J’ai beau le retourner dans tous les sens, j’ai du mal à voir comment le projet de loi matraque déposé hier pourrait régler la crise étudiante et ramener la paix sociale.
Depuis le début de ce conflit, le gouvernement Charest sous-estime la détermination et l’intelligence du mouvement étudiant. Il fait maintenant le pari qu’un gros couvercle posé sur la marmite étouffera la grogne. Il tente d’imposer la paix de force, en bafouant des droits fondamentaux. Les premières réactions d’indignation laissent présager que ce ne sera pas si simple.
À défaut de chercher à négocier une solution salutaire pour tous - carrés rouges, carrés verts, carrés blancs ou pas de carré du tout -, le gouvernement choisit une ligne dure qui attisera davantage les tensions. Des pouvoirs accrus aux policiers. Un droit de manifester restreint pour tout groupe de 10 personnes ou plus, avec obligation de fournir au moins 8 heures à l’avance son itinéraire aux policiers (qui pourront le modifier à leur guise). Une interdiction de manifester à moins de 50 mètres d’un cégep ou d’une université. Un retour en classe de force. La possibilité de juger les associations étudiantes coupables par association en renversant le fardeau de la preuve. La possibilité de leur couper les vivres. Des amendes sévères de 1000$ à 125 000$ par jour aux dissidents…
Bref, c’est tout un mouvement social que l’on semble vouloir mettre au pas, bâillonner et pénaliser sévèrement. On bafoue la liberté d’expression. On bafoue la liberté d’association. On bafoue le droit à la dissidence. Voilà qui est indigne d’une société démocratique. Et après, ce sera quoi? La Loi sur les mesures de guerre?
Au début du conflit, le gouvernement Charest a choisi d’ignorer le mouvement étudiant contre la hausse des droits de scolarité. Il a ensuite tenté de le diviser. Puis, de le discréditer en l’associant à tort à la violence ou à un mouvement d’enfants gâtés intransigeants. Quand il s’est finalement assis pour «négocier», on a eu le droit à une mascarade, deux fois plutôt qu’une. Et bien que des propositions intéressantes aient été présentées, le gouvernement n’a jamais reculé d’un iota sur l’enjeu principal - la hausse des droits.
[…] Au-delà du fait que cette loi matraque ne règlera rien, on peut s’inquiéter du message qu’elle envoie à la jeunesse. On reproche souvent aux jeunes d’être individualistes. Voilà qu’ils se lèvent pour défendre l’accès à l’éducation pour tous. Et on les traite comme des voyous en prétendant agir pour l’avenir du Québec. Drôles de voyous que ces jeunes gens souvent plus éloquents que bien des politiciens.
«Ça me fait perdre foi en nos institutions démocratiques», a dit Léo Bureau-Blouin. Pour les étudiants, ce projet de loi qui brime la liberté d’expression est pire encore que la hausse des droits de scolarité, a souligné Martine Desjardins. Combien de jeunes brillants et talentueux comme eux, jugés coupables de s’être tenus debout, ne font déjà plus confiance aux institutions?
La Presse, Rima Elkouri : “La loi matraque”.
[…] Vous avez réagi en vous promettant de bien montrer aux Québécois de quel bois vous vous chauffez. Votre colère s’est abattue sur nous sans retenue. Vous tirez visiblement du plaisir à nous faire mal et à nous diminuer. Votre mépris exprimé de toutes les façons possibles et sur toutes les tribunes quand vous parlez de ce peuple qui, selon vos prétentions, n’a pas su vous reconnaître les qualités exceptionnelles que vous vous reconnaissez vous-même, en est la preuve flagrante. Votre orgueil vous donne envie de régler des comptes. Ce que vous faites en pensant peut-être que nous ne nous en rendons pas compte.
[…] Il se lève dans nos rues une toute nouvelle génération de jeunes qui n’ont pas peur de vous. Ce sont les enfants des parents, et parfois même des grands-parents, qui sont restés avec la Crise d’octobre 1970 de travers dans la gorge. Le Québec a découvert qu’il a une mémoire et que son « Je me souviens » n’est pas juste une phrase vide.
Je ne connais pas les gens qui vous conseillent en ce moment, mais je vous assure que vous auriez tous intérêt à venir marcher un soir, dans la rue, avec des milliers de jeunes qui réclament « leur juste part » de cette société si mal foutue qui est la nôtre et qui partageraient volontiers avec vous des idées pour arriver à un meilleur équilibre. Mais je sais que vous ne viendrez pas. Comme je sais qu’il n’y a pas d’abonné au numéro qu’ils ont composé.
Je ne sais pas si vous arrivez à dormir la nuit. J’espère que non. Moi, après votre conférence de presse annonçant votre décision d’imposer une loi spéciale à nos enfants, j’ai repassé dans ma tête tous les premiers ministres que j’ai connus. J’ai 80 ans. J’en ai connu plusieurs. Quelques insignifiants, sûrement. Des brillants ? Quelques-uns, mais en moins grand nombre que les précédents. Mais j’ai le regret de vous annoncer que vous êtes le pire ; c’est à se demander si vous avez du coeur.
Vous n’aimerez pas cette chronique. J’en suis bien consciente. Alors, si mon droit d’expression vous dérange tellement, je vous pense capable de vouloir me faire taire. Comme dit la chanson : vous pouvez m’envoyer vos policiers. Dites-leur « qu’ils pourront tirer, car je n’aurai pas d’arme ».
Les blessures que vous laisserez dans notre peuple, M. Charest, seront longues à guérir. Mais j’ai la certitude que nous y arriverons. Je suis heureuse de savoir que la relève est debout. Ça ira plus vite.
Le Devoir, Lise Payette : “Honte à vous, Jean Charest”.
Tout cela était préparé de longue date. Tout cela est un kidnapping de nos droits et libertés. Tout cela est un crime.
De deux choses l’une:
1) Le gouvernement Charest compte mettre à genoux le mouvement étudiant en le forçant à négocier sous la menace de cette loi spéciale qui est un couteau sur la gorge;
2) Le gouvernement Charest, devant la réelle possibilité d’un échec aux prochaines élections, tente par cette loi un véritable coup d’état qui réduit à l’impuissance toute forme de contestation de ses politiques.
Dans ces deux cas, je vois qu’une seule solution. Désobéir.
Il n’y aura pas assez de cellules pour nous tous.
Le Journal de Montréal, Jean Barbe : “Un coup d’État”.
Dispositions relatives aux établissements d’enseignement
Les universités et collèges d’enseignement général et professionnel (CEGEP), actuellement touchés par des mouvements de grève, sont fermés, les cours y sont suspendus. La reprise des cours se fera entre le 17 et le 30 août, suivant les établissements.
Ces dates imposées de reprise pourront être ultérieurement modifiées avec l’accord de la ministre de l’Éducation.
De fait, cette mesure rend caducs les jugements d’injonction précédemment délivrés pour contraindre à la reprise des cours dans certains de ces établissements. (Cf. Article 31).
Tout salarié d’un établissement demeuré ouvert doit se présenter au travail. Il doit “accomplir tous les devoirs attachés à ses fonctions, conformément aux conditions de travail qui lui sont applicables, sans arrêt, ralentissement, diminution ou altération de ses activités normales.” — Article 11.
Il est interdit à toute association de salariés et à ses membres de participer à une “action concertée” pouvant contrevenir à l’accomplissement des tâches normales des salariés. — 12.
“Nul ne peut, par un acte ou une omission, entraver le droit d’un étudiant de recevoir l’enseignement dispensé par l’établissement d’enseignement qu’il fréquente, faire obstacle ou nuire à la reprise ou au maintien des services d’enseignement d’un établissement ou à l’exécution par les salariés de leur prestation de travail relative à ces services, ni contribuer directement ou indirectement à ralentir, altérer ou retarder la reprise ou le maintien de ces services ou l’exécution de cette prestation.” — 13.
“Nul ne peut, par un acte ou une omission, entraver l’accès d’une personne à un lieu où elle a le droit ou le devoir d’accéder pour y bénéficier des services d’un établissement ou pour y exercer des fonctions. Sans restreindre la portée du premier alinéa, toute forme de rassemblement qui pourrait avoir pour effet d’entraver un tel accès est interdite à l’intérieur d’un édifice où sont dispensés des services d’enseignement par un établissement, sur un terrain où est situé un tel édifice ou dans un rayon de 50 mètres des limites externes d’un tel terrain.” — 14.
Une association d’étudiants doit prendre les moyens appropriés pour amener les étudiants qu’elle représente à ne pas contrevenir aux articles 13 et 14. Il en est de même pour une fédération d’associations à l’égard des associations d’étudiants qu’elle regroupe et des étudiants représentés par ces dernières.
Dispositions relatives aux manifestations publiques
“Une personne, un organisme ou un groupement qui organise une manifestation de dix personnes ou plus qui se tiendra dans un lieu accessible au public doit, au moins huit heures avant le début de celle-ci, fournir par écrit au corps de police desservant le territoire où la manifestation aura lieu les renseignements suivants :
1. la date, l’heure, la durée, le lieu ainsi que, le cas échéant, l’itinéraire de la manifestation;
2. les moyens de transport utilisés à cette fin. Le corps de police desservant le territoire où la manifestation doit avoir lieu peut, avant sa tenue et aux fins de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, ordonner un changement de lieu ou la modification de l’itinéraire projeté; l’organisateur doit s’y conformer et en aviser les participants.” — 16.
“Une personne, un organisme ou un groupement qui organise une manifestation ainsi qu’une association d’étudiants ou une fédération d’associations qui y participe sans en être l’organisateur doit prendre les moyens appropriés afin que la manifestation se tienne conformément aux renseignements fournis en application du paragraphe 1 du premier alinéa de l’article 16 et, le cas échéant, de l’ordre donné en application du deuxième alinéa de cet article.” — 17.
Mesures administratives
Si un établissement est bloqué avec la participation d’étudiants, le chef d’établissement doit relever leurs appartenances syndicales et “le ministre peut ordonner à l’établissement de cesser, malgré toute disposition contraire, de percevoir la cotisation fixée par cette association d’étudiants ou par toute association d’étudiants qui lui succède et de lui fournir gratuitement un local, du mobilier, des tableaux d’affichage et des présentoirs. Cette cessation vaut pour une période égale à un trimestre par jour ou partie de jours durant lequel il n’a pas été possible de dispenser les services d’enseignement en raison de ce manquement.” — 18.
Les mêmes mesures d’appliquent aux fédérations “si le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport constate qu’il y a eu manquement de la part d’une fédération d’associations à une obligation prévue par la présente loi et que ce manquement a eu pour effet de, ne pas permettre que des services d’enseignement soient dispensés à des étudiants qui y ont droit.” — 20.
“Une association d’étudiants d’un établissement et une fédération d’associations dont fait partie cette association d’étudiants sont solidairement responsables du préjudice causé à un tiers en raison d’une contravention à l’article 13 ou à l’article 14” — 22.
Constitue notamment un préjudice, tout coût additionnel ou toute perte de gain assumé par quiconque, notamment un étudiant, un établissement ou l’État. — 23.
Dispositions pénales
Quiconque contrevient aux dispositions principales de la loi est passible d’une amende de 1 000 $ à 5 000$.
S’il s’agit soit d’un dirigeant, d’un employé ou d’un représentant, incluant un porte-parole, d’une association d’étudiants, d’une fédération d’associations ou d’une association de salariés, soit d’un dirigeant ou d’un représentant d’un établissement, soit d’une personne physique qui organise une manifestation, cette amende est portée aux sommes de 7 000 $ à 35 000$.
S’il s’agit soit d’une association d’étudiants, d’une fédération d’associations, d’une association de salariés ou d’un établissement, soit d’une personne morale, d’un organisme ou d’un groupement qui organise une manifestation, de 25 000 $ à 125 000 $.
En cas de récidive, les amendes sont doublées.
“Quiconque, par un acte ou une omission, aide ou, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, amène une autre personne à commettre une infraction visée par la présente loi commet lui-même cette infraction et est passible de l’amende prévue.” — 29.
Et attention, ça vaut même pour un message d’appel à la grève sur Twitter !
Portée temporelle
Les dispositions de la présente loi cesseront d’avoir effet le 1er juillet 2013 ou à la date ou aux dates antérieures fixées par le gouvernement. — 35.
Projet de loi complet (PDF).
« Lorsque les lois deviennent injustes, parfois il faut désobéir et on est en train de réfléchir sérieusement à cette possibilité-là », a-t-il déclaré vendredi, à Québec, lors d’un point de presse conjoint avec les représentants des autres associations étudiantes et des grandes centrales syndicales.
« La répression policière ne nous a jamais effrayés. Ça ne commencera pas aujourd’hui avec ce projet de loi là. Les manifestations vont continuer, dès ce soir, j’en suis convaincu, tous les soirs s’il le faut. Il n’est pas exclu d’appeler à désobéir à cette loi. Il y a probablement une annonce qui va être faite concernant cela aujourd’hui », a-t-il ajouté. Est-il prêt à faire de la prison, lui a demandé un journaliste? « On verra », a lâché M. Nadeau-Dubois.
Le président de la CSN, Louis Roy, a dénoncé cette loi « pitoyable » que le gouvernement Charest s’apprête à adopter. Une loi « écrite par des mononcles impuissants », a-t-il renchéri. « On n’invite pas notre monde à défier la loi mais si vous pensez que vous avez une cause, bien, manifestez! On n’incite pas nos membres à désobéir, on incite nos membres à faire respecter nos droits », a-t-il nuancé.
« Souvent, les lois sont légales mais illégitimes et il y aura une réflexion à faire », a répondu à cet égard le président de la FTQ, Michel Arsenault. « Cette loi-là est guidée par la hargne, par la colère et la revanche du parti Libéral et du premier ministre Charest. Les amendes sont injustifiées. Ça n’a aucun sens dans une société démocratique… On n’est pas en Corée du Nord! », s’est-il insurgé, ajoutant qu’on est « dû pour élection ».
Disant essayer de contenir sa propre colère, le président de la CSQ n’a pas réussi à atteindre son objectif lors du point de presse, s’enflammant autant que ses confrères. « Ce n’est pas la première loi spéciale à laquelle on est confrontés comme syndicalistes (…) mais aussi loin qu’on puisse reculer, je n’ai jamais vu une loi aussi perfide que celle-là. Pour la première fois dans ma courte vie, je pense que tout est noir ce matin. Les conservateurs à Ottawa ont maintenant des leçons de law and order d’extrême droite à recevoir du Parti libéral du Québec », a-t-il laissé tomber.
« Le ministre Gignac nous faisait la leçon pour nous dire qu’on n’est pas dans une dictature mais je vais vous dire que c’est digne d’une république de bananes. J’espère que le bon sens les rattrapera avant la fin de la journée. »
Journal de Québec, Jean-Luc Lavallée : “La CLASSE songe à la défier”.
magoua
J’espère que la manif sera légale puisque l’article 29 de cet infâme projet de loi stipule que: «Quiconque, par un acte ou une omission, aide, ou, par un encouragement, une autorisation ou un ordre, amène une autre personne à commettre une infraction visée par la présente loi commet lui-même cette infraction et est passible de l’amende prévue…» soit 1000 à 5000 $.
En somme, on peut être coupable si on ne dit pas à quelqu’un de ne pas aller à la manif !
Ce gouvernement est franchement dégoûtant.
jeu de coiffure
Bonjour, Manifester est un droit, j’espère que vous serez nombreux à l’exercer ce jour là, étudiants et tous les autres! Je vous envoie des pensées de France. Sabrina.
Blah ? Touitter !