Culture amère au Québec
Culture au Québec, ça sonne comme une obscénité, à moins qu’il ne s’agisse de culture populaire, d’anthropologie historique et sociale, à la Georges-Henri Rivière dans les années 30.
L’institut du Nouveau Monde, cercle de réflexion dédié au renouvellement des idées et à l’animation des débats publics au Québec, vient de publier un passionnant cahier consacré à la situation culturelle au Québec, joint au numéro du Devoir du 20 janvier dernier. Il n’est hélas disponible qu’en PDF sur Internet : “Que devient la culture québécoise ?”.
Pendant ce temps-là, Patrick Lagacé se flatte d’avoir épinglé le quotidien Le Devoir où les journalistes utiliseraient à dessein un vocabulaire trop compliqué pour le peuple.
J’ai dit qu’il y a des mots, dans ce journal, que je ne comprends pas. Sarcasme, bien sûr. Je les comprends. C’est juste que ça me fascine toujours de voir des journalistes utiliser, entre deux mots qui signifient la même chose, le plus obscur, le plus compliqué, le plus rarement utilisé. Ça te fait évidemment passer pour un génie, mais je ne pense pas que ce soit le but d’un texte publié dans un journal.
Dans cette amusante collision de mes lectures, je vois un symptôme du malaise persistant que beaucoup de Québecois entretiennent vis-à-vis de la culture. Et cela entre en écho avec les mots de Marie-Andrée Lamontagne, à lire page 19 du cahier de l’INM, “car au Québec, le peuple est roi, et la culture d’élite est suspecte”. D’un certain point de vue, Patrick Lagacé est-il si éloigné d’un Maurice Duplessis qui traitait de “joueurs de piano” tous les journalistes, artistes et intellectuels ?
Tiens, en parlant de Duplessis, comment ne pas penser au célèbre chat de l’univers de Michel Tremblay, et de revenir sur une certaine leçon de piano… (Michel Tremblay faisant partie du culturellement acceptable au Québec. Et, encore, il ne faut pas que l’auteur s’avise de se mêler de fiction souverainiste…) Oui, il faudrait que je revienne sur cette scène tragique de La duchesse et le roturier, où le petit Marcel traîne Albertine au magasin de pianos, cette scène qui me bouleverse toujours et qui explique mieux le Québec que bien des essais. Il faudrait… mais je suis un blogueur feignant.
Petit Québec, c’est non seulement le nom d’un fromage, c’est aussi la signature d’un manque d’envergure culturelle et intellectuelle. Icitte, t’es mieux de parler de chars et de REÉR, d’islamistes et d’invasions barbares, parce qu’au BBQ dominical, faut pas laisser échapper des mots qui fâchent, faut faire dans le consensuel, dans le populo, pas prononcer de mots trop compliqués. Faut lire “7 jours” pour fêter la convergence des médias Québécor, participer à la partouze généralisée du divertissement multimédia, découvrir en exclusivité, en attendant à la caisse du IGA — il n’y a plus que 4 préposés aux caisses à c’t’heure —, un entretien où Julie Snyder nous explique comment Pierre-Karl Péladeau, il essaie de s’intéresser à la culture avec ses modestes moyens, pis que c’est pas pire.
Autant l’air en France me semble parfois irrespirable, autant icitte, ce n’est guère mieux. Un air frette, mais qui manque d’oxygène. L’excuse, c’est que c’est un air de petit pays.
brem
Certes, le peuple québécois a un complexe d’infériorité, mais je comprends mal le but de ton billet.
Faudrait-il s’intéresser à des pièces de théâtres expérimentales que la majorité n’a rien à battre?
Moi je me demande: “Est-ce que la culture doit être rentable?” À l’inverse: “Est-ce que la culture doit être subventionnée et soutenue par l’état?”
Est-ce que culture populaire veut forcément dire grossièreté?
Moi je pense qu’on peut être artiste et être rentable. Est-ce que le reste est sans valeur? Bien sûr que non, mais je ne veux pas devoir payer pour ça. :)
Tu viens vendredi? :D
Stéphane Z.
Incidemment, l’INM a été lancé par un journaliste du Devoir (ex-journaliste plutôt puisqu’il l’a quitté pour se consacrer pleinement au développement de son institution) qui n’a pas toujours été le plus accessible.
Je ne compte plus les fois où l’on m’a demandé la signification d’un mot après avoir envoyé un courriel au boulot. Mais ceux qui demandent ont au moins une volonté de comprendre contrairement à certains qui pestent contre les mots compliqués parce qu’on s’en sort très bien avec 500 mots de vocabulaire.
Ton propos est presque un lieu commun mais heureusement loin d’être général. Je suis certain que tu peux en témoigner ! (Quant à moi, je suis l’heureux mari d’une Québécoise qui a eu 18 ou 19 au bac en Français alors que personnellement j’ai eu 9 :p)
Martine
Tu te goures complètement. L’histoire du manque de caissières, ce n’est plus vrai depuis quelques semaines. ;-)
Je suis d’accord avec ce que tu dis du Québec, mais la même histoire pourrait être racontée à propos de n’importe quelle autre province canadienne, des États-Unis, de la France en dehors de Paris, etc… Les humains sont bêtes partout, capitaine. Tu t’énerves à propos du Québec parce que tu fais face encore une fois à cette difficile décision de venir habiter ici, c’est ça? Rappelle-toi simplement que le Québec a les meilleurs hommes et que ton mari à lui seul compense pour toute bêtise et manque de culture. Ça devrait être une motivation suffisante pour venir vivre ici.
Laurent
Oui, c’est sans doute ça.
Stéphane Z.
Voilà, il fallait une Martine pour trouver les bons mots :)
brem
Pour les heures d’ouverture des commerces, il me semble avoir vu un débat similaire à ce qui se passe au Québec avec un supermarché en France, alors…
Et puis 4 caissière, d’accord, mais compte toi chanceux que ces commerces soient ouverts le dimanche, tu n’as qu’à aller au Nouveau-Brunswick ou à l’île-du prince édouard pour comprendre ce que ça veut dire vivre au rhytme des marées… ;)
Dre Papillon
À force d’écrire sur La duchesse et le roturier, j’ai fini par aller le lire. C’est vrai que la scène du magasin de pianos est très éloquente, surtout au sujet du Québec de cette époque. Mais le Québec d’aujourd’hui, c’est aussi plein d’autres choses…
François Granger
Pendant que tu es là-bas, tu voudrait pas faire les courses ?
http://nauges.typepad.com/myweblog/2007/01/prixwindowsvi1.html
François Granger
saleté de ouaib !
http://minilien.com/?0DbW80TtHB
Christian Aubry
Chaque peuple est petit ou grand, selon le point de vue d’où on l’observe, et chacun a ses défauts. Celui du Québec est peut-être “simple”, à certains égards, surtout si on l’examine à travers la lorgnette d’un autre peuple infiniment plus complexe, pour ne pas dire tortueux. Ce qui n’est pas drôle, c’est que la plupart des Zorropéens (0P1?) soi-disant cultivés qui débarquent “icitte” ressentent le besoin de le juger et d’étaler leur jugement souverain partout où ils le peuvent. Cela leur donne sans doute l’impression de se coucher plus intelligents le soir. Rares sont ceux qui prennent le temps de dégager l’universel du particulier. À ce petit jeu, pourtant, de nombreux artistes et écrivains québécois excellent. Il me semble que c’est le plus important.
Mario Asselin
«Petit Québec», «Nés pour un petit pain»[en parlant des québécois] et «Nègres blancs d’Amérique»… Chacune de ces expressions nous colle à la peau. Ovide Plouffe a dit un jour à ses parents, alors qu’il était assis à table, «ben saoûl» : «Y a pas de place, nulle part, pour les Ovide Plouffe du monde entier». C’est aussi une des scènes les plus fortes du cinéma québécois.
Les exemples sont nombreux Laurent pour illustrer à quel point nous vivons DANS notre culture de québécois une part d’amertume (déf. : «Ressentiment mêlé de tristesse, causé par une humiliation, une injustice.») Je ne te raconterai pas nos problèmes avec les Anglais et avec la religion, mais bon… Quand j’étais jeune, plusieurs de mes oncles racontaient avec un peu de mépris comment nous étions bons les québécois pour «tirer par les pieds celui qui se haussait au-dessus de la mêlée» pour le ramener au même niveau que les autres…
En 2007, je crois qu’on commence à s’en sortir. Le dernier politicien qui a joué avec un certain succès sur cette image «de mangeur de hot-dog», nous a permis d’exorciser cette image du québécois qui n’ira jamais bien loin. S’il reste parmi nous des gens pour dire que faire preuve de nuance dans son vocabulaire journalistique équivaut à écrire pour n’être compris que de bien peu de gens, la grande majorité des élites peuvent maintenant s’afficher partout avec une relative fierté.
Et puis cette culture dont tu parles, il faut encore qu’elle soit nôtre pour que nous puissions nous y reconnaître. Quand il s’agit du Cirque du Soleil, du Festival de Jazz ou de Félix Leclerc, nous ne manquons pas «d’envergure culturelle et intellectuelle»… Quand vient le temps d’apprécier Foglia ou Serge Fiori, nous sommes capables de mettre la barre assez haute il me semble. Oui, nous aimons Janette Bertrand, Yvon Deschamps et Ginette Reno, mais que veux-tu, ces gens parlent avec notre coeur…
Tout ça pour te dire qu’on n’a pas envie de se faire fourrer avec une culture de façade qui paraît bien sonner, mais qui tient un langage creux. Nos sages disaient que «la culture c’est comme de la confiture; moins tu en as, plus tu l’étends»…
Je te dis, on se sort à peine de cette période où collectivement, on ne pouvait pas voir bien loin sans avoir l’impression de vendre notre âme au diable. Des gens de chez nous réussissent ailleurs et on peine à leur conserver notre confiance due à ce réflexe de se sentir trahis par eux… Une espèce de peur qu’ils ne se souviennent plus de nous, qu’ils soient devenus autres… qu’ils aient été achetés par plus riches que nous. Céline Dion, Robert Lepage et Jacques Villeneuve sont «pris» avec ça…
Je crois qu’on est assez fiers de notre culture. De la poutine autant que du sirop d’érable. De nos barrages autant que nos avions. On commence à faire dans le fromage, dans le foie gras et dans la haute-couture, mais on ne le dit pas trop fort parce que ça, c’est pas mal Français et ça, c’est suspect sur les bords de jouer sur ce tableau… Je te dis Laurent; Lagacé, il l’a échappé celle-là et je crois qu’il n’a pas visé juste en attaquant le Devoir sur la question du vocabulaire.
S’il y a un endroit où on manque de vocabulaire, c’est pour exprimer nos émotions mon cher. Surtout les hommes. Le silence, on se passe ça de génération en génération d’homme au Québec. Ça, c’est aussi notre culture. Nos pères étaient dans le journal, à la taverne ou en train de «gosser» une quelconque affaire à réparer et pas question de commencer à s’épandre sur les sentiments… Alors, c’est cool pour un homme de dire que les mots, c’est compliqué que c’est péter plus haut que le trou…
Il a essayé d’être cool d’après moi M. Lagacé. Juste un homme cool!
Laurent
Merci, Mario.
Denise Turcotte
Le cahier du Devoir qui a lancé cette discussion a été publié pour alimenter la réflexion autour du Rendez-vous stratégique sur la culture que l’Institut du Nouveau Monde organise. L’événement se tient simultanément dans 11 villes du Québec les 2 et 3 février et les 16 et 17 mars prochains. Une rencontre nationale cloturera le tout à Montréal les 27 et 28 avril à Montréal.
J’espère que vous y participerez tous, car voilà une belle occasion de débattre de l’avenir de notre culture et d’élaborer des propositions à l’intention des décideurs publics. L’événement est ouvert à tout le monde, des “joueurs de piano” à Pierre-Karl Péladeau, en passant - surtout - par vous et moi. Info et inscriptions en ligne à www.inm.qc.ca
sally
Quel plaisir de te croiser ici, Denise. J’allais justement inviter Laurent, Mario (à Québec même!) et tout le monde à se joindre à nous, au rendez-vous stratégique sur la culture. Ce vendredi soir, la conférence va placer toute la question dans son contexte!
brem
Mario: lorsque j’écoute Gilles Proulx, je me dis que le vocabulaire ne rime pas forcément avec culture.
Le mépris, avec des beaux grands mots, ça reste du mépris.
Par ailleurs, l’élitisme, ça n’est pas très rassembleur. Le peuple a besoin qu’on lui parle dans sa langue.
Je comprends le sens de ce que Lagacé veut dire. Souvent les auteurs essayent de démontrer leur grandeur, leur valeur en trouvant les mots les plus compliqués ou obscurs. Comme si c’était un gage de qualité supérieure. Or, la valeur d’un texte, ne tient pas tant du choix des mots, mais de l’émotion, de l’idée qu’il véhicule.
Ytorien
Moi j’ai jamais compris pourquoi les Québécois habitent tous dans des cabanes à sucre. Et puis s’ils sont bête c’est normal ce sont des descendants des Français qu’on a pas voulu en France : les crève-la-faim, les paumés, les putes, les criminels.
brem
Ytorien: ton commentaire ne serait pas totalement faux si tu parlais des gens de la Nouvelle-Orléans. Or, sache que le premier colon de la Nouvelle-France était apothicaire, et non pas un paumé.
atomicjonas
Je suis pas mal d’accord avec le fait que culture rime avec populaire au Québec. Je n’ai rien contre celle-ci, mais personnellement ce n’est pas celle qui m’attire le plus et Michel Tremblay, je trouve que c’est mal écrit bien que la pièce les Belles-Soeurs me fasse bien rire lorsqu’elle est jouée. Je dois parfois me donner la peine de lire ce qui a été écrit au Québec puisque je suis porté à lire tout ce qui a été écrit ailleurs sauf dans ma province.
Je pense qu’on peut expliquer l’état de la culture au Québec par les différences entre les générations (celle de mes parents baby-boomers et la mienne) mais aussi par la société qui est beaucoup plus ouverte sur le monde aujourd’hui que le Québec renfermé sur lui et isolé il y a à peine 40 ans. Après on subit les influences qui se présentent à nous mais au moins aujourd’hui il y a plus de diversité ce qui donne la possibilité aux gens de découvrir ce qui se fait ailleurs et non de se limiter à la culture populaire de la province. Encore faut-il s’y intéresser, à ce qui se passe et se fait ailleurs qu’à TVA, ce qui n’est pas le cas de tous les gens malheureusement…
Ytorien
Brem : et le deuxième :-) ? Sinon comme il n’y a jamais eu beaucoup de volontaires au départ je crois que les québécois sont également victime de consanguinité du à une natalité importante. En effet le quebécois est vaillant au lit (Laurent peut en témoigner) normal c’est un Français et le caribou ne peut remplacer facilement les chevres. Et puis le sirop d’érable c’est quand même du sucre donc ça donne le diabete, ils n’ont qu’à pas tous habiter dans des cabanes à sucre.
Christian Aubry
Ce qui est bien avec toi, cher Ytorien, c’est que même les incultes sont en mesure de comprendre ta pensée. Les intellectuels auront beau relever le non-sens de la relation de cause à effet que tu proposes entre une natalité importante et la consanguinité (l’isolement en serait une cause plus logique), chacun peut comprendre qu’à tes yeux, cette affaire n’est pas sérieuse et qu’il y a donc lieu de s’en esclaffer en se tapant sur les cuisses. Vu sous un angle populiste et/ou salaud, tu as peut-être raison, mais les explications généreuses de Mario auraient dû te faire comprendre que d’autres angles existent. Ceci dit, personne n’est parfait et tout le monde peut changer d’idée (sauf les… oups! pardon:-).
Ytorien
Bon j’avoue effectivement je m’esclaffe et je me tape sur les cuisses. Pas pour un soi-disant manque de culture mais parceque personne n’a appris à ce brave M. Lagacé qu’il trouvera la signification des mots qu’il ne comprend pas dans n’importe quel dictionnaire. À moins que cela ne fasse trop intello d’avoir un dico chez soi.
Michel Leblanc
Aouch! Ayoye (comme on dit ici au Québec)! Tu n’as peut-être pas tort, mais est-ce typiquement québécois de minimiser l’impact de la culture? N’avez-vous pas vos populistes aussi? Aussi comme le soulignent Mario et Brem dans une certaine mesure, n’avons-nous pas des institutions culturelles d’envergures internationales ? De plus, nous ne sommes pas aussi porté que les Français sur les grands débats d’idées, cela ne sous-tend pas pour autant que nous n’avons pas d’idées et que nous ne savons pas débattre. De plus, depuis quand la culture se doit-elle d’être strictement intellectuelle? J’écoutais hier Charlie Rose qui s’entretenait avec Nicolas Sarkozy. On peut bien dire que la culture américaine s’exporte et qu’elle est populacière, cependant, monsieur Sarkozy faisait pauvre figure devant l’intellectualisme de classe de monsieur Rose et il ne répétait que des lieux communs et des clichés avec lesquels il se gargarisait. Autant il m’avait ébloui par sa prestance à LeWeb3, autant il paraissait vide devant l’un des grands intellectuels américains. Dirais-je dès lors que les Français sont vides? Je ne le crois pas. Peut-être que monsieur Sarkozy n’était pas dans son assiette, peut-être que Lagacé était fatigué? C’est drôle, j’arrive de Paris ou je me suis aussi mis au jeu des comparaisons. Je n’y ai rencontré ni moins ni plus de culture dans les discussions que j’ai eues avec plusieurs personnes, dont toi-même mon cher Laurent, que ce que je ne vit ici au Québec. Je pourrais dire par contre que votre café est excellent partout, même dans le métro. Pour la culture… je ne sais pas. pour la joie de vivre, elle m’est apparue identique. Pour l’amour de la polémique et de la confrontation, vous êtes nettement plus doué et tu es certainement l’un des maîtres en la matière…
Blah ?