Mon lapin est visiblement tombé sous le charme de la rouquine. Je lui ai demandé à quoi elle ressemblait, il m’a répondu : grande, rousse et québécoise. J’étais bien avancé… Que des éléments déjà en ma possession.
Mais dire de quelqu’un que c’est une vraie Québécoise, cela prend tout un sens, à moins de ne pas connaître cette espèce unique. La Québécoise, c’est une femme forte, indépendante, à qui il ne faut pas en conter. La Québécoise, c’est une post-féministe, elle n’a plus rien à prouver, et si au Québec, il y a quelque sexe à protéger, c’est sans doute celui que nous disons fort icitte, et qui en est encore tout déboussolé là-bas. Dans la Belle Province, le sexe fort, le “premier sexe”, à n’en pas douter, c’est la femme. Et les quelques hommes qui ont abandonné toute trace de machisme, et qui acceptent de baisser les armes sous l’emprise de l’autre sexe, s’en trouvent finalement assez bien dans ces quelques arpents de terre maternante et autoritaire.
Mais bon, je m’égare, et la Québécoise mériterait un ouvrage entier tant le sujet est riche. C’est un archétype qui ne se laisse pas circonscrire en quelques lignes, même si je peux vous dire : une Québécoise, c’est quelque chose.
Enfin, revenons à la Rousse avec un grand R, pour dire que mon lapin est tombé en admiration. Et qu’il s’est senti un peu petit dans la Cabane (il est inutilement modeste et timide, il brille pourtant pour son intelligence, sa morale et ses qualités humaines) au milieu de tout cet aréopage intellectuel, qui réunit amateurs de mots et férus de technologies. Et si la blogosphère tenait un peu des salons d’antan ?
Retour sur quelques impressions laissées par l’Armada.
En premier lieu, cette manifestation est victime de son succès populaire. Trop de monde, difficultés d’accès aux bateaux, fatigue des équipages, mauvaise répartition des navires entre les deux quais, commerçants aux tarifs prohibitifs (surtout pour les marins de pays à faible pouvoir d’achat) : la bière 25 cl à 3 euros et plus !
Malgré cela, c’est une occasion unique, non seulement de monter à bord de navires mythiques, mais surtout de rencontrer des marins du monde entier et de découvrir des savoir-faire maritimes. Et si le béotien ne verra qu’impressionnante forêt de mâts et de cordes, l’amateur éclairé sera retenu par mille et un détails qui révèlent une histoire commune et l’expression du génie pratique du marin.
Si je connaissais déjà la plupart des bateaux présents, à force de fréquentation des grands rassemblements, ce fut l’occasion soit de les revoir avec plaisir, soit d’approfondir mes connaissances.
Honneur au roi de la fête, plébiscité par le grand public, le Cuauhtémoc, grand trois-mâts barque (90,5 m ht) de la Marine mexicaine, construit en Espagne en 1982 (chantier Celaya à Bilbao), por la exaltación del espíritu marinero. La gentillesse et la chaleur de l’accueil de ses marins sont bien connues. La barque est merveilleusement tenue et il y a au moins 6 charpentiers à bord pour entretenir les vernis parfaits et les jolies chaloupes. Les manoeuvres sont rangées au millimètre près. Débauche de cuivre partout, mais avec un équipage de 275 hommes, on n’a pas peur du fourbissage, et même les cabillots sont en bronze. À bord trône fièrement la théière de Boston qui récompense des performances nautiques lors d’une transatlantique, 1342 milles en 124 heures (moy. 10.83 noeuds) en juin 2002 (2e meilleur temps de l’histoire). J’ai noté son grand coffre protégé de hauts pavois et les haubans en acier inox aux amarrages plats à bridures parfaitement exécutés, les retours de bras de mât de misaine sur des poulies à l’intérieur de la muraille (poulies à estrope d’acier de taille modeste et bras de faible section qui laissent présager un brassage assez facile et qui pourraient faire douter des capacités à résister par gros temps), les beaux filoirs d’écoutes de focs en bronze sur le gaillard. Bref, une bien jolie barque, qui, même moderne, donne bien envie d’embarquer.
L’autre beau militaire de la flotte de l’Armada, c’est bien sûr le portugais Sagres II, trois-mâts barque construit en 1937 par Blohm & Voss à Hambourg, maintenant vaisseau amiral d’une très grande nation maritime. (On connaît bien aussi son sister-ship le Horst Wessel devenu sous pavillon américain le Eagle). Le détail amusant à bord, c’est les trois boîtes en laiton qui sont au pied de l’indicateur de barre, devant l’appareil à gouverner. Chacune porte une inscription : Binóculos do comandante, Binóculos do oficial de quarto, Binóculos do navegador. Chacun ses jumelles, toute une hiérarchie… Un beau bateau qui comme le Cuauthemoc fait dans la débauche de cuivres. Il faut bien occuper les militaires…
La palme de l’exotisme revenait sans conteste au Dewaruci, trois-mâts goélette de la marine indonésienne, qui lui aussi s’est distingué par l’extrême gentillesse et le grand sourire de son équipage. Chacun des mâts est dédié à l’une des grandes îles de l’Archipel (de 17000 îles !) et est orné, comme la timonerie, de riches boiseries sculptées. Dewaruci, c’est le nom d’un seigneur et protecteur des océans. L’oeil averti aura remarqué l’échappement des gaz moteurs tout à fait atypique… En tant qu’ambassadeur de son pays, l’équipage aura sans doute donné envie à beaucoup de découvrir l’Indonésie. Seule contrainte à bord, pas de porc ni d’alcool, majorité musulmane oblige.
Mon gros coup de coeur, le bateau où je me suis senti bien tout de suite, c’est le Sørlandet, trois-mâts carré norvégien de 1928 (35,80 m ht). Vous allez peut-être rire, mais ma première perception d’un bateau, c’est son odeur (alors imaginez comment le marconi-plastique peut me décevoir…), et en voilà un qui m’a tout de suite subjugué par ses effluves de bois, de brai et de bitord. Le Sørlandet est admirablement préservé et semble “dans son jus” : il fait authentique, vrai et marin. Mille et un détails en font un bateau qui parle, qui porte les marques de son histoire. Le petit coin de bois pour bloquer un sabord de décharge, les doubles surliures, les cabillots de bois verni, les barres de cabestan, les ancres saisies sur le gaillard, j’aurais pu rester des heures à détailler tout cela, mais hélas, le temps m’était compté. J’espère bien que ce n’est pas la dernière fois que je monte à bord… En quittant, c’est le seul bateau dont j’ai demandé un coup de timbre sur mon carnet. Et je me suis souvenu aussi que Daniel à fait un stage mémorable à bord du Sørlandet en 1981.
J’ai admiré la Marité, goélette de Fécamp de 1923 sauvée par des Suédois passionnés, qui reviendra peut-être en France, avec Rouen comme port d’attache. Je n’ai malheureusement pas pu le visiter.
J’ai constaté les dégâts sur l’artimon de la brestoise Recouvrance, qui a fait une entrée fracassante à l’Armada en tutoyant la Marité. Mais je ne pense pas qu’elle gagne pour autant le prix décerné pour l’arrivée la plus mémorable…
L’épuisé brigantin russe Avos a suscité un gros mouvement de sympathie malgré sa très petite taille. On a toutefois peine à croire que des hommes et femmes confient leur vie à cette quasi-épave… Dans un élan de solidarité, le Belem et son chef Jean-Yves Bourgeois lui ont fourni l’électricité. Souhaitons-lui bon retour à Saint-Petersbourg…
Je suis aussi monté à bord du Renard, côtre corsaire de Saint-Malo, et j’ai bénéficié du charmant accueil de l’équipage de l’Iris, bateau de pêche hollandais construit en 1916 reconverti en bateau de croisière (mais où l’on regrette les gros winchs modernes).
J’ai vu aussi le polonais Dar Mlodziezy (Don de la jeunesse), trois-mâts carré de 108,8 m ht, construit en 1981 aux chantiers navals de Gdansk et qui a donné suite à toute une classe (les ukrainiens Druzhba et Kershones, le russe de Saint-Petersbourg Mir, les russes de Vladivostok Pallada et Nadesha). Son sister-ship russe Mir (La Paix, 1988) était également présent à l’Armada. Honnêtement, je n’aime pas beaucoup ces bateaux de conception trop moderne, avec leurs poulies en inox et leurs manoeuvres de toutes les couleurs (rouges pour certaines du Dar Mlodziezy), leurs gréements sans vergues volantes, les mâts d’une seule pièce, les très laids arrières à tableau droit percés de larges ouvertures, même si les performances sont au rendez-vous, ainsi le Mir qui peut remonter à 30° du vent et atteindre 19 noeuds. On notera également le goût des polonais à laisser les voiles en festons… J’ai rapidement passé l’autre polonais, le brick Iskra (49 m).
Les gracieuses goélettes Belle-Poule et Étoile étaient à couple comme à leur habitude. La furtive La Fayette m’a laissé de marbre ainsi que la plupart des bateaux gris. Si ces navires de guerre ont un intérêt technologique, ils laissent peu place au romantisme.
J’ai oublié le Stratsraad Lehmkuhl (trois-mâts barque, Norvège), le Christian Radich (trois-mâts carré, Norvège), le baroque Phoenix (brick-goélette, Grande-Bretagne), le Mare Frisum (goélette à trois mâts, Pays-Bas), le Earl of Pembroke (trois-mâts barque, Grande-Bretagne), le Grand Turk (copie d’une frégate anglaise de la fin du XVIIIe s.), le Kastelot (trois-mâts barque, Grande-Bretagne), l’Oosterschelde (trois-mâts goélette, Pays-Bas), et bien d’autres…
Et bien sûr le Belem, avec une file d’attente à l’échelle de son succès, où j’ai eu le plaisir de voir Patrick, Pépé, José, Jean-Yves, Andrew et Éric. Andrew qui s’est distingué par sa participation et son arrivée dans les cinquante premiers de la course des équipages, malgré une soirée bien arrosée la veille au poste avant.
De nouveaux panneaux explicatifs et pédagogiques accompagnent la visite du Belem. On restera plus circonspect à propos de l’autocollant Belem/Caisse d’Épargne distribué à la sortie que l’on pourra, par euphémisme, qualifier de peu réussi… La boutique Belem diffuse toujours les produits siglés Odyssée Atlantique, qui commencent à dater un peu et ils ont retrouvé un vieux stock d’opuscules écrits par le commandant Cornil.
Un dernier mot pour dire que Rouen mérite la visite, même sans Armada, avec ses anciennes maisons à pans de bois, ses petites rues pittoresques et ses quelques belles maisons d’armateur du XVIIIe s. comme on en voit à Nantes ou à Bordeaux. Une richesse architecturale qui s’exprime dès le bâtiment de la gare Rouen Rive Droite (1912-1928), belle manifestation de l’usage du béton armé dans les années 20 et à l’amusant campanile.
P.S. Les à-côtés de l’Armada : Comme Anne-Laure “venue admirer les bateaux et repartie avec un marin”, des dizaines de jeunes filles tombent dans les filets d’hommes mariés à la mer. Article de Paris-Normandie.
J’ai à la maison une grosse caisse bleue, du genre bac navette gerbable en polypropylène pour les spécialistes de la logistique. Une boîte qui contient des vieux papiers, souvenirs de ma jeunesse, des vieux papiers du genre dont on a la difficulté à se séparer, mais que l’on ne va jamais consulter. Je n’avais même plus une idée précise du contenu ce cette caisse, mais, ce soir, je l’ai rouverte.
Je me suis donc livré à une sorte d’archéologie personnelle. Comme à la découverte d’un blogue mystérieux datant de l’époque où Internet n’existait même pas. Avec des papiers déjà jaunis aux textes que je ne me souviens même pas d’avoir écris… Avec parfois l’impression que ce sont les écrits d’un autre… Des écrits dans lesquels je ne me retrouve pas.
Alors, pour me débarrasser définitivement de cette caisse, pourquoi ne pas en confier la substantifique moelle à mon blogue ? Un nouvel usage non encore répertorié dans l’usage de la blogosphère. J’inaugure donc ainsi ma rubrique “caisse bleue” tout en sachant bien que soudain, cela va donner une tournure bien plus intime et personnelle à mon navire. Alors, je vous autorise à sauter tous les billets à venir de la catégorie “caisse bleue”.
Premier document, impression sur papier à bandes caroll avec imprimante matricielle, circa mes 20 ans (?), ce qui ressemble à un début de roman entre Sagan et Modiano, mais bien imprégné de faits réels car l’action se situe très clairement avenue Montaigne, au bar des Théâtres :
Le bar était plein à cette heure-là. Une foule mouvante et excitée occupait le moindre recoin. C’était soir de gala en face. J’ai difficilement réussi à me faire une place au comptoir. Coincé entre un pilier et une femme qui riait trop fort, j’ai longuement jeté des regards désespérés au barman affairé afin d’attirer son attention. Il s’est enfin penché vers moi, sans me regarder. J’ai murmuré ma commande. Cinq minutes plus tard, mon cognac était là, lui aussi coincé, entre des express et des demis. L’endroit n’avait pas changé, même clientèle cosmopolite, mêmes serveurs condescendants. Ce soir, il y avait quelques hommes d’affaires étrangers en costume gris, mais l’essentiel de la clientèle, en habit de soirée, était constitué de spectateurs du théâtre. Deux machinistes, un tapin, une vieille habituée, un présentateur de télévision et quelques touristes égarés ajoutaient leur touche à l’ambiance.
La femme qui ne riait plus a dit qu’il était l’heure. Et cette rumeur a rapidement parcouru la salle. Les conversations se sont achevées. Des quantités de pièces sont tombées dans les sébiles et sur le comptoir. En groupes, ce petit monde à fiévreusement évacué le café. Ils ont traversé l’avenue, indifférents à la circulation, aux klaxons. Des lamés, des paillettes se sont allumés dans les faisceaux des phares.
J’ai réglé le cognac, évité le regard insistant du tapin et je me suis dirigé vers la sortie. Une voix féminine a prononcé mon prénom à mon passage. je me suis retourné, surpris. Une jeune femme derrière un croque-monsieur me regardait en souriant. Sans comprendre, je suis venu m’asseoir à sa table.
— Marc, est-ce possible ?
Après l’avoir dévisagé un instant, son prénom est venu à ma mémoire.
— Hélène, Hélène.
Répétant bêtement son prénom, je mobilisais toutes mes forces pour me soutenir. Elle m’a aidé.
— Marc, te souviens-tu ? Le lycée, Lucie, Monsieur Antoine.
— Que deviens-tu ? Cela fait si longtemps…
Le serveur a interrompu ces retrouvailles émues. J’ai commandé un café. J’ai regardé Hélène. Elle n’avait guère changé. Peut-être était-elle moins blonde ?
Blah ? Touitter !