Quand je vois ça, je me dis que le blogue n’est plus qu’un truc de ploucs. (Bon, je sais, il y avait déjà les Skyblogs et les blogues thématiques tricot, crochet, point-de-croix, ou encore entrepreneur, mais là, c’est vraiment trop.)
Il est temps d’inventer le post-blogue. Ou encore le “no-blog”.
Merde, j’aurai pu faire le lit… C’est tout moi, ça. Bordélique.
J’ai allumé des bougies. Je ne prie pas, je n’ai pas de dieu. Ça va être une longue nuit.
Ne me téléphonez pas, je ne répondrai pas.
En fait, je vais bien. Je crois même que je vis un certain état de grâce.
Tout à l’heure, je vais sortir, me promener dans Paris, voir si le vent souffle encore. C’est ma nuit à moi, ma nuit à nous.
J’irai le long des quais de la Seine. Peut-être même que je pousserai jusqu’à l’Insolite, boire un verre à ces heures tragi-comiques. Et au petit matin, je commanderai une andouillette au Pied-de-Cochon. Et ce sera bien.
4 qui se sont consumée depuis ce matin et j’en rallume une autre ! T’es pas tout seul Laurent bon sang !
Je me rappelle, je me souviens… le visage, la voix… et encore heureux qu’on ne l’oublie pas !
Tu devrais dormir à cette heure, Marie, qui peut encore avoir l’oeil ouvert à Lorient au milieu de la nuit ?
Nous avons un si beau et tragique point commun, nous l’avons aimé ce météore.
Savoir que quelque part à l’Ouest, il y a encore quelqu’un pour penser à lui, ce jour, à cette heure, à l’unisson avec moi, ça me chauffe le coeur.
Et puis, si cela te choque un peu, un cercueil, ce n’est qu’une boite de bois, une oeuvre de menuisier, cela n’a rien d’indécent… C’est même un dernier navire. D’ailleurs, il était assez moche.
L’indécence, elle n’est pas là, elle est dans notre société toute entière, au quotidien. Il faudra que j’écrive, un jour, ce qui s’est passé entre le 17 et le 19 décembre 1994. Oui, un jour, il faudra… Ça fait des années que je me dis qu’il faudra l’écrire. Écrire l’indécence de la mort. Écrire le manque d’assistance. Écrire la dureté de ces moments. Écrire la lâcheté de mes contemporains sur un sujet aussi banal que la mort.
C’est quoi notre société où les cimetières sont exilés en banlieue et les crématoriums en zones industrielles ? C’est quoi nos morts aseptisées et invisibles en milieu hospitalier ?
C’est quoi cette fuite, cette dénégation, ce refus ?
Nous ne savons plus que faire de la mort, même si nous savons bien qu’elle définit notre vie. Nous sommes sous l’empire du marketing et le la consommation. Et même le rite funéraire en est maintenant imprégné.
Et surtout, nous ne la vivons plus au quotidien, physiquement. Tout est fait pour déréaliser la chose, la transformer en abstraction formelle.
Mais qui sait encore la préparation d’un mort, qu’il faut lui bourrer le cul d’ouate de peur qu’il ne se vide ? Personne. Heureusement que la soeur de Marc est venue à mon secours sur ces questions pratiques. Sans parler du maintien de la mâchoire. Car j’étais bien démuni, et la société n’était pas là pour moi car j’avais volontairement fait le choix de la mort à la maison. Un choix qui n’est même plus proposé aujourd’hui et que j’ai dû imposer, que dis-je, guerroyer pour l’obtenir.
Avant, c’était le quotidien, c’était la vie. Maintenant, c’est tabou.
J’ai le sentiment qu’à s’éloigner de la vie, de notre nature humaine et animale, nous nous préparons des lendemains bien difficiles.
LA GÎTE
À la voix que tu donnes
Détendue, un peu lasse
Toute en creux qui m’apaisent
Et m’installent à ton bord,
J’entame le voyage,
Car les voiles ont claqué
De ce vent régulier
Frisant l’eau qui se fend
D’une étrave inclinée,
Un filet d’écume fine,
Et mon cœur à la gîte
Répond à l’oiseau
Que la terre précieuse
Est un désir par l’horizon,
Un murmure à la face du ciel.
3 décembre 1993.
“Une minute après l’autre, l’océan se brisait avec une puissance égale contre l’île invisible ; …”
Robert Louis Stevenson, Le reflux.
C’est l’un des derniers poèmes de Marc. Il parle de moi, alors, forcément, cela me touche.
Il y a celui-ci aussi :
IMMOBILE
À qui part demain
J’offre la traversée
Les yeux fermés
Un espace vierge de parcours
Qui va d’ici jusqu’au-delà
Pour la fonder une étendue,
Un océan libre de routes
Et de cargos absurdes
En cabotage paresseux,
Sous l’ample silence
Des vents singuliers
Comme au plus profond
D’un bleu liquide.
22 décembre 1993.
“Dans les cœurs fervents refermés sur eux-mêmes, de brèves expériences dévorent notre humain tissu comme un feu qui couve en secret dans la cale d’un navire consume le coton dans sa balle.”
Herman Melville, Billy Budd, marin.
Et enfin, son tout dernier poème :
IMPRESSION DE VOYAGE
À la longue d’une journée
Délicieuse et charmante
Par les largeurs qui sinuent
En ornières majestueuses
Sur soi-même
Pluie fraîche
Un repli s’intercale
Je vois fort bien
Je pense à merveille
Je fais la route au pas
Inexprimable et doux
Porteur d’un peu de monotonie.
22 janvier 1994.
“Et je rendis grâces à Dieu d’être libre d’errer, libre d’espérer, libre d’aimer!”
Robert Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes.
J’ai le privilège d’avoir les images qui vont avec. De savoir quelles étaient les “ornières majestueuses”.
Et, le petit con, il avait un vrai talent. C’était un vrai poète.
En novembre dernier, à Montréal, on m’a posé la question (l’auteur s’y reconnaîtra) : “et Yves, dans tout ça, c’est quoi sa place ?”
Yves, c’est mon ange, c’est celui qui a sauvé ma vie. C’est lui qui m’a prouvé que je pouvais encore aimer, encore bâtir des projets, que je n’étais pas condamné. Yves, c’est l’homme de ma vie — bis. Et quand je vois tous les gens qui se lamentent de ne pas rencontrer l’amour, je bénis les fées qui se sont penchées sur mon berceau. Une fois déjà, c’était pas mal, mais deux ! J’ai du mal à faire étalage de ma chance.
Alors, forcément, c’est une histoire complètement différente. Et Yves m’a pris comme j’étais, même si j’étais un machin en solde tout cabossé de la vie. Et dès le départ, il savait mon histoire, et il m’a pris comme j’étais, avec mes fêlures, et surtout avec Marc en moi, Marc qui fait ce que je suis aujourd’hui, Marc qui coule dans mes veines tant nous fusionnâmes.
Parfois, il vaut mieux une bonne occasion qu’un véhicule tout neuf.
Et Yves est toujours là pour me tendre la main quand je gis dans le caniveau, trempé de pluie, sans me juger. Toujours là à me récupérer de mes errances délétères. C’est con, mais il m’aime. Et, je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ça, parfois, je m’en sens indigne. Il m’arrive de me sentir coupable de lui faire supporter tout ça. Mais il semble y trouver son compte, et cela est l’essentiel.
J’ai besoin de mer. Embarquer n’importe où;, n’importe quand, sur n’importe quoi.
J’ai raté ma carrière professionnelle. Je ne suis pas fait pour travailler sous les lambris dorés, inscrits à l’inventaire des monuments historiques, rue Royale. Je suis un homme de mer, je suis marin dans l’âme.
Je me suis fourvoyé. Si c’était à refaire…
Maintenant, il est un peu tard.
4 h 30. Je devrais aller dormir. J’ai tant de choses à faire demain, les courses, le ménage.
J’ai mis la Leçon de piano, de Michael Nyman. Et je flotte entre deux eaux.
Une pensée obsédante vient à m’envahir. Qu’as-tu fait de ta vie ? Je n’ai qu’une chose à répondre : “j’ai aimé, et puis, j’ai essayé de bien faire”.
Bien sûr, j’ai honte pour bien des choses, bien des lâchetés, mais quand je me regarde dans le miroir, je me dis que j’ai déjà fait bien des Everest, et qu’il me reste encore des sommets plus hauts à atteindre.
Mon seul objectif, ce n’est pas de bâtir des entreprises, ce n’est pas de forger un capital, c’est de laisser une trace dans les coeurs. À chacun ses vanités.
Parce qu’après l’amour, qu’est-ce qui reste ? Pas grand chose. Nos cimetières sont peuplés de grands hommes, de capitaines d’industrie, de gens irremplaçables dont tout le monde a oublié le nom. Je n’ai même pas l’ambition de devenir un nom de rue, ni même de laisser une oeuvre, juste d’offrir un peu en partage pendant que je suis encore vivant.
Et, c’est pas facile.
Bon, après cette catharsis, tous ces épanchements nombrilistes, ce carnet va retrouver son cours normal et parler des vraies choses sérieuses : la blogobille, le net, l’informatique, les chats, etc.
wilburnes
suffit de le demander: no-blog
Blah ? Touitter !