reliées à l’amiante entre 1988 et 2003. “+7,7% dans la construction, + 4,6% dans le secteur de l’entretien”.]

– Louise de Guire : “On sait que dans les bâtiments construits entre 1940 et fin des années 70, on a beaucoup installé d’amiante dans les édifices publics.”

– André Dufresne : “Lorsqu’on est dans l’amiante-ciment, et qu’on y touche pas, là je suis absolument d’accord avec vous [la journaliste hors cadre], le risque est zéro parce que ça reste encapsulé.”

– Louise de Guire : “On est rendu à l’époque où on doit réparer les constructions faites à l’époque, ou les usines, on doit les entretenir, et lors de la rénovation, les gens sont… étaient exposés à l’amiante sans savoir que ça en était, sans se protéger”.

[Explication du surcoût lié au désamiantage sur un chantier de rénovation.]

[Chiffres sur l’évolution des maladies reliées à l’amiante entre 1988 et 2003. “-12,4% dans le secteur des mines, -5% dans le secteur de la transformation”.]

- Catherine Kovacs : “Ça s’explique du fait qu’il existe de moins en moins de ces travailleurs des années 60 surexposés à la poussière d’amiante, et depuis 30 ans, les conditions de travail se sont améliorées”.

[Court entretien avec un médecin de famille à Abestos, Gilles Morin, qui a “connu 4 ou 5 cas dans sa carrière de gens vraiment morts d’amiantose.”]

- Catherine Kovacs : “Lorsque l’on regarde les statistiques touchant le cancer du poumon, les données sont moins claires, car les patients sont souvent des fumeurs”.

– André Cartier : “Il est impossible de faire la distinction, si le cancer a été développé à cause du tabac ou à cause de l’amiante, il y a pas moyen de le savoir” […] “S’il a le cancer, il va être reconnu comme ayant une maladie professionnelle s’il y a l’exposition”.

[Entretien avec d’anciens mineurs, “90 % d’entre nous fumaient”.]

– Gilles Morin : “J’ai jamais vu encore en 42 ans de pratique un cancer du poumon chez un travailleur de l’amiante qui n’avait jamais fumé. Ça existe […] mais moi, je n’ai jamais vu ça encore”.

- Catherine Kovacs : “En fait, le mélange cigarette et amiante est explosif”.

[Chiffres : “Risk of lung cancer. Without Abesbestos exposure, non smoker 1.0, smoker 10.0. Abesbestos exposure, non smoker 5.2, smoker 53.2. (Hammond, 1979).]

- Catherine Kovacs, s’adressant à André Cartier : “Est-ce qu’on devrait dans ce cas-là interdire tous les produits dangereux ?”

– André Cartier : “C’est sûr que dans un monde idéal, on devrait le faire. Il faut accepter certains risques, je pense, mais ne demandez pas à un pneumologue de dire que le tabac ne devrait pas être banni, je pense qu’on le devrait, pour de multiples raisons, mais il y a une liberté qui doit être laissée aux gens…”

- Catherine Kovacs : “Les pressions des lobbyistes sont énormes pour que le Québec cesse de produire de l’amiante chrysotile, pourtant dans la liste des produits dangereux du département de santé des États-Unis, ce produit arrive au 119e rang sur un total de 275. Le nickel, plus dangereux, au 53e rang, et le plomb que la Canada exporte aussi au 2e rang.”

- Jacques Dunnigan, chercheur retraité, Université de Sherbrooke : “Si on appliquait ce raisonnement-là à tout ce que le Canada exporte, le plomb par exemple […]. Le plomb, c’est pas du bonbon.”

- Catherine Kovacs [off] : “Ce scientifique à la retraite continue d’appuyer l’amiante”.

- Jacques Dunnigan : “Le Canada exporte des pesticides, et autres produits chimiques destins à l’agriculture, pour une valeur de 2 milliards par année”.

- Catherine Kovacs : “C’est aussi dangereux que l’amiante ?”.

- Jacques Dunnigan : “C’est aussi dangereux que l’amiante quand on l’utilise pas correctement”.

- Catherine Kovacs [off] : “Dans le dossier de l’amiante, les jeux sont faits. Au Canada, cette industrie est en déclin. De premier exportateur, le pays a glissé au 5e rang. Désormais l’amiante à mauvaise mine”.

Journaliste Catherine Kovacs. Réalisatrice France Dauphin. Monteur Gaston Fréchette.

Démontons maintenant le travail de la journaliste de Radio Canada, Catherine Kovacs :

– Laisser d’abord la parole à des experts de la santé qui vont forcément dire que l’amiante est dangereux, provoque l’abestose, des cancers broncho-pulmonaires et le mésothéliome.

– Résumer les interventions par : “Les recherches l’ont démontré, l’amiante est une substance cancérigène”, ce qui n’est pas faux, mais partiel, en laissant de côté la pathologie indubitablement reliée à l’amiante, l’abestose, qui n’est pas un cancer, mais une fibrose interstitielle pulmonaire évolutive.

– Faire une digression sur l’amiante-ciment comme étant un matériau sûr (à condition de ne pas le manipuler, et qu’il ne se dégrade pas).

– Faire intervenir un médecin “attitré de la mine d’amiante Jeffrey” qui relativise le problème, “4 ou 5 cas d’amiantose [abestose] dans ma carrière”.

La journaliste décide alors de ne parler que du cancer du poumon “Lorsque l’on regarde les statistiques touchant le cancer du poumon, les données sont moins claires, car les patients sont souvent des fumeurs”. Elle laisse donc de côté l’abestose, et d’autres cancers comme les mésothéliomes de la plèvre ou du péritoine qui sont tous clairement reliés à des expositions à des fibres minérales.

– Et elle fait confirmer par d’anciens mineurs, “Oui, nous fumions tous ou presque”.

– Le pneumologue confirme qu’il n’est pas possible de savoir si l’origine d’un cancer des poumons est le tabac ou l’amiante. Ce qui est sûr, c’est que le tabac multiplie les risques de cancer du poumon, par 10 pour les gens non exposés à l’amiante, et par… 10 aussi pour les gens exposés à l’amiante. C’est ce que disent les chiffres du reportage. Chiffres qui disent également que le risque de cancer du poumon est multiplié par 5 pour les gens exposés aux fibres d’amiante, mais ce n’est pas énoncé clairement.

[Les chiffres présentés proviennent de Hammond EC, Selikoff J, Seidman H. (1979) “Asbestos exposure, cigarette smoking and death rates.” Ann N Y Acad Sci; 330: 473–90. (Medline).]

– La “démonstration” semble faite. S’ils ont le cancer, c’est d’abord qu’ils fumaient… Et si vous voulez montrer le contraire, il n’est pas possible de prouver qu’ils ont le cancer à cause de l’amiante.

C’est absolument brillant ce que l’on arrive à faire en évacuant du débat les pathologies identifiées avec certitude comme propres à l’amiante, en ne traitant que de celle où il y a doute (cancer du poumon) et en ne prenant qu’un échantillon de mineurs fumeurs pour 90 % d’entre eux.

(Ajoutons qu’il n’est pas dans ma conception de “reportage équilibré” celui qui ne parle que des effets sur la santé des mineurs. Et les autres ?)

– La journaliste reprend alors un argument des lobbyistes proamiante, “Il n’y a pas que l’amiante qui est dangereux si elle est mal utilisée”.

Soulignant que le Québec est le seul producteur d’amiante chrysotile au Canada, Michel Arsenault [président de la Fédération des travailleurs du Québec et défenseur de l’exploitation de l’amiante] estime que le débat devrait se faire entre les syndicats québécois, et non canadiens.

Il se demande par ailleurs pourquoi ont s’acharne sur l’amiante alors que la population est exposée régulièrement à plus de 2800 substances potentiellement dangereuses. Une agence américaine classe l’amiante chrysotile au 119e rang quant à sa toxicité, devancée par le plomb, le béryllium, le cobalt, le méthane et le nickel, entre autres substances.

La Presse Canadienne : “Amiante : la FTQ s’en prend au CTC”.

Exactement ce que reprend la journaliste avec une belle infographie.

Infographie Radio Canada.

– Pour conclure le reportage, laissons la parole à “un scientifique à la retraite (qui) continue d’appuyer l’amiante”.

Jacques Dunnigan, un homme très apprécié à L’Institut de l’Amiante (lobby pro-amiante) :

Many seasoned members of the international asbestos industry may have had the opportunity to listen to one of Dr. Jacques Dunnigan’s illuminating presentations over the years. He has been a frequent speaker at a variety of scientific and technical conferences and has established a reputation for explaining complex scientific concepts in a clear and concise way.

Building on the popularity of Dr. Dunnigan’s Asbestos & Health presentation, The Asbestos Institute has sponsored a video production which highlights many of the key issues related to the effects of asbestos inhalation and ingestion on human health. In this 30 minute video, Dr. Dunnigan adresses scientific evidence on a variety of topics including the differences between fibre types, evidence of a threshold for chrysotile asbestos, fibre ingestion vs inhalation, asbestos in buildings and other issues.

Jacques Dunnigan répète le même argument que celui avancé par la journaliste : “Le Canada exporte d’autres substances dangereuses si mal utilisées”. Et ce reportage se termine sur cette intervention.

Un argument simpliste. Le problème, c’est que cet amiante est exporté dans des pays, notamment du tiers-monde, qui ne garantissent pas la “bonne utilisation” (qui devrait être souvent proche de la “non-utilisation”) et que l’industrie québécoise de l’amiante fait preuve d’hypocrisie sur le sujet. Bref, la “bonne utilisation” fait que l’on utilise presque plus d’amiante au Canada. Débarrassons-nous de notre merde dans les pays laxistes qui veulent bien encore l’accueillir (Asie et Amérique latine).

La réduction drastique de l’utilisation de l’amiante dans les pays industrialisés a provoqué une réorientation globale de l’industrie sur la base d’un “double standard”. Dans les pays industrialisés, des procédés de substitution ont permis de se passer d’amiante pour la totalité de ses utilisations. […] Par contre, dans les pays “en voie de développement”, l’amiante continue à être présenté comme une ressource naturelle irremplaçable et dont l’utilisation pourrait se faire dans des conditions satisfaisantes de sécurité. Il arrive souvent qu’un même groupe industriel, par exemple le groupe Eternit, diversifie sa production en fonction des pays et se range sous la bannière du lobby pro-amiante dans certaines parties du monde tout en développant des alternatives moins dangereuses dans les pays les plus développés.

[…] Le Canada continue donc à être le promoteur d’une croisade mondiale pro-amiante mais il se garde bien de pratiquer ce qu’il prêche pour les autres. La consommation d’amiante est très réduite dans ce pays. Plus de 95 % de la production est exportée. C’est la question nationale québécoise qui constitue le facteur central d’explication de la politique canadienne sur l’amiante et de ses multiples contradictions.

Deux éléments jouent un rôle décisif à cet égard. Les mineurs de l’amiante ont été à l’avant-garde des luttes ouvrières au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et, dans ces luttes, ils ont à la fois exprimé des revendications sociales et des revendications nationales. L’idéologie nationaliste a opéré une sorte de transfert des luttes des mineurs vers le produit de leur travail. Remettre en cause la production de l’amiante reviendrait à trahir la cause nationale. Ce transfert est paradoxal dans la mesure où, dans leurs luttes, les mineurs de l’amiante ont aussi exprimé leur révolte contre les désastreuses conséquences sanitaires de la production.

[…] Si le Canada observe un double standard dans la pratique en exportant la presque totalité de son amiante vers des pays d’Asie et d’Amérique latine, un autre double standard caractérise la protection des travailleurs à l’intérieur du pays. Dans les provinces anglophones, le combat des organisations syndicales a permis une élimination presque totale de l’amiante dans toute nouvelle production.

Dossier du département santé-sécurité de l’Institut syndical européen (European Trade Union Institute – ETUI) “L’amiante dans le monde”, juin 2005 (PDF).

(Sans faire de procès d’intention, mais pour donner le “background”, il est utile de rappeler que Jean-François Lisée est notoirement souverainiste et est originaire de Thetford Mines – comme messieurs Laurent Lessard et Christian Paradis.)

Alors, Jean-François Lisée, vous me voyez navré, je ne trouve pas que ce reportage soit “aussi équilibré” que ça, je le trouve même malhonnête tout en donnant des indices des présupposés qui sont l’œuvre dans l’esprit de Catherine Kovacs.

Vous dites “l’amiante et moi”… Une relation qui ne semble ni totalement neutre, ni dénuée d’affect pour en arriver à juger aussi positivement ce reportage.

1. Le 22 décembre 2009,
padawan

Le nickel plus toxique que l’amiante ? Lôngin !

2. Le 22 décembre 2009,
Magoua

Tu fera gaffe la prochaine fois que tu passes au jardin botanique de Montréal : le jardin japonais y a été construit avec des blocs de serpentine d’Asbestos qui contiennent encore de l’amiante à l’état sauvage ;-)

Bien vrai que c’est une question affective l’amiante au Québec, c’était une fierté qu’on nous enseignait que d’en être le plus grand producteur au monde. Émblématiques aussi les grèves des années 1950 et leur vengeance symbolique qu’a été la nationalisation (calamiteuse) par le PQ d’un partie de ce secteur en 1978.

Cela dit, trop y mélanger la question nationale est un peu douteux. En l’espèce, défendre l’amiante est aussi con mais normal pour un pays producteur que de se couvrir de ridicule à Copenhague pour l’amour des sables bitumineux. L’amiante c’est du passé, les mines sont à peu près fermées et à peine deux comtés au Québec. Les sables, par contre c’est l’avenir et l’Alberta au complet.

Et je te souhaite de passer par Thetford, ville étrange mangée par ses mines et leurs terrils où rien ne pousse. Glauque.

Mais n’en parle pas trop aux gens de la place, ils sont susceptibles et beaucerons ;-)

Blah ?