Émois de cultureux
Je lis plusieurs blogues d’artistes et auteurs canadiens anglais et ils ne sont pas plus contents que bien d’entre nous du gouvernement actuel et de ses méthodes. Si le Québec n’était pas si fermé sur lui-même parfois, il saurait que ses artistes francophones n’ont pas le monopole de la défense du domaine culturel.
[Martine Pagé : “Bouder son plaisir”.]
Leur cause est juste, l’enjeu est réel. Pourtant, l’industrie culturelle perd la bataille de l’opinion publique dans sa lutte pour empêcher le gouvernement fédéral de sabrer dans certains programmes d’aide dédiés à la culture et à ses artisans. […]
Bons communicateurs — aucun doute là-dessus —, les artistes se révèlent de mauvais stratèges dans leur démarche de sensibilisation et de mobilisation, comme le démontre la réaction du public face aux envolées émotives souvent excessives de ceux et celles qui volent au secours de la culture.
La démarche n’obtient pas le soutien espéré de la population et elle peut même potentiellement nuire à la cause de la culture, dans la mesure où elle crée une confusion quant au bien-fondé des objectifs poursuivis. Les artistes eux-mêmes proposent une étiquette floue, au point où certains se demandent s’ils sont partie intégrante d’une démarche politique partisane.
[Le Devoir, Michel Fréchette : “Coupes dans le domaine de la culture - Les artistes perdent la guerre de l’opinion publique”.]
En France, le domaine culturel a depuis Malraux vocation à “élever le peuple”, il s’agit d’une œuvre sociale. Au Québec, l’enjeu me paraît avant tout identitaire et politique, comme en Bretagne, ou en Corse. Les esprits y sont plus occupés de culture québécoise que de culture au Québec, et dans peu de pays on peut rencontrer un tel mélange de crainte et de mépris populaires pour tout ce qui pourrait ressembler à de la culture avec un grand C., tout ce qui pourrait se montrer exigeant de son public — ainsi, la cause des artistes dans l’opinion publique y est perdue d’avance, quelles que soient la qualité et l’ampleur de la mobilisation.
Il y a aussi quelque chose qui me chagrine, c’est l’expression “industrie culturelle” sous la plume de Michel Fréchette… Elle est révélatrice de la tendance, au Québec comme en France, de vouloir légitimer une politique culturelle sous prétexte qu’elle serait un investissement économique. La culture n’a pas d’exigence à être rentable dans un bilan comptable, et il est des choses qu’on ne saurait quantifier. “Industrie” et “culture”, quel vilain binôme…
Eolas
Absolument. La culture qui plaît au grand nombre au point de pouvoir entraîner un acte d’achat devrait être interdite. Élitisme et subvention, voilà les deux mamelles de la culture.
ol
d’accord pour la bretagne que je connais bien! malheureusement cette volonté contrainte de préserver à tout prix la tradition et/ou la culture freine d’autres initatives (l’argument mis en avant : on finance déjà tellement la culture bretonne* pour les touristes qu’on ne peut tout faire!) *sans compter le patrimoine (dont les églises ou lieux de culte restaurés par les aides des différents conseils généraux!) forza finistere!
Lomalarch
S’il est malsain, à mon sens, de confondre l’industrie culturelle (l’exploitation cinématographique, l’industrie du disque, l’édition ou pourquoi pas l’activité de reproduction d’œuvres diverses… bref tout ce qui vise à l’exploitation commerciale à grande échelle d’œuvres de l’esprit) avec la création artistique, l’amalgame de cette dernière avec la culture pose aussi de sérieux problèmes (et de longue date).
La culture, de mon point de vue, est le patrimoine de l’humanité (ne mégotons pas) et de chaque individu. Si la création artistique a vocation à alimenter et enrichir ledit patrimoine, confondre les deux procède d’une logique qui me paraît, lâchons les grands mots, mortifère. Glorifier la Culture et prétendre englober dedans la création, c’est déterminer que l’œuvre est un objet de musée avant d’être née. Ça n’est pas étranger, de mon point de vue (je cause de ma fenêtre, mais vous aurez — peut-être — compris que j’évolue dans le merveilleux univers du spectacle vivant), à un certain malaise de la création de par chez nous.
Si la création théâtrale (j’entends par là l’avènement sur scène d’œuvres nouvelles, et pourquoi pas d’auteurs nouveaux) est aujourd’hui totalement sinistrée (à mon sens toujours), ça a aussi à voir avec certains choix politiques profonds (plutôt hérités de l’ère Lang), visant à glorifier le metteur en scène (et en tout cas à le financer exclusivement) au détriment de l’auteur. Rappelons brièvement que ce qui fait aujourd’hui l’évènement des scènes parisiennes (oui, l’activité culturelle reste extrêmement centralisée en France), c’est le Tartuffe de tel metteur en scène ou le Britannicus de tel autre. La relecture infinie d’œuvre nées des siècles auparavant, mettant en avant, naturellement, le talent du metteur en scène qui sait en extraire des significations terriblement actuelles.
Et sur le monde d’aujourd’hui, il n’y a ainsi rien à dire avec des mots d’aujourd’hui, et la culture du futur n’est pas dans la merde.
Je me suis encore laissé emporter, mais il faut croire, Laurent, que tu tombes sur des sujets qui m’enflamment, ces jours-ci (ouais, je te tutoie puisqu’on s’est serré la louche à l’Assassin l’autre soir ;-) )
Cratyle
“Politique culturelle partisane”? Je ne crois pas qu’il y ait de politique culturelle non-partisane.
Qu’il s’agisse de subventions publiques, de mécénat, d’investissements “industriels”, simplement de l’achat d’un billet par un spectateur : tous les acheteurs d’art ou de culture ont une politique et elle est toujours d’un parti, au moins d’un parti-pris…
Alors la question québécoise est peut-être celle du parti-pris des subventionnés - leur couleurs? Leurs objectifs? Et ce parti et ces voix, qui veut les réduire ou les éliminer?
Yann
Une vidéo très édifiante sur le danger pour la culture : https://www.youtube.com/watch?v=UrATQeLLKX0
Christophe D.
C’est vrai que la limite avec l’industrie est quand même extrêmement floue. Ça me fait un peu penser à ses festivals français ou l’on fait travailler 200 bénévoles payés aux sandwiches et aux entrées gratuites pendant que l’organisateur, les artistes invités se remplissent les poches ; et pendant que les élus locaux et les commerçants des alentours en font leurs choux gras. À partir du moment ou il faut de l’argent pour mettre en place un projet culturel, il y a très souvent une notion de rentabilité derrière, avec des gens qui gagnent et parfois des gens qui perdent, y compris lorsque cet argent vient de l’État ou des localités.
C’est triste à écrire mais il me semble que le temps des doux-dingues qui montaient leurs trucs dans leur coin pour l’amour de l’art est révolu. À la tête des maisons de la culture et des DRAC régionales (pour ce qui est de la France), ont trouve de plus en plus de profils « gestionnaires » parachutés par Paris pour surveiller les subventions que de profils artistes/passionnés désignés pour leur amour de l’art. Et « La qualité » de la production s’en ressent forcément.
Au final, de mon point de vue, il est difficile de faire la part des choses entre ceux qui se font entuber ; ceux qui en profitent ; ceux qui sont intéressés financièrement ou de manière « carriériste » par les projets culturels ; et ceux qui produisent avant tout de manière passionnée. La culture, c’est un peu tout ça à la fois, et ça l’a peut être toujours été (?), même si c’est critiquable.
Blah ? Touitter !