God Bless America
On vient d’apprendre à Frank qu’il a un cancer du cerveau. Incurable. Pas pour rien qu’il avait des migraines carabinées depuis un certain temps.
La veille, il perdait son emploi, parce qu’il avait pris la liberté de noter l’adresse de la résidence de la réceptionniste de son bureau, afin de lui envoyer des fleurs, alors qu’elle traversait une mauvaise passe. Or, utiliser le registre des renseignements personnels de la compagnie d’assurances pour laquelle il travaille contrevient aux règlements internes, aussi stricts qu’impitoyables de conséquences. Donc, licenciement. Au regret de son gestionnaire immédiat, qui ne fait qu’appliquer les directives « venues d’en haut, » bien entendu.
L’avant-veille, tentant d’échapper à sa migraine et son ennui, il zappait entre divers postes de télévision aussi débiles que variés les uns que les autres. Naviguant d’un concours à la American Idol où un jeune homme sans talent se fait humilier à une émission politique qui ferait passer Fox News pour un repère de socialistes en passant par un compendium des cascades les plus idiotes et autres télé-réalités où des adolescentes hystériques se chamaillent en se lançant un tampon hygiénique usagé par la tête, Frank n’a non seulement pas perdu sa migraine mais a gagné en plus un dégoût profond pour ses semblables.
Il s’en explique, d’ailleurs, à son collègue de cubicule, quelques minutes avant de perdre son emploi : l’Amérique, son pays, le déprime par sa négation radicale de la civilisation — notamment dans ces émissions télévisées. Il affirme que ces demeurés ne devraient pas avoir le droit de diffuser leurs idioties. Il défendra, bien sûr, leur liberté d’expression si elle était menacée — mais il tente (sans succès) d’expliquer à son collègue combien tout cela représente la chute de la civilisation en général et des États-Unis en particulier.
Ayant tout perdu, particulièrement sa raison de vivre — y compris sa petite fille de laquelle il est séparé et qui ne veut plus de lui, obnubilée qu’elle est par les objets de consommation — Frank comprend qu’il n’a qu’une seule issue avant de quitter son monde sordide.
Tuer ces dégénérés, ces assassins de civilisation, qui ne méritent pas de vivre.
Ce qu’il accomplira, littéralement, dans le sang et l’allégresse.
Voilà l’argument et l’essentiel de la trame d’une comédie noire récente, God Bless America, de Bobcat Goldthwait.
Un film acide sur la liberté. Liberté de penser, liberté de s’exprimer et liberté d’agir.
Voir, Ianik Marcil : “Quoi ? La liberté”.
La liberté de l’individualisme radical : moi, ma maison, ma famille, ma vie. Une liberté hargneuse, qui nie la communauté et oublie la nécessaire construction de soi avec l’autre en société. Car c’est à cela que résonne la liberté positive : la liberté de choisir une forme de vie sociale et politique dans laquelle tout un chacun peut s’épanouir. Une liberté exigeante qui s’affirme jour après jour dans son désir d’un dépassement de soi — en droite ligne avec la pensée des pères fondateurs des États-Unis et du E pluribus unum.
Alors que la forme négative de la liberté exalte l’individualisme, sa forme positive célèbre l’individualité. Il s’agit là probablement de la nuance fondamentale que les dernières décennies de néolibéralisme ont oblitérée. Un néolibéralisme simpliste qui nie l’autre et sa communauté. Qui nie l’ensemble des individualités dirigées vers l’autre — une communauté d’appartenances diversifiées.
Voilà la différence entre l’individualisme et l’individualité qu’a gommé la pensée néolibérale depuis les dernières décennies.
Ibid.
Karl, La Grange
Reste à savoir maintenant si le film va créer des émules, je crains que le second degré ne soit pas très efficace sur les congénères que le film dénonce.
Blah ? Touitter !