Querelle libérale
«Je ne pourrais jamais dire : je suis libérale. Je ne crois pas qu’il faille réhabiliter ce mot et ce concept. C’est le mot de nos adversaires politiques, synonyme de capitalisme débridé, d’écrasement des bas salaires, de violence». [Ségolène Royal.]
La même Ségolène Royal qui dit, lorsque l’on tourne en dérision la “démocratie participative”, “les caricatures sont inutiles”.
Par facilité de langage, nous parlons de “libéralisme” pour “libéralisme économique”. Mais ce n’est pas en appauvrissant les concepts que l’on enrichit la pensée.
Cet épisode illustre à quel point le marketing se substitue à la réflexion politique chez certains socialistes. Quand Benoît Hamon déclare “Le passé du Labour anglais ou du SPD allemand ne peut être l’avenir du PS français alors que l’offre politique de la social-démocratie européenne a été mise en échec partout”, on lit plus le résultat d’une étude de marché pan-européenne qu’une pensée politique — avec des histoires non transposables, la France n’a pas connu 10 années successives de blairisme. (Et si l’on tient vraiment à se placer sur le terrain de la stratégie politique, il ne faudra pas faire l’économie de l’analyse de la migration d’une partie de l’électorat socialiste vers le centre lors des dernières présidentielles.) Marketing encore avec la “démocratie participative” du clan ségoléniste, qui n’a pas fait ses preuves autant dans son mode que dans son résultat…
Le concept libéral a l’avantage de servir de plan de clivage entre le socialisme moderne et l’extrême gauche, représentée par Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon, de définir des contours clairs.
Il est temps de réhabiliter le terme “libéral” et de donner un sens et du contenu à “social et libéral”.
Ségolène Royal se place souvent sur le terrain de l’anathème et de l’imprécation, à défaut de constance dans le propos. Puisqu’elle disait en mars 2008, alors qu’elle souhaitait “en finir avec les conformismes”, à peu près la même chose que Bertrand Delanoë sur le “libéralisme politique”, dans un entretien accordé au magazine Le Point :
Le grand débat n’est-il pas aujourd’hui entre le socialisme et le libéralisme ?
De quel libéralisme parlez-vous ? Si c’est du libéralisme politique, il est depuis l’origine indissociable du socialisme démocratique. Voyez Pierre Leroux, l’inventeur du mot socialisme en 1840, Jaurès justifiant contre Jules Guesde la défense du capitaine Dreyfus et affirmant que « l’individu est la mesure de toute chose » , Blum anticipant lors du congrès de Tours la dérive dictatoriale du communisme soviétique, Mitterrand abolissant la Cour de sûreté de l’Etat et la peine de mort. La liste serait longue de la contribution des socialistes au renforcement des libertés individuelles et politiques ! Si vous appelez libéralisme cette idéologie du laisser-faire, laisser-aller, qui, depuis l’aube du capitalisme, oppose les vertus de la main invisible du marché aux régulations de la puissance publique et l’harmonieuse convergence des intérêts particuliers à la construction volontaire de l’intérêt général, alors oui, le socialisme ne mange pas de ce pain-là et il n’est pas le seul. Le gaullisme non plus ne tombait pas dans ce panneau. Et la République s’est construite, non sans mal, non sans reculs, contre cette illusion naturaliste.
Le libéralisme n’est-il pas une belle idée de gauche à l’origine, inventée au XVIIIe siècle, contre la monarchie ? Pourquoi la gauche l’a-t-elle diabolisée ?
Je vais vous dire le fond de ma pensée : les véritables héritiers de la belle tradition du libéralisme politique, qui est au fond l’autre nom de la démocratie, ce sont tous ceux, à gauche mais pas uniquement, qui savent combien les libertés politiques sont fragiles si l’on fait l’impasse sur les inégalités sociales. C’était vrai hier et ça l’est toujours aujourd’hui. Car la liberté du renard dans le poulailler, on sait ce que cela donne !
[…] La gauche française n’a-t-elle pas de leçons à prendre dans les expériences de Gerhard Schröder, de Tony Blair ou des social-démocraties nordiques ? Et lesquelles ?
Elle a, je le dis depuis longtemps, à tirer les leçons de ce qui marche et de ce qui ne marche pas chez nos voisins. Vous auriez pu citer Zapatero, sous la conduite duquel l’Espagne se métamorphose à grands pas. Mais il n’y a pas de modèle mécaniquement transposable, plutôt une inspiration à puiser dans les expériences des uns et des autres, sans oublier que la social-démocratie traditionnelle est elle aussi en crise. L’étape suivante, ce n’est pas le retour au congrès de Bad Godesberg, il y a un demi-siècle ! Le monde a changé, le socialisme doit changer pour rester fidèle à sa mission. Nos amis scandinaves ont, les premiers, su concilier l’ouverture à la compétition mondiale et la consolidation des solidarités nécessaires, la souplesse dont les entreprises ont besoin et la sécurité que les salariés sont en droit d’attendre pour ne pas vivre mobilité et reconversion comme un drame, la force d’un mouvement syndical puissant et la qualité d’un dialogue social permettant d’anticiper ensemble les mutations à réussir.
Ce parti pris garde, sur le fond, une grande actualité, mais les outils sur lesquels il s’est appuyé se sont usés au fil du temps. Et les dérégulations réalisées en Suède sont loin d’être toutes un succès, en particulier dans le domaine de l’énergie. Il n’y a donc pas de recette du socialisme moderne, mais des questions, des réussites et des échecs à mettre en commun pour que chacun, avec son histoire propre, en tire des conséquences opérationnelles pour son pays. Je suis conviée en Europe du Nord et en Allemagne, et c’est de cela que nous allons discuter avec les socialistes.
[…] N’est-il pas temps que la gauche se réconcilie avec Tocqueville ?
Mais d’où tenez-vous que nous serions fâchés ?
Tenez vous un discours social-libéral ?
Non, je ne suis pas social-libéral : je n’adhère pas à ce que représente ce courant de pensée. Mais je vous le dis tout net : je ne réfute pas mécaniquement ce vocable, “libéral”. Et quand il s’applique à une doctrine politique, au sens global, je crois même qu’un militant socialiste devrait le revendiquer. En revanche, ce qui est inacceptable pour un progressiste, c’est de hisser le “libéralisme” au rang de fondement économique et même sociétal, avec ses corollaires : désengagement de l’État et laisser-faire économique et commercial. Il est donc temps que nous cessions de nous acharner sur un mot, et que nous tournions le dos à cette triste époque de notre histoire collective, qui a vu une grande partie de la gauche française rejeter une constitution européenne au motif qu’elle aurait été “libérale”. C’est d’autant plus absurde – et croyez bien que je ne suis pas inspiré par le goût du paradoxe, mais par celui de la vérité – que la gauche que je défends est par essence libérale. Quant au sarkozysme, ce bonapartisme modéré par la désinvolture – mais nous y reviendrons –, il est profondément antilibéral. Je le dis et je tente de le prouver. Qu’est-ce que le libéralisme ? C’est une doctrine d’affranchissement de l’homme, née dans l’Europe des Lumières. C’est, comme son nom l’indique, une idéologie de la liberté, qui a permis l’accomplissement de grandes conquêtes politiques et sociales. Le principe en est simple : il n’y a pas d’oppression juste, il n’y a pas de chaîne qui ne doive être brisée, il n’y a pas de légitimité, ni donc de fatalité, à la servitude. Et le libéralisme, c’est dans le même temps l’idée que la liberté est une responsabilité, qu’être libre ce n’est pas faire ce que l’on veut mais vouloir ce que l’on fait. Au nom de cet héritage intellectuel- là, celui de Montesquieu, de John Locke, au nom de ceux qui ont su se dresser contre le confort mortel de l’habitude pour dire non, je suis libéral. Je suis libéral parce que j’aime la liberté. Pour moi-même : j’ai toujours voulu être un homme libre de toutes les puissances et de toutes les dominations. Et pour les autres : j’aime les peuples libres qui défient la rigueur de l’histoire, j’aime que, collectivement, s’exprime le désir d’avancer fièrement dans la voie que l’on s’est souverainement tracée. Et ce que je dis des peuples vaut pour les personnes. Chaque individu a droit au bonheur, et il a le droit de le rechercher par les moyens qu’il souhaite. Avec une seule limite, celle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme, qui définit l’idée que je me fais du libéralisme : “(…) l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits.” Le libéralisme est donc d’abord une philosophie politique et j’y adhère. Ce sont les conservateurs qui l’ont dévoyé au service d’une idéologie du laisser faire économique et de la perpétuation des rentes et des privilèges dont ils bénéficient déjà. Au nom d’un principe de liberté, leur dessein est en réalité celui de l’immobilisme, qui prolonge leurs avantages et reproduit toujours les mêmes inégalités. C’est une supercherie à la fois intellectuelle et idéologique, dont la gauche ne doit pas, ne doit plus, s’accommoder. Je suis donc libéral ET socialiste.
(Ce qui permet de constater une fois encore que sur le fond, il y a bien peu de différence entre Delanoë et Royal… Mais il est vital pour Ségolène de se démarquer, d’où ses propos actuels.)
Enfin, moi aussi, je suis libéral ET socialiste.
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P.S. Lire aussi Versac sur la même question : “Libérale ? Non merci.”
Je suis définitivement dans le camp de Delanoë. Tant de bêtise opportuniste de la part de Ségolène Royal montre bien qu’elle ne veut pas, rien comprendre, et mise sur le rabaissement du débat.
Eolas
Ce qui te fait trois points communs avec Delanoë.
Vanch’
koz
Et il semblerait, à lire la retranscription de la chronique de Duhamel, elle disait exactement comme Delanoë dans son bouquin “Maintenant”, ajoutant un truc du genre qu’il ne fallait pas diaboliser ce mot… qu’elle qualifie aujourd’hui de “mot de nos ennemis”.
Enfin, personne n’a jamais prétendu que ce soit une grande théoricienne.
Eric
“Le concept libéral a l’avantage de servir de plan de clivage entre le socialisme moderne et l’extrême gauche, représentée par Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon, de définir des contours clairs.”
Faux! Le clivage existe aussi à l’intérieur de ce que tu appelle “le socialisme moderne”.
Et que fais-tu de la remarque (très juste) de Delanoé selon laquelle Sarkozy est un faux libéral (en réalité un conservateur)? Cela prouve que le clivage divise aussi la droite.
Dam
Ha ! Laurent soutient définitivement Bertrand alors. Bon ben c’est mort pour lui. Quelqu’un pour le prévenir, histoire qu’il commence à bosser sur ça reconversion ?
Emaber
Et au fait Bayrou, il est libéral?
VinZ
Oui, Dam : Embruns et Alain Duhamel, même combat !
versac
Eh ben, je suis assez déçu par le grand retour des “colleurs d’affiches”, qu’on annonçait depuis la semaine dernière, et ont eu comme cible prioritaire de “riposte” ce blog. j’ai beaucoup plus de trolls ségolénistes chez moi…
(à part Dam, sans doute, qui utilise la méthode habituelle : “tu es delano-iste”, comme si l’on était mécaniquement dans un camp - difficile pour ces gens d’imaginer la notion de doute, ou même d’indépendance)
Laurent Gloaguen
@Versac : merci de garder ta racaille ségoléniste pour toi.
Darcy
Bonsoir,
Le libéralisme et le socialisme = ? Moi je m’en moque un peu de tous ces mots avancés en fait, moi ce que je recherche avant tout derrière tout ces mots, c’est la gauche, et franchement, cette gauche-là, l’UMP peut-être tranquille, je vois pas pourquoi ils perdraient des voix en 2012 … Puisque le libéralisme est à droite non?
p4bl0
J’ai un pote qui a écrit un texte en rapport avec la première citation de l’article. (L’ami en question fini en ce moment sa première année à science po). Ils ont tué la liberté et lui ont volé son nom
Jujupiter
Ségo anti-libérale, ha ha ha!
Laurent de Boissieu
Je suis bien d’accord avec vous lorsque vous écrivez “Ce qui permet de constater une fois encore que sur le fond, il y a bien peu de différence entre Delanoë et Royal… Mais il est vital pour Ségolène de se démarquer, d’où ses propos actuels”. Il est grand temps que l’un et l’autre assument leur libéralisme politique et leur social-libéralisme économique ! http://politique.hautetfort.com/archive/2008/05/26/liberalisme-socialisme-delanoe.html
Zino Zince
D’accord sur le fait qu’il y a peu de différences entre Royal et Delanoe sur le fond. Avec même un point commun sur la forme: on ne sait pas très bien ce qu’ils pensent, et ça change assez souvent (c’est plus vrai pour Royal cependant.) Le vrai débat au sein du parti socialiste, c’est Valls (ou à la rigueur feu Strauss Khan) contre Mélenchon (et Fabius, le néo-gaucho.) Mais ces gens sont bien trop impopulaires pour prétendre aux magistratures supremes.
Si je peux me permettre de faire de la pub éhontée, voici un article sur l’histoire du mot libéralisme, ou l’on découvre qu’il veut dire tellement de choses qu’il ne veut plus dire grand chose: http://lafabriquedepingles.blogspot.com
JP
Delanoé est un très mauvais choix pour la gauche, justement parcequ’il plait à Laurent. Plus d’un a déjà fait remarquer avant moi que le soutien de Laurent valait celui de la corde pour le futur pendu.
Et, ironie mise à part, cela n’est pas un hasard: Laurent est représentatif du segment bobo friqué de la population qui, étant important à Paris, a tendance à oublier qu’il est très minoritaire en France.
Certes, Delanoé est crédité d’assez bons sondages. C’est logique: il montre au téléspectateur une figure aimable et moderne, éloignée des querelles qui tachent. Difficile de ne pas trouver sympathique cet homme là. Sur ce positionnement, il est aussi fort que Jack Lang au temps de sa gloire.
Justement, ce n’est pas l’étendue du capital sympathie qui fait le résultat de la présidentielle. Et ce n’est pas plus l’intelligence montrée par le candidat dans ses prises de parole. Sinon, le destin de Bayrou aurait été autre.
Non, ce qui fait gagner la présidentielle, c’est d’abord la capacité à enfumer la plus grosse fraction de ceux qui votent sans trop réfléchir. Elle repose sur deux facteurs.
Premièrement, un talent personnel dans l’art des promesses à gogos et dans celui de la polémique à base d’arguments de mauvaise foi mais efficaces. Or celui de Ségolène n’est pas moindre que celui de Nicolas, alors que Delanoé n’est pas à leur niveau; cela est une simple vérité scientifique, prouvable expérimentalement, il suffirait d’un duel télévisé.
Secondement, il y faut aussi l’appui de quelques citoyens, certes un tout petit nombre, mais ayant leur spécificité: par exemple, ceux qui sont profondément attachés à ce que le libéralisme philosophique garantisse à chacun le droit à la libre propriété oligopolistique des médias.
Or, les trajectoires respectives de Ségolène et Nicolas pendant la précédente présidentielle ont démontré l’implacable nécessité de cet appui médiatique, dont Bertrand semble apparemment dépourvu.
A moins qu’il ne soit dépourvu qu’en apparence. Alors je me demanderai pourquoi le deus ex machina aurait produit un missile anti-Sarkozy aussi peu perfor(m)ant. Peut-être ne voit-on encore que le premier étage de la fusée. Difficile pour le spectateur d’en juger, la production de missiles étant une industrie complexe qui n’est maitrisée que par quelques professionnels.
le misanthrope
@JP “Premièrement, un talent personnel dans l’art des promesses à gogos et dans celui de la polémique à base d’arguments de mauvaise foi mais efficaces. Or celui de Ségolène n’est pas moindre que celui de Nicolas, alors que Delanoé n’est pas à leur niveau; cela est une simple vérité scientifique, prouvable expérimentalement, il suffirait d’un duel télévisé.”
Euh je sais que je suis un gros naïf de croire encore en la politique, mais ça me rendrait le petit Bertrand presque sympathique, là.
Tu oublies une grande différence entre Royal et Delanoë qui est à mes yeux fondamentale: le second est un bon orateur, un tribun dans la tradition socialiste, qui ne lit jamais ses notes lors de ses discours. La première est une piètre oratrice avec une diction extrêmement pénible à supporter plus que trois minutes. Ce n’est pas par anti-ségolénisme primaire, mais déjà en 2006, alors que je soutenais Royal contre Sarkozy, en bon PS encarté, je zappais ses discours tellement ça m’horripilait. Mais c’est vrai que quelqu’un qui a les atouts de l’une et de l’autre ferait mieux l’affaire. Un bonimenteur/une bonimentrice aux talents d’orateur/d’oratrice, voyons voir… Fabius, peut-être?…
hahahaha
c koi un journal de bord et un carnet de voyage mici de mle reponde le plu vite
xave
Ce sont des supports d’écriture, tu ne peux pas comprendre.
Blah ? Touitter !