Néonazisme, révolte prolo
Rue89 : De quel milieu viennent ces skinheads d’extrême droite que l’on croise dans de nombreuses villes en France ?
Nicolas Lebourg : Ce sont des jeunes issus des classes populaires, avec une vraie conscience de classe. Ils s’affirment comme des prolétaires blancs – ce qui les conduit à assimiler la question sociale à la question raciale. Ils dirigent leur colère vers les mouvements de gauche, considérant que ceux-ci s’occupent des immigrés ou des homosexuels, mais pas de l’intégration des jeunes prolétaires blancs.
Ils assimilent la gauche au sionisme, c’est assez classique, même si leur racisme est désordonné – contre les juifs, les Arabes, etc. Leur néonazisme est souvent assez folklorique, c’est un néonazisme d’influence américaine, qui est en fait un suprémacisme blanc.
[…] Au niveau politique, le néonazisme des skinheads se limite à l’antisémitisme et au suprémacisme blanc. Il est très peu élaboré. Le folklore néonazi relève plus de la provoc que d’une affirmation idéologique construite. Ce sont des gamins assez déstructurés.
A partir de cette petite bande, qui n’avait pas de structure politique, Serge Ayoub a réussi à partir de 1987 à bâtir le premier mouvement politique skin. Il avait alors donné à ces jeunes une espèce d’horizon, en leur disant :
« OK, vous buvez de la bière, OK, vous faites la fête, OK vous faites n’importe quoi, mais vous savez, les SA [organisation paramilitaire du parti nazi, ndlr] étaient comme vous. On n’est pas des SS méthodiques, mais on peut être révolutionnaires comme les SA. Il ne s’agit pas juste de faire le coup de poing contre l’Arabe d’à côté, cela ne sert à rien. Il faut se structurer politiquement comme le firent les SA… »
D’autant que les SA venaient de milieux plus populaires que les SS…
Oui, ils étaient plus « socialistes ». Les SA prônaient deux révolutions, la révolution nationaliste et la révolution socialiste. C’est pour cela qu’on en est arrivé à la Nuit des Longs Couteaux [les assassinats politiques de SA en 1934, ndlr] : il fallait éliminer cette tendance-là de manière à apaiser les conservateurs.
On retrouve chez les skins d’extrême droite cette revendication d’un fascisme social, un fascisme des travailleurs, qui s’inspirerait des débuts du fascisme italien et de la SA.
Donc, dans les années 80, Ayoub a réussi à convaincre des skins. Il a une forme de charisme qui fonctionne bien auprès de ces jeunes-là, qui manquent de repères, qui sont souvent peu cadrés familialement. Ils ont trouvé chez lui une forme d’autorité qui leur convenait.
C’est un des rares exemples où l’extrême droite a eu un succès auprès de la jeunesse populaire. Il n’y avait pas de jeunes prolos à l’extrême droite au début des années 80. A l’époque, les extrémistes venaient des classes plus aisées : c’étaient des petits bourgeois ou même des enfants de grands bourgeois.
[…] on n’a pas encore trouvé mieux que les références au fascisme pour s’automarginaliser. Le type avec la croix gammée dans le cou est sûr de ne jamais être embauché. Il s’autocondamne au chômage, mais il peut justifier sa marginalité et son exclusion du marché du travail en se disant : « C’est parce que je suis un héros politique. »
Avec ces groupes de skins, on est au croisement de la marge sociale et de la marge politique. Ce sont des gens destructurés, qui vont retrouver une structure dans une bande, un phénomène que les sociologues connaissent bien. On créée un petit entre-soi très compact qui justifie le fait qu’on soit séparé de la société. Cela attirera toujours quelques personnes, mais fondamentalement, dès qu’on est un peu plus structuré, un truc comme le Bloc identitaire est bien plus efficace au niveau de l’interaction sociale. […]
Rue89, entretien avec Nicolas Lebourg : “Les skinheads, un des rares succès de l’extrême droite chez les prolétaires”.
Krysalia
Et encore, avec ces nouveaux fonds de teints (de dermatologie au départ), on peut cacher tous les tatouages qu’on veut, et c’est vraiment discret, même de près.
je me demande bien quelle tête ferait un employeur (et ses recours juridiques ?) découvrant une fois le CDI signé que le charmant jeune homme- aux cheveux certes franchement courts- à en fait son amour du reich tatoué sur le cou,le crâne; le visage, les mains :D…
(Ah. Suis-je bétasse, c’est improbable. On ne signe plus franchement de CDI dans ce pays :D )
Zedak
Comme toujours les analyses de Nicolas Lebourg sont très bonnes.
@Krysalia : De toute façon une fois rentré dans ce genre de mouvement il est très difficile d’en sortir. C’est pour cela que pas mal de ces types restent entre eux même pour le travail : voir Bob Denard, voir un certain nombre d’ancien du GUD à sa “grande” époque etc. Et puis bon les tatouages sur la figure, nazi ou pas, pas top :).
Eric
États d’âmes et interrogations de la droite républicaine. À voir en fin d’article le reportage de Caroline Fourest sur les identitaires.
Krysalia
zedak> oui, je me doute qu’avec ce genre d’idées et ce genre de modifications corporelles, l’ouverture à l’autre et le mix des communautés entre travail/famille/patr enfin je veux dire loisirs, ça doit pas être trop leur truc :( .
néanmoins je m’interroge réellement sur les recours d’un employeur qui prend quelqu’un qui a masqué ce genre de tatouages (ou des trucs obscènes etc, qui interdisent définitivement un travail dans la vente par exemple). Une fois les tatouages découverts, je me demande si ça tient de la faute pro, d’un problème de confiance brisée, etc, comme motif de licenciement…
Ah sinon en effet, les tatouages sur le visage c’est pas top, nazi ou pas, niveau emploi. mais le fond de teint dont je parlais aide un tas de gens tous les jours à ce propos :D. Une connaissance à moi de polynésie par exemple. Elle cache deux lignes qu’elle a sur la joue et un “bracelet de cheville”. Epatant.
Blah ? Touitter !