Avenir des médias d’information
Un long et passionnant article de Narvic, “Mort des médias et mutation de la démocratie”, me fait réagir et compléter sur certains points.
Un point qui me fait tiquer est la mort annoncée des “mass media”. Oui, les quotidiens imprimés sur papier appartiennent à une technologie et un mode de distribution dépassés, et sont condamnés à disparaître. Ce n’est pas le cas de la télévision, et des médias en ligne peuvent devenir des “mass media” (à partir de quel taux de pénétration est-on considéré comme un “mass-media” ?).
“Il devient de plus en plus envisageable que les grands médias de presse écrite disparaissent purement et simplement du paysage.”
C’est exact pour les quotidiens, les magazines résisteront plus longtemps.
“Le transfert sur internet des activités des médias d’information s’affirme toujours plus problématique, au point que l’on en vient à envisager que cette implantation en ligne soit tout simplement impossible, car ne reposant sur aucun modèle économique viable.”
Le problème de la presse papier, c’est qu’elle souhaitait transférer son modèle directement sur le Web, avec des conceptions obsolètes. Tous les patrons de presse ont méprisé Internet avec arrogance, et certains encore aujourd’hui. Au mieux, le site du quotidien était une arrière-boutique un peu honteuse… Sans parler des journalistes qui ne percevaient aucune “noblesse” à ce nouveau média. Songez qu’à une époque encore récente, certains exigeaient une rémunération supplémentaire pour la reproduction sur le site de leurs textes déjà publiés sur le papier. Songez qu’il existe encore des rédactions séparées pour certains titres. Des comportements de dinosaures rétifs. Un troupeau de mammouths peu à peu acculés au bord du précipice, faute d’avoir voulu évoluer vers d’autres formes plus graciles et agiles.
De plus, Internet (voir sa personnification diabolisée, Google) n’a pas déclenché le déclin des quotidiens, ce dernier est antérieur.
Je me souviens être devenu actionnaire en 1985 de la Société des Lecteurs du Monde, il s’agissait alors, déjà, de sauver le vénérable “quotidien de référence” de la rue des Italiens. Et vous souvenez-vous des années Hersant ?
Non, la presse quotidienne était déjà moribonde lorsqu’Internet s’est démocratisé (autour de l’année 2000).
N’oublions pas non plus avec quelles difficultés et pesanteurs (Syndicat du Livre, entre autres) la presse a pris le virage des nouvelles technologies (PAO et systèmes de gestion éditoriale) avec la fin de la photocomposition (quand certains étaient encore au plomb fondu…).
La presse a toujours hébergé en son sein ses deux principaux poisons, ses journalistes fonctionnarisés, rétifs à tout changement, et ses puissants syndicats, rétifs à tout changement. Quel magnifique équipage pour affronter un monde qui change, des publics et des technologies qui évoluent.
Internet a bon dos. Au pire, il ne fait que précipiter la fin de malades en phase terminale. Et, cela reste à prouver.
“Le rôle des mass medias d’information dans la manipulation de cette opinion publique indispensable au débat démocratique paraît en effet essentiel et il a été souligné par les philosophes (notamment Jürgen Habermas). Au point que les journalistes ont pu prétendre eux-mêmes former l’un des rouages fondamentaux de la démocratie. Avec des médias disparus et des journalistes dispersés dans la nature, que devient la démocratie ? Où se tient le débat démocratique ? Comment se forge l’opinion publique ?”
D’humeur facétieuse, j’ai changé un mot dans la citation ci-dessus. Sauras-tu trouver lequel ?
Dans ma jeunesse pas si lointaine, l’expression “mass-media” sentait le soufre, le “mass-media” était une menace potentielle pour la démocratie… Y a-t-il eu basculement sémantique depuis ? En quoi les “mass-media” ne dégagent-ils pas un conformisme de masse ? En quoi les “mass-media” sont-ils indépendants des pouvoirs économiques ? En quoi les “mass-media” protègent-ils la pluralité de l’expression démocratique ?
Oui, protégeons les “mass-media” comme nous avons fait pour les complexes sidérurgiques du Nord, ou comme on va faire à Détroit pour GM-Chrysler-Ford.
La première option, c’est celle qui se dessine clairement à la lecture du rapport Giazzi et qui a germé dans le cerveau fécond des technocrates gestionnaires qui sont aujourd’hui à la tête de nos médias : fusionner les médias d’information avec les industries culturelles, pour former des grands groupes multimédias d’infotainment (fusion de l’information et du divertissement, l’entertainment). Ces mastodontes étant destinés à dégager de larges économies d’échelle dans la production de contenus, à maximiser la rentabilisation de leur diffusion par des déclinaisons multi-support, en dégageant des synergies promotionnelles pour la vente des produits dérivés.
Comme souvent, il suffit de regarder ce qui se fait de notre côté de l’Atlantique pour prévoir l’avenir. Ces groupes de “convergence” multimedia existent déjà et sont très puissants (et souvent inquiétants). Un exemple ici, au Canada : Quebecor Media (fiche Wikipedia), subdivision de l’empire Quebecor (9 382 000 000 dollars de revenus annuels, 45 000 employés).
Pour préserver ce qui reste, Narvic a des idées :
La seconde option de survie des entreprises de médias d’information est clairement celle d’un repli. Elle préserve la qualité de l’information et l’indépendance rédactionnelle, mais c’est au prix de la quantité produite, de l’ampleur de la diffusion, de la visibilité et du rôle social. C’est le repli bien ordonné sur une diffusion de « niche » autour d’une communauté de lecteurs fidélisés.
[…] L’équilibre économique pour de tels projets sera probablement complexe, associant des sources de revenu multiples et complémentaires. C’est peut-être viable (je l’espère). Même si personne n’a encore trouvé de bonne formule à l’heure actuelle, ça pourrait venir…
Mais ça implique aussi une sérieuse mutation professionnelle des journalistes pour apprendre à jouer le jeu de la communauté en ligne avec les lecteurs. descendre du piédestal, en finir avec l’arrogance. Devenir modeste et aimable, interactif et convivial. Une vraie révolution du journalisme !
Révolution me parait presque un euphémisme.
Et il entrevoit les possibilités pour les grandes “marques” existantes :
Mais pour d’autres, le choix va être beaucoup plus difficile… Le Monde et Canal+, en succursales de Lagardère, totalement lepostisés ? Le Figaro, en annexe de TF1 et NRJ, sous la houlette beinveillante de Bouygues et Dassault réunis, faisant la Une de son site tous les jours sur la Star Academy ? Toutes ces grandes plumes prestigieuses accepteront-elles de descendre tous les jours sur le trottoir pour interroger les passants : « Est-ce que sucer c’est tromper ? »
L’alternative ? C’est de faire du Monde un gros blog sérieux et un peu ennuyeux pour cadres vieillissants, mais poursuivant en toute dignité dans les pas d’Hubert Beuve-Méry et pouvant la ramener avec une réelle fierté sur l’impeccable respect de la déontologie héritée des siècles passés… Peut-être pas si mal, finalement…
En tant que vieil amant rendu aigri du Monde, j’opte pour la deuxième solution :-)
Bref, allez lire Narvic, c’est long, c’est dense, c’est riche, et c’est sur Internet seulement.
krstv
Songez qu’à une époque encore récente, certains exigeaient une rémunération supplémentaire pour la reproduction sur le site de leurs textes déjà publiés sur le papier. Songez qu’il existe encore des rédactions séparées pour certains titres. Des comportements de dinosaures rétifs.
Une époque récente ? Les journalistes du papier exigent encore, à travers le SNJ-CGT, de percevoir une prime annuelle conséquente pour la simple rediffusion de leurs papiers sur internet ! Quant aux rédactions séparées, elles sont encore la règle et non l’exception…
Pour le reste, le métier de journaliste va-t-il être tué d’une balle perdue au cours de la révolution internet comme l’espèrent tant de blogueurs, impatients de nous voir disparaître avec une seule idée en tête, prendre notre place et reproduire nos comportements déviants(regardez comme DeeDee, blogueuse devenue journaliste occasionnelle a vite pris les réflexes de la rédactrice de magazines féminins, celle qui n’écrit que sur des sujets susceptibles de lui permettre de recevoir de beaux cadeaux et d’être invitée à des soirées d’happy few) ?
Je ne crois pas, et je ne l’espère pas. L’habit ne fait pas le moine. Et le fait que tout le monde puisse publier ne transforme pas de facto n’importe quel blogueur (ou n’importe quel producteur de contenu sur internet) en journaliste. Car être journaliste, ce n’est pas qu’écrire et être lu. Derrière les mots, il y a l’info. Et si les mots, n’importe quel pékin peut les aligner, l’info, il faut savoir la trouver, l’analyser, la mettre en forme… Même si ça n’en a pas l’air, c’est un vrai métier.
Si, si.
Mox Folder
” Songez qu’à une époque encore récente, certains exigeaient une rémunération supplémentaire pour la reproduction sur le site de leurs textes déjà publiés sur le papier. “
Puisque tu parles de Quebecor, voir justement le lock out du journal de québec. Tiens d’ailleurs je viens de trouver un lien qui semble assez complet sur la situation :
http://cupe.ca/s4861317e0214a/journaldequebeclockout
joel ronez
Perso j’ai toujours trouvé narvic surrévalué, et les récents commentaires qu’il a fait chez Emmanuel renforcent encore ce point de vue… Je trouve son raisonnement angélique, et je suis (pour des raisons que chacun comprendra :) ) persuadé que le mass média et notamment télé n’est pas mort…
joel ronez
…euh… je me trouve un peu désobligeant, en me relisant, et la féérie de Noël m’incite a plus de retenue dans mes poropos. Disons que mon reproche principal a Narvi (outre son pénible anonymat) est sa production loghoréique, et une structuration mentale par écrit un peu chafouine. Et sinon, paix sur la terre.
Laurent Gloaguen
Une chamaillerie entre deux hommes que j’apprécie me chagrinerait. (Pour la logorrhée, ahem, y a un peu de ça ;-)
Sinon, j’ai cru comprendre que Narvic n’était plus si anonyme que ça (à confirmer par le principal intéressé — j’ai vu ici et là son vrai nom circuler).
krstv
Il a été outé par son nouvel employeur.
narvic
@ Joël Ronez
Puisque c’est Noël, j’y vais moi aussi de la petite confession que je voulais te faire depuis quelques temps à te lire sur Twitter : le Schtroumpf grognon a toujours été mon préféré.
Laurent Gloaguen
Joël le Schtroumpf :-)
La mouche du coche
C’est dingue, quand je pense que Narvic m’a censuré sur son site en me reprochant d’être anonyme quand il l’est tout autant que moi ! :-0 (en fait, je suis son patron)
J’ai l’impression que les gens qui font de trop longues notes ne parlent souvent qu’à eux-même, sans penser à leur lecteur. Narvic a un peu ce défaut. C’est en passant ce que j’aime sur ce site : la concision. (Heu. Cette note de Laurent en est un magnifique contre-exemple, mais calmez-vous, joyeux noël)
joel ronez
comme disait je sais plus qui (surement Jean Amadou), la shtroumphette n’est pas une vraie bleue (ok, je sors)
Emmanuel
Malheureusement sur ce coup tout le monde mélange deux débats: celui de l’effondrement de la presse et celui des conditions de la monétisation du web. Contrairement à ce que certains ont pu penser je partage la plupart des critiques du “old media”. Je suis simplement un peu lassé de revenir dessus. En revanche beaucoup de commentateurs n’ont pas pigé que cette fois la question concerne beaucoup plus largement les autres acteurs du Web. La critique de Google et de la bataille de la monétisation devrait éveiller une lueur d’intelligence du côté de ceux qui saluent le “succès” de sites qui n’ont pas encore l’ombre d’un début de modèle économique.
D’autres n’ont même pas remarqué que les sites de presse en ligne battent des records d’audience sur le web et que la question n’est même pas de savoir s’ils sont populaires ou non. la question est de savoir comment financer la production d’information quel que soit la nature du site éditorial. Sur ce point on peut être très optimiste ou très pessimiste on peut (et on doit) aussi réfléchir à de nouvelles formes d’organisation mais tout le monde aurait intérêt à oublier un instant la question de la “presse” pour s’interroger sur les règles du jeu et comment elles sont faussées par certains acteurs. En particulier sur le marché publicitaire.
(Ce qui est quand même autrement plus crucial que de piailler autour de Twitter ou de juger très créatif les posts sponsorisés)
Pascal Lapointe
Dans toute cette controverse, vous oubliez malheureusement quelque chose de fondamental: tous les journalistes ne sont pas des fonctionnaires bien assis sur des conditions de travail enviables; le gros de la profession journalistique (précaires et pigistes) voit au contraire ses conditions se détériorer depuis au moins 30 ans. A la télé parce que les émissions sont réalisées de plus en plus souvent en sous-traitance, c’est-à-dire à l’extérieur des grands réseaux (je parle ici de la situation nord-américaine, si ce n’est pas encore le cas en France, ça ne saura tarder), et dans la presse écrite parce que les journaux coupent dans leur personnel systématiquement depuis des décennies. Quant aux magazines, ils sont écrits essentiellement par des pigistes… dont les tarifs au feuillet n’ont, dans certains cas, pas augmenté depuis 30 ans!
La partie conservatrice et réactionnaire de la profession, elle existe certes, mais elle se situe essentiellement dans la section la plus visible de l’iceberg. Par exemple, bien des magazines désargentés ont été beaucoup plus avant-gardistes que les grands quotidiens dans leur utilisation d’Internet, dès les années 1990. Quant à la question d’être re-payé pour des textes réutilisés sur Internet… Certes, les journalistes les plus riches et les mieux payés n’en ont pas besoin, mais que dire des pigistes dont les revenus moyens n’ont pas augmenté depuis 20 ou 30 ans? Réclamer un supplément pour des textes repris sur le Web est-il vraiment exagéré dans leur cas?
Ne perdez pas de vue que qui dit dégradation des conditions de travail de la profession journalistique dit dégradation de la qualité de l’information: parce que ça fait moins de gens qui ont du temps pour creuser un sujet et procurer l’analyse que vous espérez lire. Et comme les blogues, pour l’instant, sont loin de pouvoir faire vivre leurs auteurs, on est en droit d’être inquiet…
Blah ? Touitter !