Chaque mercredi matin, c’est presque un rituel, avant de me rendre au bureau, j’achète les deux paquets de tabac à pipe qui feront ma semaine et Télérama. Dans le métro, je feuillette le magazine. Je commence généralement par le courrier des lecteurs puis je passe à la rubrique “Signes du temps”.
Dans mon métro qui me conduit jusqu’à Concorde, je plonge le 29 février 1991, dernier jour de la guerre en Irak. Du vacarme de la rame, je passe à celui de l’hélicoptère qui survole le désert. Je sens le vent chaud et poussiéreux qui s’engouffre par la porte latérale. En face de moi, Ken Kozakiewicz, un soldat âgé de 23 ans. Son blindé a été détruit par un missile américain. Une erreur technique. Il vient d’apprendre que son meilleur ami y est resté. C’est le corps qui est dans le sac à viande à droite.
Ma poitrine est étreinte, je sens le suffoquement monter à ma gorge, je regarde les visages éteints qui m’entourent. Mes yeux s’embrument, une larme perle.
Les portes s’ouvrent, station Concorde. Je me déplie et me précipite vers l’air libre. J’ai déjà vécu cela.
Je n’avais pas trente ans que mon meilleur ami m’a fait le partage de sa mort dans mes bras. Je sais l’ineffable de ces moments suspendus en ciel et terre. J’en garde les stigmates invisibles au plus profond de mon âme.
Je connais l’instant de silence stupéfait qui succède à l’explosion. Une bombe palestinienne. Je n’avais pas douze ans. Les gens qui se regardent hagards, le visage ensanglanté. Ce moment tragique entre plénitude d’être encore vivant et effroi d’être survivant. Puis la clameur de la douleur, les cris d’horreur.
Il y a des moments où tout ressurgit tel un torrent incoercible. La douleur enfouie.
Des photos comme celle-là, vous n’en verrez pas dans les semaines qui vont venir, mais ces moments là vont exister, quelque part là-bas.
Non à la guerre.
[ photographie David Turnley ]
Post-scriptum.
Ten years later, both mother and son say they still think of the war every day. For the former soldier, all it may take is a change in the weather, an ache in his left hand. (…)
With five years in the Army, he once had planned for a long military career. That changed abruptly.
“I saw too much,” he says. “I saw more than anybody should ever see.”
After setting aside plans to become a state trooper, Kozakiewicz, 33, works for Home Depot. Since the war, he has been married and divorced. (…)
Life, he says, will never be the same.
“Nothing could really come back to normalcy after a war like that, seeing what I saw,” he says. “Nothing’s normal any more.”
[ CBS News ]
Blah ? Touitter !