Je hais la Suisse.
Roman Polanski, nous venons de l’apprendre, va passer un an de plus dans sa prison suisse. Je dis bien : « prison ». Une prison, ce n’est pas strictement un cachot avec des rats. Une prison, c’est tout prosaïquement un endroit dont on ne peut sortir. D’où on ne peut pas s’échapper. Peu importe que la prison soit une cellule ou un chalet, un terrier ou même un immeuble tout entier. On est en prison quand on ne peut pas être ailleurs. Roman Polanski restera emprisonné en Suisse : c’est la Suisse la prison. C’est la Suisse le bourreau. C’est la Suisse la sentence. C’est la Suisse la trahison. C’est la Suisse la haine et la revanche et la vengeance. Parce que la Suisse n’est pas un pays : la Suisse n’est rien. La Suisse n’existe qu’en détruisant. En neutralisant. Ce n’est pas un pays neutre, non : c’est un pays qui neutralise. Très joli pays qui, pendant la guerre, voyant qu’un peu trop de juifs venaient étrangement faire du tourisme en ses montagnes, a demandé à ce que fût apposé sur les passeports le « J » de Juden. La Suisse n’est pas un pays neutre : c’est un non-pays vendu. La Suisse, ce pays des horlogers, sait manier le temps comme Satan : enfer du temps dans lequel elle neutralise un génie (un an de plus), enfer du temps à l’intérieur duquel, avec une infinie patience, elle guette sa proie : trente-deux ans pour attraper Polanski. La Suisse n’existe pas : pour exister, elle est obligée de faire dans le sale, dans le crade, dans le porno. La Suisse est un pays pornographique. Sales affaires (comptes bancaires, fiscalité), sale comportement (arrestation de Polanski) : tout est propre dans les rues suisses, dans les montagnes suisses, dans les vallons suisses, tout est très propre parce qu’au fond tout y sale dans les tréfonds, dans les fondements, dans les soubassements. C’est un pays qui se vend sans cesse au plus offrant. Qui courbe incessamment l’échine devant le plus fort. C’est un pays qui fait basculer les choses vers le plus dictateur, le plus violent, le plus menaçant. La Suisse ne se donne même pas, comme le feraient des salopes ordinaires : la Suisse se prête au plus fort. Elle prête sa soumission. C’est une pute. Elle ne se donne jamais mais se prête toujours. Elle se prête avec intérêt. Elle se loue. Elle se sous-loue. Elle fait des offres. Elle écarte les jambes quand viennent à passer un officier nazi, ou une très grande puissance comme, par exemple, aujourd’hui, nos amis les Etats-Unis.
Je hais la Suisse. Sa gentillesse méchante, sa dégueulasserie bonbon, son calme rempli de dagues et de couteaux, sa surface polie mais comme une lame. Nous voudrions que ce pays relâche Roman Polanski, s’excuse, arrête tout. Nous voudrions que la population suisse ait honte, définitivement honte, pour ce qu’elle fait endurer à Polanski. Que des grèves se déclarent à Genève, à Lausanne, à Gstaad, ou des manifestations. Que les gens sortent dans la rue. Crient. Hurlent. Contre leur « gouvernement ». Autrefois, Alfred Jarry disait (c’est dans Ubu Roi) : « la scène se passe en Pologne, c’est-à-dire nulle part. » Nulle part, ce serait plutôt la Suisse. La Suisse voudrait empêcher que le réalisateur de Chinatown (que je viens de revoir cette nuit et qui est un chef-d’œuvre) continue de nous donner des œuvres d’art. Pourquoi, Suisse, ne laisses-tu pas cet homme partir ? Parce que tu as peur de l’Amérique ? Parce que tu trembles ? Parce que tu suis toute cette meute ignoble, parfaitement aveugle, et qui veut que Polanski représente, pour la nuit des temps, le pédophile par excellence ? Qu’il en soit l’incarnation, le parangon, l’icône ? Suisse, sois digne pour une fois dans ta vie. Suisse, donne-toi une dignité en rendant la sienne à un des grands génies du cinéma qui a suffisamment payé pour quelque chose qui ne s’est pas déroulé comme on le sait, le croit, croit le savoir. Suisse, sois une nation, sois un pays, sois quelqu’un. Sois un homme, Suisse.
Quand il y a la guerre, Suisse, tu te carapates. Tu regardes tes chaussures. Tu vas tranquillement te promener en montagne. Tu respires le bon air parmi les gentils (petits) oiseaux. Rien n’est ton problème, Suisse. Tu n’es jamais concernée. Tu n’es jamais impliquée. Tu n’es jamais inquiétée. Tu n’es jamais là quand on a besoin de toi. Tu es toujours là, sur la planète, mais tu ne sers à rien : tu arrêtes les artistes et tu enrichis les enrichis. Tu ne sais rien faire, sauf pitié. Je te hais, Suisse. Je te demande de m’arrêter, moi, aussi, le jour où je viendrai te voir. Pour cracher sur ton sol immonde.”
Yann Moix.
Les citoyens de la “pute” ne sont pas content, et sous le déversement de signalements, Facebook suspend le compte de l’auteur du libelle, immense artiste français à qui nous devions déjà “Podium” :
Je suis écrivain, je suis réalisateur. Qu’on le veuille ou non, qu’on l’accepte ou pas, c’est ainsi. J’écris, je publie, je travaille beaucoup, je réfléchis, j’existe. Je suis un être passionné, parfois emporté, et je travaille actuellement sur plusieurs livres : un essai sur le judaïsme, une biographie de Kafka et un roman sur les Marranes.
J’avais, il y a quelques jours encore, une page Facebook, comme tout le monde, car il est spécifié, quand on s’inscrit sur Facebook, que Facebook est ouvert à tout le monde. Mais Facebook, la société Facebook a décidé de supprimer mon compte, ma page. Sur cette page, il y avait des articles sur Kafka, sur Proust, sur Gombrowicz et sur Miles Davis, sur Stravinsky et sur Sollers. Il y avait des propos polémiques car je suis polémiste. Il y avait des propos sur Polanski car je suis polanskiste. Il y avait une part de moi, de mon univers. Tout ça, ainsi que mes 3 300 amis, a disparu : non seulement c’est ignoble pour mes 3 300 amis, qui ne peuvent plus communiquer avec moi, mais c’est ignoble tout court.
Car pendant qu’on me fait taire, qu’on me sabre, qu’on me supprime, qu’on m’élimine virtuellement, culturellement, intellectuellement, tous les groupes Facebook haineux à mon endroit, eux, perdurent, sont là, consultables, en pleine forme. Je suis supprimé, moi, sans avertissement, de Facebook, mais des groupes tels que « Yann Moix, la Suisse t’emmerde ! » ou « Yann Moix, la Suisse t’encule ! », qui appellent à brûler mes livres sur la place publique, appellent à me frapper physiquement ou s’en prennent à mon physique par des injures démentielles, des groupes comme ceux-là, oui, sont consultables.
Ce n’est plus de la censure : Facebook pratique le délit de sale gueule. Facebook prive un écrivain, un artiste, de parole, de moyen d’expression, de vitrine, au profit de la Meute hurlante, nombreuse, haineuse, dégueulasse.
Ceci est une lettre ouverte à Facebook : je ne savais pas que, pour perdurer sur ce support, il fallait pratiquer la faute d’orthographe de manière systématique, encourager la haine de la pensée, du pamphlet et de la littérature, et encourager la pratique de la menace de mort et du délit de faciès. Je ne savais pas que Facebook avait la haine des penseurs, des artistes et des intellectuels.
Je demande instamment à Facebook de rétablir ma page, non pas une toute nouvelle page bien vierge qui recommence à zéro, avec mémoire effacée, avec amis détruits, avec articles déchirés : mais la page mêmement même que celle que je possédais il y a deux jours encore. Non pas le jumeau nettoyé de mon mur pestiféré, mais le même mur mêmement même, les mêmes amis semblablement semblables. Je veux retrouver mon profil strictement profilé de la stricte même manière.
Je suis le premier écrivain au monde éjecté de Facebook. Le premier détruit sur Facebook. Le premier qu’on accepte de livrer aux chiens de la Meute, le premier que Facebook permet de lyncher, d’assassiner (pas de panique : j’ai la peau dure), mais qui, supprimé, rayé, éradiqué, ne peut ni se répondre, ni s’exprimer. Je n’ai, sur Facebook, que le droit d’être tué, fustigé, haï. Je n’ai plus le droit, sur Facebook, de vivre, de faire partager des vidéos de Frank Zappa ou de Cornell Dupree, de faire découvrir Cziffra à mes amis, ni leur dire ô combien Guitry est un génie. Je ne peux plus donner au moindre ami, sur Facebook, un renseignement sur Rossellini, ni livrer une anecdote sur Fassbinder.
Je n’ai que le droit d’être exposé. Sur Facebook, on menace de me torturer (physiquement), on menace de faire un autodafé de mes livres en place publique, on menace de me faire la peau. Sauf que c’est un support sur lequel je suis déjà mort. Réduit au silence. Même les néo-nazis ne connaissent pas ce traitement.
Je suis le premier artiste français, le premier écrivain du monde a être excommunié d’une société virtuelle ouverte à tout le monde sauf un, ouverte au monde entier sauf à moi.
Je demande ici, solennellement, aux autorités facebookiennes de rétablir immédiatement mon profil, mes pages, mon mur. Facebook est un trombinoscope : ma trombine n’est pas au goût de Facebook.
J’irai jusqu’au bout pour revenir, non par une ruse, non nanti d’un nouveau profil pirate et marrane, d’une crypto-identité, en toute lumière sur ce site démocratique moins un. Ce site pour tous sauf pour Yann Moix. Ce site pour l’humanité entière à une exception près. Ce site universel à un paria près : moi. A une sale gueule près : la mienne.
J’ai de la force, de l’énergie, de la conviction, de l’intelligence et des avocats. Le combat commence aujourd’hui. Ceux qui voudront me soutenir sont les bienvenus.
Sur Facebook, “Yann Moix la Suisse t’encule” n’est pas une insulte. En revanche, “Yann Moix” tout court est une insulte. Et la pire au monde.
La Règle du Jeu, Yann Moix : “Comment Facebook m’a éliminé”.
Je publie les textes in-extenso. Je n’aime pas la censure et souffrirais que la parole de Yann Moix puisse être censurée, voire oubliée.
des pas perdus
Pour enfoncer le clou, je conseille cette lecture :
http://www.monde-diplomatique.fr/2010/01/RIMBERT/18750
Léon Gloup
Entartons, entartons le pompeux cornichon.
Blah ? Touitter !