Abus de pouvoir
Le gouvernement Charest a choisi de dénouer la grève étudiante sur les droits de scolarité par la manière forte, suite logique de sa gestion d’une crise qu’il n’a jamais comprise ni maîtrisée. Son scénario était mauvais et la conclusion de l’histoire ne peut qu’être lamentable. Nous la dénonçons.
Les seuls mots qui peuvent qualifier la loi numéro 78 adoptée hier par l’Assemblée nationale pour assurer un retour aux études sont ABUS DE POUVOIR. S’il fallait une loi pour assurer les conditions d’accès à l’enseignement, ce qui était nécessaire en soi, rien ne justifiait de suspendre les droits démocratiques fondamentaux de l’ensemble des citoyens québécois, tel le droit de manifester qui sera désormais soumis à des conditions et des contrôles exercés arbitrairement par les corps de police.
Pourquoi un tel excès d’autorité ? On ne peut que remarquer que, dans l’histoire du Québec et du Canada, deux États démocratiques dotés de chartes des droits et libertés qu’on porte fièrement à la boutonnière, la tentation autoritaire est présente dès que la tension sociale croît. Elle est le corollaire de la peur engendrée par la faiblesse des autorités en place. Les exemples sont nombreux. Il y a bien sûr la Crise d’octobre, mais aussi l’abus de force des policiers lors du sommet du G20 à Toronto il y a deux ans. Dans le cas présent, cette faiblesse a été démontrée par l’incapacité du gouvernement Charest à régler par le dialogue cette crise.
Ces tentations autoritaires, nous avons toujours cru au Devoir qu’il fallait les dénoncer, même s’il fallait être seul contre tous. C’est ce qu’avait fait avec courage en 1970 Claude Ryan lorsque fut imposée la Loi sur les mesures de guerre. Le respect des droits fondamentaux fait partie de nos valeurs. Nous avons toujours été préoccupés par le destin collectif de notre société, mais tout autant soucieux d’assurer aux individus une protection contre les abus et dérives de l’État. Les voix qui protestent contre ceux contenus dans la loi numéro 78 sont nombreuses. Le gouvernement Charest a bien accepté quelques amendements à son projet de loi, mais la loi telle que votée va trop loin.
Le mépris ressenti par les groupes étudiants, et qui a fait obstacle à de saines négociations de toutes parts réclamées, s’articule aujourd’hui dans une loi porteuse d’arrogance et d’une volonté affirmée de casser une crise devenue hors de contrôle, alors qu’il s’agissait au départ d’un désaccord politique comme le Québec en a souvent connu. Pour les étudiants, cette loi est une « déclaration de guerre ». Pour les groupes sociaux, c’est l’occasion saisie par l’État pour miner des droits fondamentaux. La contestation juridique qui s’annonce sera vive.
L’idée d’une pause dans cette escalade insoutenable, par suspension des cours, eût suffi. Mais non. La dégaine est excessive : elle heurte de plein fouet des droits aussi cruciaux que ceux de l’expression et de la manifestation, bafouant la démocratie. Elle déborde du cadre habituel de la dissuasion avec des amendes outrancières - pour des étudiants qui dénoncent une hausse des droits ! Elle menace l’existence des groupes étudiants, leur nie tout rapport de force par voie de grève en faisant du droit à l’éducation le principe suprême, écorchant du coup le droit d’association. Elle incite à la délation. Sombre dans la dangereuse insignifiance en s’en prenant aux carrés rouges. […]
Le Devoir, Bernard Descôteaux, Josée Boileau, Jean-Robert Sansfaçon, Marie-Andrée Chouinard, Serge Truffaut : “Loi 78 - Abus de pouvoir”.
Blah ? Touitter !