Journal de bord

Si l’on m’avait dit un jour que je soutiendrais Jacques Chirac, j’aurais été perplexe. De la même façon, hier soir, je me suis surpris à applaudir Jean Chrétien.

Mes chaleureuses félicitations également à deux hommes d’honneur : Robin Cook et Lord Hunt.

“Livre nous tes pensées, Laurent.” Manur.

Inutile de me titiller trop longtemps, j’adore livrer mes pensées et c’est justement pour cela que j’ai mon blogue à moi.

Le diarisme (je n’aime pas ce mot, il fait penser à diarrhée verbale) est un détournement ou une extension du weblog, selon le point de vue où l’on se place.

Estimer que le journal intime est à l’origine du weblog est une erreur commise par les nouveaux venus dans le domaine, qui ont une vision de la blogosphère déformée par des manifestations comme les Blogues d’Or, où prédominent les diaristes. Le journal intime est un détournement de l’outil, ce qui n’est pas condamnable en soi, mais je pense qu’il serait dommage que le phénomène diariste occulte le mouvement weblog dans la francosphère. C’est pourquoi je salue les réactions de gens comme Mouche à propos de la publication d’informations erronées sur un site, site qui n’en est pas à sa première polémique.

Le weblog original est stricto sensu une collection de liens effectuée au gré d’une navigation, généralement autour d’une thématique spécifique, agrémentée de commentaires plus ou moins brefs, et classée par ordre chronologique inverse. Par ailleurs, “weblog” veut dire en français “journal de bord de navigation sur la toile”, log introduisant l’idée d’enregistrement périodique de données (Log. A record of a ship’s speed, its progress, and any shipboard events of navigational importance).

Bien sûr, cette discussion est tout à fait étrangère à de très nombreux blogueurs-diaristes, et même à de vrais blogueurs :

J’ai l’impression que de possèder un blog n’est pas seulement un effet de mode mais un réel besoin de se vider de ses problèmes quotidiens. Savoir qu’on sera lu, compris ou non, est une rassurance sécurisante. Je pense cela surtout pour les journaux intimes ! Aussi le problème qui se pose souvent est “Suis-je un blog ou non ?”. Je trouve cela dommage de se concentrer sur ce genre de questions et réfléxions.
[ Cerise, jury chez Blogdor.com ]

Pour Cerise, le blogue est considéré en tant qu’outil thérapeutique et moyen d’instrospection. Et là, je ne suis plus d’accord : cela n’est plus, à mes yeux, un blogue, même si le medium est commun. Ceci est une extension du weblog par détournement des outils techniques de publication et ne saurait être pris pour représentatif du phénomène blogue. Il y a dans le weblog traditionnel une autre actualité que celle propre à la vie intime et passionnante de son auteur (“Ce soir, j’ai mangé une pizza.”).

Le diarisme, facilité techniquement par les outils, est un autre mouvement. Tout aussi intéressant, mais pas pour les mêmes raisons que le weblog. Et il ne concerne pas forcément le même public.

Le problème, c’est qu’il n’y a pas de frontière franche entre les deux, pas de no man’s land entre les deux tranchées, mais un continuum qui va du weblog pur et dur jusqu’au journal intime, parfois très intime. La vie, c’est souvent comme cela, ni tout noir, ni tout blanc. Et, dans ce que l’on nomme la blogosphère, on trouve de tout et n’importe quoi. Les seuls points communs prédominants étant :
- l’utilisation de moyens de publication dédiés (sauf rares exceptions),
- la mise à jour (plus ou moins) régulière,
- le classement chronologique inverse des entrées.

Cette blogosphère est peuplée de chapelles. Dont les désormais célèbres axes “adultes/chiants” et “standards W3C”, axes que vous trouverez bien représentés dans ma liste de blogues. Mais ces chapelles ne sont pas bâties en dur, ce qu’explique Manur, ce ne sont que des communautés d’intérêts, faites d’affinités d’esprit, plus ou moins fluctuantes dans le temps et l’espace. Il se trouve que dans le mouvement brownien de la blogosphère, ceux qui se ressemblent, s’assemblent. Quoi de plus naturel ?

Pour ma part, la partie de la blogosphère qui m’intéresse le plus est constituée de ses membres qui s’intéressent au fonctionnement même de l’outil blogue et qui tentent de l’analyser, voir de l’enrichir. Elle se recrute généralement dans un public de techniciens (informatique, internet, standards). C’est elle qui anticipe et prépare l’avenir. Elle constitue un laboratoire d’idées passionnantes, et un espace de débat d’une grande richesse. Après, il y a les suiveurs (mon blogue sans originalité particulière parmi tant d’autres) et en dernier lieu les détourneurs (diaristes, photologs, etc.). Ceci dit, sans autre jugement de valeur que celui, personnel, qui me fait m’intéresser plus à certains blogues qu’à d’autres.

Pour terminer, le “sérail du blog francophone”, brocardé comme puéril et dérisoire par Cyril de Pointblog, je pense qu’il n’existe pas. Chacun choisit ses pairs par affinité élective selon ses domaines d’intérêts du moment et l’air du temps. Ces assemblages hétéroclites sont fluctuants, mouvants et précaires. En fait, il n’y a pas un sérail, mais une multitude de sérails avec pour certains des zones de recouvrement et d’échange avec d’autres. Et oui, il y a des axes, des lignes de forces, des regroupements, mais il faut se méfier des catégories, elles sont toujours trop limitatives et exigues. Par exemple, classer Karl dans le seul axe Standards W3C serait vraiment réducteur ; il y a toujours des gens polymorphes, polysensuels, qui sont inclassables. Les gens “riches” sont des axes à eux tout seuls, et sont souvent le carrefour de plusieurs axes. (Karl est tellement atypique et polymorphe que certains l’ont placé sans sourciller dans la catégorie blogues communautaires…)

Quand j’ai rencontré la première fois l’expression de ces axes, cela m’a fait rire. Je me suis dit : il y a du vrai là dedans, puis j’ai pensé : trop simpliste pour une réalité humaine qui refuse à se faire contenir et trop ghetto, mais quand même utile pour décrypter cette miraculeuse jungle qu’est la luxuriante blogosphère, car il faut un jour ou l’autre se réduire à émettre des généralités. D’où le sens circonspect et amusé de mon billet :

Aujourd’hui, je viens d’apprendre que je ne faisais pas partie de l’Axe du Mal, mais de l’Axe adultes/chiants avec des velléités de WebStandards W3C. Ça me laisse pensif…

Manur précisait également que l’on recrutait les membres de cette tribu parmi les utilisateurs de MovableType, je me suis senti visé ;-)

P.S Je me cite moi-même (c’est un vrai plaisir) : “Et il n’est pas facile de recouvrir une réalité aussi diverse et protéiforme qu’est la blogosphère.”

La question demeure : jusqu’où un blogue est-il encore un blogue ? Je sais, il y a des gens comme Cerise qui trouvent dommage de “se concentrer sur ce genre de questions et réflexions”. Cette question blogocentrique mérite pourtant que l’on s’y penche, au même titre que certains s’intéressent au comment les fourmis se préparent à la guerre ou au pourquoi de la sexualité des bonobos.