Hier soir, Dame Kozlika m’a convié à l’accompagner au Théâtre de la Madeleine pour une soirée gentiment désuète.
Il y a 83 ans, le 1er avril 1922, le tout nouveau Théâtre Daunou lève le rideau sur la première de Ta bouche, une opérette signée Maurice Yvain. Le compositeur de variétés a alors 31 ans et s’est déjà fait un nom pour avoir écrit des airs connus comme “Mon homme” (1920), chanté par Mistinguett.
Contacté par le directeur du Palais-Royal, Gustave Quinson, Yvain se voit offrir un contrat pour trois opérettes. Ce qui donnera la trilogie Ta bouche, Pas sur la bouche, Bouche à bouche. Il travaille en collaboration avec son parolier habituel Albert Willemetz, sur un livret d’Yves Mirande donné par Quinson. Faisant fi de l’indigence du scénario, Yvain et Willemetz écrivent l’opérette en dix jours, et ce sera un triomphe.
1922, moins de 4 ans après la fin de la “Der des ders”, et pas une ombre au tableau, car le mot d’ordre d’alors est la légèreté. La musique est légère et les intrigues frivoles. Et cette légèreté là, cette fête à la vie, n’en a que plus de valeur. Il faut non pas oublier, mais mettre de côté la boucherie et mettre en pratique ses leçons : jouir de ce qui nous est donné et qui est toujours trop chiche, et danser sur le volcan. Ce sont là les prémices des Années folles.
De Truc-sur-mer, à Tric-les-bains, en passant par Pouic-les-flots, fausse comtesse, nobliau, et leur progéniture, tous désargentés, courent après des mariages qui renfloueraient les caisses dans une ambiance délicieusement balnéaire. L’amour va bien sûr troubler ces manigances et la fin sera forcément heureuse. Mais peu importe l’histoire et ses rebondissements de vaudeville, ce qui compte c’est la musique et le rire.
Si cette production suinte un peu la pauvreté de moyens (décor et costumes), l’essentiel est là : des interprètes qui ont visiblement du plaisir sur les planches et de l’énergie à revendre, une mise en scène (de Stephan Druet) créative et enlevée qui évite les écueils du pastiche, une musicalité sans reproche (si ce n’est un manque d’articulation de certains chanteurs et quelques mollesses passagères de l’orchestre).
Parmi les interprètes, Gilles Bugeaud, qui tient le rôle de M. du Pas-de-Vis, est très impressionnant de présence et de clarté, et son jeu d’époque, reprenant la gestuelle comique du vaudeville, apporte beaucoup.
Et le trio des trois poulettes, les petites pestes Mag, Margot et Marguerite, choeur caquetant et insolent, est vraiment inoubliable et d’une grande drôlerie. Ce sont les vraies stars de la soirée.
Ce petit bijou, c’est du bonheur sur scène. Réjouissant. Et recommandé en ces temps de morosité. Même si un petit accès de nostalgie peut vous éteindre le coeur à la sortie du théâtre…
(Détail amusant : le théâtre de la Madeleine a été construit en 1922.)
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Ta Bouche, à partir du 16 avril 2005, du mardi au samedi à 20 h 30, matinée le dimanche à 15 h 30, au Théâtre de la Madeleine.
Direction musicale : Benjamin Lévy.
Mise en scène : Stephan Druet.
Avec la compagnie Les Brigands : Emmanuelle Goizé, Muriel Souty, Isabelle Mazin, Sébastien Lemoine, Gilles Bugeaud, Loïc Boissier, Anne-Lise Faucon, Camille Slosse, Alma de Villalobos, Florence Andrieu.
à la caisse du super-marché, il arrive que la personne qui vous suive ait très peu d’articles, contrairement à vous qui venez de faire votre épicerie hebdomadaire. J’ai pour habitude de l’inviter à passer devant moi. Sa muette présence fait d’elle une requête d’exercice immédiat de savoir-vivre entre chalands. Et à l’énoncé de votre invitation, l’impétrant sans le savoir reste souvent médusé un instant, surpris de cette inaccoutumée civilité. Il n’en espérait pas tant, et même, à l’occasion, n’en avait pas imaginé les prémices d’un possible.
Ce fut encore le cas ce jourd’hui, lorsqu’un quidam, en l’occurrence un avenant jeune homme d’origine arabe, se présenta avec pour tout et unique achat un pot de gel capillaire. Dans son regard interrogatif, je crus saisir un “z’êtes sûr ?”, auquel je répondis par un sourire affable. J’en étais d’autant plus sûr que le garçon faisait visiblement partie de la race des sans-grades, de ceux pour qui jamais personne n’a d’égard et de considération, surtout dans mon quartier cossu sillonné de fausses blondes siliconnées en véhicules automoteurs dotés de pare-buffles chromés conçus expressément pour la jungle urbaine de NAP (Neuilly-Auteuil-Passy).
Je vous invite à faire de même. L’investissement en vaut la peine. Vous perdrez tout au plus de 15 à 30 secondes. Mais les bénéfices en sont inestimables.
En premier lieu, vous vous sentirez bon prince, et à peu de frais, vous retrouverez vos pénates le sourire aux lèvres, le chemin vous ayant paru plus court et vos sacs de commissions allégés.
En second lieu, vous aurez eu loisir (enfin, dans le cas particulier que je viens de vous exposer) d’avoir une vingtaine de seconde le plaisir de détailler les fruits de la Nature et la beauté du monde dans sa diversité, et vous laissera des images édifiantes sur le génie du Créateur, surtout quand il se manifeste dans une parité de formes esthétiques et rebondies, soulignées par un des ces pantalons blancs en tissu synthétique moderne, marqués d’un fameux boomerang, qui sont particulièrement seyants pour certaines anatomies callipyges.
Une fois sa menue monnaie perçue de la gorgone impassible, l’individu se retourne vers vous et vous interpelle “Hé, merci, M’sieu, merci” et part vers sa destinée, faite de séduction du samedi soir vu son emplette. Et vous laisse en suspension dans l’éther de votre bonté gratifiante.
Voilà, qu’est-ce que vos dizaines de secondes perdues pour ce sentiment d’être un autre homme, bon et généreux ?
Mais cela ne doit pas devenir une règle. Il faut ajuster votre attitude en fonction des circonstances. Si vous repérez derrière vous la petite vieille qui vous a autoritairement pris la place dans la file d’attente il y a une quinzaine, même si elle n’a que son litre de lait et sa boîte de “super-miaou”, faites preuve d’intransigeance, vous n’en sortirez que grandi. Soignez digne, impassible et ferme. Ignorez sa présence. Mieux, faites durer l’expérience. Soignez la mise en sacs de vos articles, prenez le temps de réfléchir : la salade ne serait-elle pas mieux sur la boite d’œufs que coincée entre deux bouteilles ? échangez quelques propos plaisants avec la caissière. Prenez un temps infini à trouver votre carte bancaire. Trompez vous deux fois de code (oui, vous en avez droit). Puis, décidez finalement de payer en espèces et prenez le temps qu’il faut pour calculer l’appoint le plus juste. Ne boudez pas votre plaisir. évitez les regards haineux de la moribonde. Savourez ces précieuses secondes qui s’égrènent, le chat pouilleux de la vioque peut bien attendre.
J’ai re-publié (avec leurs commentaires) les billets de samedi dernier. J’avais eu la sagesse de les mettre seulement en “draft”. Finalement, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat, mais je n’étais pas en état pour supporter la controverse.
Ce n’est pas tous les jours facile d’avoir des lecteurs…
En fin de compte, j’aimerai bien que le cardinal ultra-conservateur Ratzinger, qui dirige la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, devienne pape. Cela signerait définitivement la fin de cette église qui sent le cadavre et l’Opus Dei, en l’enfonçant encore plus dans ce passéisme qui s’arqueboute sur une doctrine d’un autre temps.
Alors que Jean-Paul II commence à pourrir dans sa crypte, le conseil d’administration de l’opium du peuple va se réunir dès lundi. Je n’espère pas qu’il aura la clairvoyance de juger les résultats calamiteux du dernier pontificat. Un rapport investissement/résultat particulièrement négatif : les églises sont vides.
S’il reste encore de vrais chrétiens (et, croyez-moi ils sont rares), ils sont peut-être à chercher de ce côté-là ou ici.
Jean-Paul II est une insulte à Vatican II et à ce que je connais des valeurs chrétiennes. J’espère que cet aspect rétrograde sera tout ce que l’on retiendra de son trop long passage au Vatican. Quant à en faire un saint, ce serait indigne (mais Jean-Paul II a tant béatifié et cannonisé que tout cela ne veut plus dire grand chose). Où; alors, il faudra sortir son cadavre plus tard pour le traduire en Sainte-Inquisition comme cela c’est déjà produit, lors du procès par étienne V du pape Formose. Et jeter ce qui reste au Tibre.
Mon histoire personnelle est empreinte du mouvement des prêtres ouvriers. Je ne suis pas croyant pour deux sous, mais c’est là que j’ai rencontré des hommes de très grande valeur, des hommes à qui une hiérarchie moyen-âgeuse a vraiment chié à la gueule. L’église romaine n’est que l’appareil d’une mafia d’un autre temps. Il serait temps que cela change. Et que l’on apprenne le sens des évangiles. Visiblement, l’histoire n’a servi à rien.
Ces ecclésiastiques à la solde du Vatican qui jouent les putes des dictatures et les valets des droites les plus dures — je pense à l’Amérique du Sud, mais c’était pareil pendant la seconde guerre mondiale — il est grand temps que cela cesse. Cette église est une imposture et l’a toujours été. Les seuls valeureux qui s’y sont opposé ont été brisés.
On dit que l’église n’a pas à faire de politique (*), mais avec l’anti-communiste primaire qui aveuglait Jean-Paul II, nous n’avons eu que ça. Résultat, pour ces funérailles soi-disant spectaculaires, nous n’avons eu principalement l’expression de la Pologne confite dans le catholicisme, qui ferma les yeux avec beaucoup de complaisance sur le sort des Juifs (mais c’est un autre sujet), et d’autres mouvements extrémistes détestables. Le samedi suivant la mort du pape, j’ai visité plusieurs églises, elles étaient totalement vides.
(*) C’est en tout cas la raison invoquée par le Vatican pour rejeter la Théologie de la libération en Amérique latine.
à lire sur ce sujet : Jean-Paul II, avec l’Empire contre l’église des pauvres, par Augusto Zamora R.
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PS. Un long article à lire dans la revue Golias : Jean Paul II est parti !
Sans aller jusqu’à la démocratie intégrale au sens moderne du terme, il est question de collégialité : Jean-Paul II a hérité de Paul VI et poussé à l’extrême l’absolutisme pontifical, ce qui était une trahison patente de l’écclésiologie de Vatican II : le corps apostolique des Evêques n’entourait plus le Successeur de Pierre qu’à titre de valets, et était choisi dans ce sens.
(…) L’héritage actuel est celui d’un monolithisme institutionnel et doctrinal qui ne respecte pas plus l’évolution de l’Occident que la situation et l’évolution du reste du monde. De théologique la doctrine romaine est devenue peu à peu idéologique en s’appuyant sur une systématique greco-médiévale qui a fait son temps depuis belle lurette : Rome s’était appuyée dessus au XIXe siècle pour contrer l’évolution de la pensée occidentale, cela n’a guère survécu sauf dans certaines écoles, comme celle de Lublin en Pologne, inspiratrice du Pape.
(…) Mais ce fixisme suranné ne s’en est pas tenu qu’à des conséquences au niveau de la pensée, il a pesé beaucoup plus lourd encore au niveau de la théologie morale : il ne s’agissait pas de permettre tout et n’importe quoi, surtout devant des questions souvent radicalement nouvelles : bioéthique, génétique, sexualité, etc…dont les répercussions socio-culturelles étaient patentes ; Il faut reconnaître que là, sans doute pour les mêmes raisons, Jean-Paul II a achevé l’œuvre de ruine du concile Vatican II amorcée par Paul VI : en se réservant les questions du célibat sacerdotal et de la sexualité, en publiant ses deux encycliques sur le sujet, et tout particulièrement « Humanae vitae » en 1968. Le Pape d’alors avait sonné le glas de la parole pontificale. L’Eglise avait perdu tout crédit en ce qui concerne les femmes, la sexualité, et le sacerdoce…et cela n’a fait que croître et embellir. Le malheur est que cette ruine a rejailli sur le reste de la parole pontificale qui en d’autres domaines était loin d’être nulle et non avenue.
(…) S’il y a eu un rôle très important au niveau de la libération de la Pologne et des Pays de l’Est, lui attribuer tout, comme on le fait ces jours-ci, en omettant de parler du rôle des USA et de Gorbatchev dans l’affaire , est un mensonge historique. Il en va de même à propos de la politique vaticane en Amérique-Latine : l’anticommunisme viscéral compréhensible du Pape, mais aussi du Président Reagan et de ses successeurs, a contribué à soutenir des dictateurs et à ouvrir le continent aux sectes, au détriment des Eglises locales, remises entre les mains d’Evêques conservateurs. Le nouveau Pontife aura pour devoir de choisir entre une politique libérale pro-américaine et une ouverture aux recherches et aux combats du monde. On se goberge dans les émissions actuelles du nombre de catholiques en Amérique-Latine, sans évoquer les désaffections et les progrès des sectes venues des USA. C’est un aveuglement historique.
(…) Jean-Paul II aura été, nul ne le conteste, un très grand politique, aura-t-il été pour autant un très grand Pape ? L’avenir le dira. Ce qui est certain dès aujourd’hui, c’est qu’il a fermé plus de portes qu’il n’en a ouvertes, il a poussé le bouchon trop loin et fait franchir à la papauté nombre de points de non-retour.
à lire également, vu du Brésil : Jean-Paul II, la grande restauration, par Leonardo Boff.
Édouard
Ah, je suis complètement jaloux ! Et les photos sont magnifiques, bravo.
samantdi
Moi aussi je suis allée le voir, alléchée par ton billet ! Edouard a raison, tes photos sont splendides !
Blah ? Touitter !