Jeune, je souhaitais devenir archéologue. Je ne me lassais pas de lire les récits des grandes découvertes archéologiques, et bien sûr celles relatives à l’exploration de la Mésopotamie. La plus célèbre de ces découvertes est la fouille des tombes royales d’Ur, entre 1922 et 1934, conduite par Leonard Woolley. Elle fut d’une grande importance pour éclairer l’état de la civilisation et des techniques, les rites funéraires et l’histoire, à l’orée de la 1re dynastie d’Ur. L’historien Guy Rachet n’hésitait pas à écrire que cette fouille était incontestablement d’une importance archéologique incomparablement supérieure à la découverte de la tombe de Toutankhamon.
Je me suis donc replongé dans deux des livres qui avaient tant charmé mon enfance, Les grandes aventures de l’archéologie de Lady Margaret Wheeler (1960) et L’aventure de l’archéologie de C. W. Ceram (1957).
C. W. Ceram qui écrivait, à propos de la Mésopotamie (entre Tigre et Euphrate) : Cette terre saturée de sang, si elle ne fut pas le berceau de l’humanité, fut celui de la civilisation humaine. Là furent inventés les premiers systèmes d’écriture, l’architecture, les sciences fondées sur l’observation du ciel; là se constituèrent les premiers États organisés, celui des Sumériens, ceux des Babyloniens et des Assyriens. Égyptiens et Perses envahirent cette contrée où la paix fut toujours éphémère; sur son sol naquit l’idée religieuse dont un des principes majeurs fut l’amour du prochain. Dans ce pays qui embrassa la doctrine de Mahomet, on voit encore la route suivie par Abraham. Cet univers est celui des Mille et une nuits, celui d’Haroun-al-Rachid. Là régnèrent les Grecs, Romains et Arabes; là passaient les grandes voies commerciales, traits d’union entre l’Orient et l’Occident. Terre d’occupation, cette région frontière a été — et l’est encore — le théâtre de perpétuels bouleversements.
Ur, Uruk, Nippour, Babylone, Bagdad, Mari, Assur, Ninive, Nimroud, autant de noms porteurs de rêve qui parlent encore à l’imagination aujourd’hui.
Qui se souvient aujourd’hui de Robert Koldewey qui au début du XXe siècle découvrit les splendeurs de Babylone ? Les palais de Nabuchodonosor (où mourut Alexandre le Grand), la porte d’Ishtar, le temple de Nimmah, la légendaire tour de Babel, sans oublier les voûtes et assises des fameux jardins suspendus de Sémiramis, retrouvaient la lumière du jour. Je feuillette les pages et tombe en arrêt sur les dessins du chantier réalisés par Elisabeth Andrae et je tente d’imaginer l’émotion de ces découvreurs. Babylone, ville mythique… Nabuchodonosor était un tyran qui multipliait les palais, les murailles, les ponts et les marquait de son sceau pour l’éternité. Il avait fait de Babylone la plus grande cité de l’Antiquité. (D’autres appelleront cette ville cosmopolite, la Prostituée…). Les ruines immenses et majestueuses permettent d’imaginer la stupéfaction qui devait toucher le visiteur aux portes de la ville.
Mais revenons à Ur. Outre les centaines de précieuses tablettes cunéiformes d’argile crue, la plus sensationnelle découverte de Woolley fut celle de la nécropole, 450 tombes dont celles des rois d’Ur et la fameuse “fosse de la mort”. Une fosse rectangulaire où, il y a 4500 ans, s’est déroulé une étonnante et tragique procession funéraire. À l’époque, ce n’était pas seulement le roi, ou la reine, que l’on portait en terre, mais aussi les membres de la cour et les proches serviteurs qui s’immolaient pour suivre le défunt dans son ultime voyage. Cette fosse contenait ainsi 74 squelettes, parés de bijoux, des harpes d’or et d’argent dont les mélodies avaient sans doute accompagné le rite funèbre. À côté de chaque corps se trouvait une coupe. On trouva également un cratère où chaque convive allait probablement remplir sa coupe de poison. La richesse et le raffinement des bijoux et objets sont exceptionnels et les tombes d’Ur dévoilèrent une civilisation disparue aux fastes oubliés, et traduisent le niveau de perfection technique et artistique atteint par les Sumériens. La plupart des pièces maîtresses de ces fouilles se trouvent aujourd’hui au British Museum (exposées salle 56), collection du Moyen-Orient.
Un autre grand musée, qui rivalise rivalisait sur le thème avec le British Museum, abrite abritait les joyaux de ce patrimoine de l’humanité, des trésors archéologiques : des milliers de tablettes cunéiformes conservant le témoignage de l’activité économique, des arts, de la littérature, des mathématiques, de l’administration, des lois à une époque vieille de plus de 4000 ans, notamment un précieux Code d’Hammurabi, des dizaines de bijoux, de coupes en or, d’armes et autres pièces (dont un “bélier dans le buisson”) provenant des tombes d’Ur, mais aussi une tête en bronze d’un roi akkadien, un vase d’Uruk, des sculptures assyriennes, des bas-reliefs des palais de Nimroud et de Khorsabad, une collection de 1600 monnaies anciennes, sans compter la collection d’art islamique, le plus vieil astrolabe connu (d’Ahmad Ibn Khalaf), etc. Il s’agit bien sûr du musée archéologique de Bagdad.
Mais aujourd’hui, de ce que les bombardements des deux guerres d’Irak n’avaient pas détruit, la passivité de l’occupant américain a fait le reste.
Le musée archéologique de Bagdad offre aujourd’hui un spectacle navrant de complète désolation. Cette honte supplémentaire et inexcusable est pleinement à porter au crédit de l’administration Bush, qui n’a que faire de l’héritage laissé aux générations futures.
Environ 170,000 pièces ont été détruites ou ont disparu, selon Nabhal Amin, la conservatrice du musée, sans compter le saccage des précieuses archives, ce qui laisse entrevoir l’ampleur du pillage.
4000 pièces avaient déjà disparu d’Irak (au sud et au nord, selon Jaber Khalil Ibrahim, président de l’Office national des antiquités irakiennes) lors du conflit de 1991. C’est ainsi qu’une statuette en bronze assyrienne (volée au musée de Kirkouk) a fait son apparition dans une salle du Metropolitan Museum de New York. Au moins, pour celle-ci, on sait où elle est.
Pour toute personne attachée à l’art, à l’histoire, à la mémoire, il n’y a que ces sentiments qui seront partagés dans le monde entier : colère, indignation et consternation.
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Francis Deblauwe : The 2003 Iraq War & Archaeology.
Washington Post :
’Our Heritage Is Finished’ Looters Destroyed What War Did No.
BBC : Looters ransack Baghdad museum.
The Age : 7,000 years of civilisation ’lost’.
Archaeological Institute of America :
Open Declaration on Cultural Heritage at Risk in Iraq.
La Recherche : Guerre des mots autour des trésors de l’Irak.
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P.S. On Friday, Rumsfeld condemned the reports of looting and violence, which have marred the image of exuberant Iraqis welcoming the troops that ended more than two decades of brutal rule by Saddam.
He said television images of acts of looting and violence were played “over and over again for sensational effect.”
“The images you are seeing on television, you are seeing over and over and over, and it’s the same picture, of some person walking out of some building with a vase,” he said. [Reuters]
C’était déjà une déclaration pitoyable lorsque l’on sait l’ampleur des pillages et des destructions, mais aujourd’hui, c’est encore pire, sa seule réaction sur le sujet du musée fut :
Rumsfeld said he had “no idea” whether museum officials had asked U.S. troops to guard the building that housed treasures dating back 5,000 years.
Il se trouve que les responsables du musée n’avaient rien à demander : une équipe d’archéologues américains avait rencontré, il y a déjà trois mois, des officiels du Pentagone afin d’attirer l’attention des militaires sur les trésors archéologiques de l’Irak, et notamment le musée archéologique de Bagdad. Et c’est sans compter les appels de nombreux comités scientifiques internationaux et de l’Unesco. Il suffisait aussi à M. Rumsfeld de lire le Washington Post pour savoir, avant sa destruction, la valeur pour le patrimoine de l’humanité de ce musée. La protection du musée eut été simple et aurait requis peu d’hommes, il suffisait d’un ordre. On a bien finalement protégé le ministère du pétrole… Rumsfeld est un menteur cynique, c’est un digne représentant de cette administration américaine pourrie, mercantile et haïssable. On ne peut pas compter sur ce genre d’homme pour s’émouvoir de patrimoine et de culture.
Et que l’on ne se méprenne pas, la plus précieuse des tablettes cunéiformes n’est rien en regard de la mort d’un homme; j’ai assez ici déploré les meurtres de civils irakiens pour qu’on m’autorise à déplorer cet Archaeological Shock & Awe.
P.S. bis. The Independent, Robert Fisk, A civilisation torn to pieces.
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Mise à jour, 14 avril
Tête de roi akkadien, présumée Sargon l’Ancien, Musée de Bagdad. Découverte dans le temple d’Ishtar (déesse de l’amour et de la guerre) à Ninive. XXIVe siècle av. J.-C.
Dans la presse, les Américains, les nouveaux Barbares :
The Christian Science Monitor : Looters plunder in minutes Iraq’s millennia-old legacy.
Sunday, with the threat of more vandalism, US forces still had not arrived to secure the museum. “It reflects badly on us as Americans,” says Dr. Zimansky. “We’ve behaved like absolute barbarians. OK, you can blame a mob, but they looted because law and order was broken down, and we broke it down. Then we stood by and watched.”
Washington Post : Pentagon Was Told Of Risk to Museums.
Late in January, a mix of scholars, museum directors, art collectors and antiquities dealers asked for and were granted a meeting at the Pentagon to discuss their misgivings. McGuire Gibson, an Iraq specialist at the University of Chicago’s Oriental Institute, said yesterday that he went back twice more, and he and colleagues peppered Defense Department officials with e-mail reminders in the weeks before the war began.
“I thought I was given assurances that sites and museums would be protected,” Gibson said. Instead, even with U.S. forces firmly in control of Baghdad last week, looters breached the museum, trashed its galleries, burned its records, invaded its vaults and smashed or carried off thousands of artifacts dating from the founding of ancient Sumer around 3,500 B.C. to the end of Islam’s Abbasid Caliphate in 1258 A.D.
Parallèlement : The London Times, UN and Army at odds as troops encourage looting.
UNITED NATIONS officials have rebuked British commanders for urging local residents to loot buildings belonging to the Iraqi Army and the ruling Baath Party.
The British view is that the sight of local youths dismantling the offices and barracks of a regime they used to fear shows they have confidence that Saddam Hussain’s henchmen will not be returning to these towns in southern Iraq.
One senior British officer said: “We believe this sends a powerful message that the old guard is truly finished.”
Harpe décorée d’or provenant des fouilles d’Ur : détruite.
Lion en terre cuite du temple de Tell Harmal (Shaduppum) dédié à Nisaba, déesse de l’écriture, et à Hani, déesse administratrice des lois : décapité.
Le Lapin
Ciel ! C’est pas un régime ça ! Je peux pas te laisser tout seul trop souvent. N’oublies pas de manger des légumes.
Bises
Le lapin
p.s. Quand est prévue la sortie du prochain film J’ai eu des plaintes sur la distribution du premier.
Blah ? Touitter !