Retouittage
“J’avais peur que le titre de mon nouveau blog soit trop proche de “Mescouilles” mais Séguéla ma dit que ça passerait nickel.” — FakeVersac.
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Meilcour se reconnaît incapable de verbaliser ses « égarements ». Autant Madame de Lursay plonge Meilcour dans la confusion, autant Versac tente de l’éclaircir et d’en faire son disciple. À travers son discours, véritable quintessence de la pensée libertine, on apprend que l’art de charmer est un art du verbe. Pour briller en société, il est obligatoire de connaître certaines règles, dont les plus importantes concernent le langage, la parole qui doit agir sur les interlocuteurs. Agir, oui, mais de quelle manière ?
Tout d’abord, en bon connaisseur, Versac prévient Meilcour qu’il ne doit pas faire attention au contenu de son discours mais à la façon de parler : plus pauvre est la matière de la conversation, plus important devient le mode d’expression par lequel on voudrait dissimuler le manque du contenu spirituel. Voilà comme argument les mots de Versac : « … mettre de la finesse dans ses tours et du puéril dans ses idées, prononcer des absurdités, les soutenir, les recommencer : voilà le bon ton, le ton de l’extrêmement bonne compagnie ». Ensuite, l’homme de bon ton, esquissant un sourire méprisant et affichant une fade causticité dans ses propos, doit bannir la sincérité et la vertu, valeurs inutiles dans un milieu dominé par les conventions : « C’est une erreur de croire que l’on puisse conserver dans le monde cette innocence des mœurs que l’on a communément quand on y entre, et que l’on y puisse être toujours vertueux et toujours naturel, sans risquer sa réputation ou sa fortune. Le cœur et l’esprit sont forcés de s’y gâter, tout y est mode et affectation ».
[…] Professeur de bienséances, Versac emploie un lexique du savoir rationnel : science, connaissances, science du monde, réflexions, raison, préceptes, principes, étude, savoir, penser, réfléchir, étudier avec soin, raisonner profondément, instruire, apprendre. La science qu’enseigne Versac est un modèle d’organisation discursive. Il a réussi à réduire l’art de plaire à quelques préceptes assez peu étendus à partir desquels il construit une théorie argumentative très méthodique, où les transitions d’un objet à l’autre sont nettement marquées : « Il faut d’abord se persuader… » , « Ce n’est pas tout : vous devez apprendre… » , « Ce n’est pas là le seul inconvénient… » , « Voilà tout ce que vous devez être ».
En outre, Versac fait constamment appel à l’expérience pour renforcer son opinion : « La façon dont j’ai appris dans le monde est une assez bonne preuve que je ne me trompe pas »; « J’ai vu beaucoup de ces gens »; « L’expérience y est totalement contraire »; « Vous éprouverez qu’on ne réussit »; « Examinez-moi… Voyez… Voyez… ».
Tout entier tourné vers le réel — qu’il tâche de déchiffrer en tant que vrai représentant des Lumières — Versac veut éclaircir le novice Meilcour sur le but ultime de son existence : vivre en harmonie avec le monde pour réussir : « Il faut savoir réussir dans le monde ! ». Outre les conseils qu’il donne quant à l’art de parler en société, le discours de Versac rend l’image d’un excellent « manieur » du verbe : séduisant, clair, convaincant. Autant de raisons pour qu’il agisse sur nous.
[Revue Arches, Lucia Marinescu, “Les égarements du cœur et de l’esprit ou la parole en action”.]
NV
N’est-ce pas qu’elle est bien choisie, l’image ? Et ciblée, en plus (je ne compte plus les twits de geeks qui ne comprennent pas le nom).
samantdi
Il aurait quand même été plus logique de passer de Meilcour à Versac et non l’inverse.
En effet, Meilcour est un jeune homme de 17 ans au début du roman, une sorte d’ingénu qui va se faire initier, non sans douleur, aux cruautés du libertinage par le roué Versac.
Sous la férule de ce maître, Meilcour quitte sa sensibilité toute rousseauiste pour devenir à son tour un être corrompu et sans scrupules.
Ainsi peut-on résumer le roman de Crébillon en disant qu’il raconte la transformation de Meilcour en Versac.
(On peut noter que Crébillon avait prévu de donner une suite à son roman dans laquelle le jeune Meilcour retrouverait le chemin du Bien grâce à une femme de vertu, mais elle n’a jamais été écrite…)
NV
samantdi : en fait, j’aime bien ces chemins croisés. Meilcour, c’est quand même l’arrivée avec la naïveté et la fraicheur, versac est un vieux roublard qui connait toutes les ficelles, et n’a plus de recul par rapport à ce monde, qui s’est fait bouffer. Alors, oui, le parcours de Meilcour, c’est de devenir versac, en s’affranchissant et rejetant le maitre, mais quand même, et ça me pend au nez avec un nouveau blog, que de redevenir un vieux con de blogueur qui s’emmerde.
Donc, oui, je garde l’image, comme une menace. Et j’aurais bien aimé lire la suite des égarements…
Raph
Certes, le pseudo est intellectuellement très intéressant. Mais phonétiquement, pas terrible.
samantdi
Raph : mais comment le prononcer ? Je pense qu’on peut dire Melcour plutôt que “Mey(e)cour” (moi en plus j’ai l’accent du Sud-Ouest )
NV : Laurent a raison de dire que ce Versac a toujours réponse à tout :-)
C’est vraiment une bonne idée de remettre au goût du jour Crébillon. Peut-être vas-tu lancer la mode et va-t-on voir fleurir des blogs “Saint-Preux” “Valmont” “Danceny” “Prévan” ?
Enée
c’est comme la patatephysique, l’adultie en goûter, les retours d’histoire romantique scabreuses me laissent dire que certaines lettres ont de l’avenir comme p.s mais avec un y! mais, si çà fait du bien tant mieux!
mry
“un vieux con de blogueur qui s’emmerde.” putain de lucidité.
Blah ? Touitter !