Tintin et l’arachnovulvophobie
[Maratus speciosus. Photo Jurgen Otto.]
[…] Notre langue est pleine de ces métaphores qui assimilent la femme à une créature velue, couverte de soies, de duvets ou d’anthères, dont le cœur obscur — tel un châton de saule — se cacherait au sein de son cocon soyeux… C’est peut-être là que se trouve l’origine de l’arachnophobie, avancent certains psychanalystes : l’araignée, généralement représentée comme une chose noire et poilue, se tapit souvent dans des anfractuosités qui évoquent l’image du con denté. Elle se terre au fond de son trou, poilue et parfois venimeuse… telle une femme-piège prête à vous happer le sexe. Telle une mère qui refuserait de vous laisser grandir et quitter le nid. Or qu’est-ce que l’araignée sinon la tisseuse absolue ?
L’illustration la plus convaincante de cette théorie est malheureusement introuvable sur internet. Je ne me rappelle plus le nom du psychanalyste qui l’a émise mais sa démonstration reposait sur l’analyse d’une célèbre œuvre de Hergé : L’étoile mystérieuse. Hergé souffrait apparemment d’arachnophobie car dans cette bande dessinée, le mot « araignée » qui revient 13 fois, est systématiquement associé à la mort. L’histoire commence lorsque Tintin apprend qu’un météore est sur le point d’entrer en collision avec la terre. Lorsqu’il regarde dans la lunette de l’observatoire astronomique (voir ici la planche), c’est pour sursauter d’effroi face au spectacle d’une effrayante Epeire diadème (ne pas cliquer sur le lien si vous avez la phobie des araignées) qui semble se précipiter vers lui du fond de l’abîme stellaire.
La vision de la monstrueuse arachnide venue de l’espace (en réalité une minuscule bestiole qui s’était pendue à l’extrêmité de la lunette) n’est pas sans traumatiser le héros qui en fait un rêve affreux. Plus tard, le voici qui accoste sur un fragment du météore tranformé en île. Tintin y passe la nuit et se réveille, horreur, face à une araignée géante anthropophage : le cauchemar est devenu réalité… Pour le psychanalyste, cette peur d’être mangé n’est pas sans lien avec celle qui nous fait, d’un geste presque automatique, regarder attentivement dans la lunette des toilettes si aucune araignée ne s’y trouve… Posant l’équation « Lunette des toilettes = lunette astronomique », il observe que le processus onirique ou imaginaire qui nous amène à affronter nos peurs, les met souvent en scène de façon déguisée. En clair : ce que la petite scène de « l’araignée dans la lunette » révèle, c’est la panique à l’idée qu’une chose répugnante puisse toucher nos parties les plus intimes…
La peur de la mygale et des 3000 espèces d’aranéidae tisseuses de toiles gluantes est certainement liée à cette hantise de la castration. Il faut entendre le mot « castration » dans son sens le plus large, c’est-à-dire comme la peur d’être privé d’une sexualité adulte et autonome : voilà pourquoi les femmes aussi peuvent être arachnopobes. Voilà surtout pourquoi le tissage qui consiste à fabriquer des voiles pudiques est associé si fortement à cette chose profondément angoissante qu’ils sont censés recouvrir, masquer et occulter…
Au-delà de la misogynie avec laquelle il parle des femmes, Freud ne fait donc guère que broder sur un fond d’angoisses propres à notre société. Quoi de plus inquiétant qu’une vulve, à part, peut-être, une tarentule ? Qui dit vulve, dit enfantement. Qui dit enfant, dit mère et dévoration… Lorsqu’il construit en 1932 ce mythe moderne et rassurant des femmes inventeuses du tissage, Freud essaye probablement de gérer une phobie personnelle en imaginant que les femmes, ces prédatrices bestiales et velues, sont malgré tout capables de s’auto-discipliner, en tressant les poils afin que leur sexe horrible reste dissimulé au regard.
Les 400 culs, Agnès Giard : “Freud et les poils de pubis”.
Krysalia
Mon dieu, la psychanalyse, ce fléau :/…
Eolas
Je ne regarde jamais dans la cuvette s’il y a une araignée ou pas. J’estime que c’est à elle de faire gaffe.
Du coup je suis pédé ou misogyne ?
Gagarine
“Qui dit vulve, dit enfantement. Qui dit enfant, dit mère et dévoration”. C’est de la psychanalyse Pyramide, ce truc!
laurent fonx
je vous renvoie au travail de Louise Bourgeois qui avait tout compris de La Symbolique de l’Araignée (Maman)…
padawan
Si vous préférez une explication rationnelle plutôt que de la psychanalyse de supermarché, allez voir le fossile d’araignée qui se trouve au museum d’histoire naturelle à Paris (je déconseille fortement le spectacle aux arachnophobes, ça ne risque pas de les guérir de leur phobie). D’une taille estimée de 80 cm avec les pattes (si ma mémoire est bonne), la bestiole ne tissait pas de toile, elle chassait en sautant directement sur ses proies. Si on a dû se défendre de ça par le passé, je ne suis pas étonné que ça ait pu laisser des traces.
JMU
Gné ?
Non, parce que j’ai du mal à dire autre chose là.
Off Topic
Découverte: ton araignée se prend pour un paon en fait :)
Celui
Je ne vois qu’une seule solution, les poils ça se fument, et le venin s’injecte.
Krysalia
ça me rappelle cette image sarcastique vue ailleurs et qui disait “lets all take a moment and be grateful that spiders don’t fly :-}”
f.
Bonjour,
Il me semble que le psychanalyste dont vous cherchez le nom est Serge Tisseron. Ce dernier a en effet révéler un secret de Hergé dans sa thèse de doctorat, disponible elle sur internet.
f.
Lachesis
Bonjour,
je suis passionnée par les araignées, et je suis une femme hétérosexuelle monogame. Que dois-je en conclure selon Freud ?
Léonie
“Qui dit vulve, dit enfantement. Qui dit enfant, dit mère et dévoration”… Boy, that escalated quickly ! Personnellement je n’ai jamais compris le lien que tissait Louise Bourgeois entre la mère et la figure de l’araignée (à part peut-être dans le cadre d’une relation mère-fille très très trèèèès malsaine)…
Blah ? Touitter !