Petit bourgeois en rupture de ban
Présenté comme le « principal mis en cause » dans la campagne de sabotages ayant visé la SNCF, Julien C. n’a rien de la caricature du squatter alternatif ou du marginal hirsute. Au contraire, cet ultra de 34 ans aurait pu avoir une vie sociale parfaitement intégrée s’il n’en vomissait pas les règles. Se réclamant de l’héritage d’Action directe, des Brigades rouges italiennes et d’un esprit libertaire post-soixante-huitard assez paranoïaque, ce fils de cadre supérieur a confortablement grandi à Paris où il a suivi ses études jusqu’à intégrer l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Fasciné par le romantisme de la clandestinité, le jeune intellectuel, taiseux au téléphone, vivotait reclus dans une ferme communautaire de Tarnac (Corrèze). Un mode de vie altermondialiste, qu’il mettait volontiers entre parenthèses lorsqu’il revenait sur Paris. Il y dispose d’un coquet appartement dans le XXe arrondissement, qu’il partage avec sa compagne. Âgée de 26 ans, cette dernière y a été interpellée lors du coup de filet. Le petit-bourgeois en rupture de ban — mais roulant en Mercedes — est connu pour violences et dégradations.
[Le Figaro, Christophe Cornevin : “Sabotage du rail, l’ADN au cœur de l’enquête”.]
Tout ce qu’on sait de ces anonymes qui tiennent à le rester, c’est qu’ils se retrouvent dans des ruines retapées du centre de la France, où ils cultivent fruits, légumes et idées. Ils sont cinq, ont entre 24 et 35 ans. Certains ont fait des études, d’autres pas. Les membres du Comité invisible sont les petits-enfants d’Auguste Blanqui, les enfants de Guy Debord, les parents des insurgés à venir. Le 22 avril, ils n’iront pas aux urnes, parce qu’ils en sont là : « De gauche à droite, c’est le même néant qui prend des poses de cador ou des airs de vierges, les mêmes têtes de gondole qui échangent leurs discours d’après les dernières trouvailles du service communication. » Ils ont écrit « l’Insurrection qui vient », un ouvrage construit comme « l’Enfer » de Dante, en sept cercles. […] « L’insurrection qui vient » a le mérite d’envisager nos lendemains, et surtout de proposer les moyens d’y croire. Ce qui n’est pas rien.
[Le Nouvel Observateur, Elsa Vigoureux, avril 2007 : “Qui est le Comité invisible ?”]
En attendant, je gère. La quête de soi, mon blog, mon appart, les dernières conneries à la mode, les histoires de couple, de cul… ce qu’il faut de prothèses pour faire tenir un Moi ! Si « la société » n’était pas devenue cette abstraction définitive, elle désignerait l’ensemble des béquilles existentielles que l’on me tend pour me permettre de me traîner encore, l’ensemble des dépendances que j’ai contractées pour prix de mon identité. Le handicapé est le modèle de la citoyenneté qui vient. Ce n’est pas sans prémonition que les associations qui l’exploitent revendiquent à présent pour lui le « revenu d’existence ».
L’injonction, partout, à « être quelqu’un » entretient l’état pathologique qui rend cette société nécessaire. L’injonction à être fort produit la faiblesse par quoi elle se maintient, à tel point que tout semble prendre un aspect thérapeutique, même travailler, même aimer. Tous les « ça va ? » qui s’échangent en une journée font songer à autant de prises de température que s’administrent les uns aux autres une société de patients. La sociabilité est maintenant faite de mille petites niches, de mille petits refuges où l’on se tient chaud. Où c’est toujours mieux que le grand froid dehors. Où tout est faux, car tout n’est que prétexte à se réchauffer. Où rien ne peut advenir parce que l’on y est sourdement occupé à grelotter ensemble. Cette société ne tiendra bientôt plus que par la tension de tous les atomes sociaux vers une illusoire guérison. C’est une centrale qui tire son turbinage d’une gigantesque retenue de larmes toujours au bord de se déverser.
« I AM WHAT I AM. » Jamais domination n’avait trouvé mot d’ordre plus insoupçonnable. Le maintien du Moi dans un état de demi-délabrement permanent, dans une demi-défaillance chronique est le secret le mieux gardé de l’ordre des choses actuel. Le Moi faible, déprimé, autocritique, virtuel est par essence ce sujet indéfiniment adaptable que requiert une production fondée sur l’innovation, l’obsolescence accélérée des technologies, le bouleversement constant des normes sociales, la flexibilité généralisée. Il est à la fois le consommateur le plus vorace et, paradoxalement, le Moi le plus productif, celui qui se jettera avec le plus d’énergie et d’avidité sur le moindre projet, pour revenir plus tard à son état larvaire d’origine.
« CE QUE JE SUIS », alors ? Traversé depuis l’enfance de flux de lait, d’odeurs, d’histoires, de sons, d’affections, de comptines, de substances, de gestes, d’idées, d’impressions, de regards, de chants et de bouffe. Ce que je suis ? Lié de toutes parts à des lieux, des souffrances, des ancêtres, des amis, des amours, des événements, des langues, des souvenirs, à toutes sortes de choses qui, de toute évidence, ne sont pas moi. Tout ce qui m’attache au monde, tous les liens qui me constituent, toutes les forces qui me peuplent ne tissent pas une identité, comme on m’incite à la brandir, mais une existence, singulière, commune, vivante, et d’où émerge par endroits, par moments, cet être qui dit « je ». Notre sentiment d’inconsistance n’est que l’effet de cette bête croyance dans la permanence du Moi, et du peu de soin que nous accordons à ce qui nous fait.
[Comité invisible : “L’insurrection qui vient”, La Fabrique éditions, 2007.]
Il n’y a cependant pas besoin d’amener les gens dans une impasse pour susciter une insurrection. Et se prendre pour Debord quarante ans après est une triste farce : l’histoire ne se répète qu’en ridicule. Le sacre de Sarkozy aurait bien plus de vertu pour « colérer » le peuple, face à l’inflation illimitée du contrôle qui répond sans espoir à l’effondrement du système, que la lecture de cette centaine de page.
Les seules armes démocratique étant le cocktail Molotov et les pavés, il ne faut surtout pas faire parler les armes, on serait perdant à coup sûr.
Voilà dons un drôle de petit ouvrage, qui constitue en soi une excellente littérature, mais une impasse politique majeure. Et cette absolutisation de la communauté n’augure rien de bon : discours de secte ordinaire avec ses arrières mondes et sa réalité invisible… Le julien qui à écrit ces pages aurait mieux fait de s’abstenir en fin de compte, lui qui ne vit pas d’illégalisme, mais peut tout bonnement compter sur sa famille. Un gros bébé qui refuse de grandir et se croit encore à l’époque des indiens métropolitains.
[Sable : “À propos du livre du Comité invisible”.]
Les lois ne sont pas faites pour défendre l’intérêt général. Elles sont faites pour défendre les intérêts de la bourgeoisie. Comme ces lois ne peuvent être changées par un processus légal, on ne peut les changer que par un rapport de forces. Or, ce rapport de forces est nécessairement illégal. Il n’existe pas dans l’histoire d’exemple de révolution qui se soit faite en respectant un processus légal. Pour ces raisons, le mouvement autonome est contre la démocratie représentative car il la considère comme une dictature. De mon point de vue, la seule véritable démocratie c’est celle que pratique le mouvement social : c’est la démocratie directe des assemblées générales.
Historiquement, le mouvement autonome est l’expression de cette démocratie directe née en Italie dans les assemblées ouvrières. Pour ma part, c’est cet engagement pour la démocratie directe qui fonde ma participation au mouvement autonome, dans une perspective autogestionnaire à la fois communiste et libertaire.
[Sébastien Schifres, dans un entretien avec Le Figaro.]
Wikipédia : “Tiqqun”.
Cratyle
Ce qui transparait surtout, c’est la haine du journaliste du Figaro pour tout ce qui ressemble à un peu de réflexion - On pourrait croire à le lire que l’EHESS tout entier soit là pour former des saboteurs de TGV. Mais peut-être s’agit-il d’un intellectuel en rupture de ban?
Off Topic
Complètement malade.
Laurent Gloaguen
Ah bon, il n’y a pas d’option “sabotage du monopole du rail qui règne d’une manière tyrannique sur les déplacements du peuple” à l’EHESS ?
Off Topic
Les coffee shops néerlandais menacés de fermeture:
Cratyle
Non, mais ils pourraient essayer d’ouvrir un module “Mercedes, violences et dégradation” en partenariat avec Assas…
massilian
Je suis assez surpris de retrouver les auteurs de “l’insurrection qui vient” (le comité invisible) impliqués dans l’histoire des caténaires de la SNCF…. je n’arrive pas à faire le rapprochement entre le bouquin - assez brillant dans le genre - et ces actes fumeux qui ne “libèrent” rien, ne révèlent rien, ne démontrent rien. Ils (les “ultra-gauche”) auraient “détourné” et vidé des camions d’écrans plasma devant des cités des quartiers nord de Marseille, j’aurais compris le côté Zorro, Jacquou, Till l’Espiègle. Mais les caténaires de la sncf ? j’accroche pas. Tout cela semble très improbable. Qu’ils aient été surveillé depuis 6 mois, je n’en doute pas un instant. Qu’on les ai justement perdu de vue le soir de l’action, me semble énorme. Il y a des pièces qui manquent. superbe article de l’Onion qui n’a rien à voir (I love the Onion !) http://www.theonion.com/content/node/89940
xong
massilian> vous avez une mauvaise connaissance de la gauche autonome, plus anarchiste qu’égalitaire. Ils ne jouent jamais à Robin, font toujours des actions connes qui ne visent pas à redistribuer mais à “affaiblir le système”
Tom Etjerry
Assez d’accord avec xong. D’autant que dans ce bouquin, l’auteur fait une analyse juste et fine du rôle des réseaux et de la mobilité dans la permanence du vertige sociétal. Immobiliser les trains, pour lui, c’est un peu rendre le territoire au temps, casser la négation des lieux, tout ça tout ça. C’est assez cohérent. Mais franchement, aussi bien Tiqqun que ce livre me font plutôt penser à un intellectuel brillant et sensible qui tourne à vide. Il n’y a pas de passage à l’acte à la hauteur de l’étrange beauté sophistiquée de sa prose…
Blah ? Touitter !