Sale gueule de Française
Une Québécoise d’adoption qualifiée de « maudite Française » a eu droit à un chèque de 3500 $ pour réparer une « discrimination fondée sur son origine ethnique ou nationale », gracieuseté du Tribunal des droits de la personne.
La pharmacienne Josette Curé — une Française installée au Québec depuis 28 ans — s’est aussi fait reprocher sa « sale gueule de Française » par la même cliente, toujours selon le jugement publié plus tôt cette année.
Les faits remontent à 2010. Mme Curé ne traitait pas les commandes assez rapidement au goût de Lucette Morin, une cliente qui s’est impatientée. C’est elle qui a insulté la plaignante.
Or, au Tribunal des droits de la personne, on ne badine pas avec les insultes basées sur l’origine de la personne visée.
« Traiter quelqu’un de “sale Arabe”, “sale musulman” ou de “sale nègre” sont des qualificatifs très dégradants qui ont toujours été condamnés dans notre société, a écrit le juge Jean-Paul Braun. L’expression “sale gueule de Française”, même si elle est moins courante, est de la même nature. »
Mme Morin devra donc verser 3500 $ à Mme Curé. L’expression « sale gueule de Française » « reproduit un préjugé à l’endroit de l’origine nationale de la personne », a estimé le magistrat.
[…] Josette Curé n’a pas voulu discuter de la décision du Tribunal avec La Presse.
Elle s’est bornée à dire qu’elle en était « absolument » satisfaite. Les Français de Montréal sont « de moins en moins » visés par des insultes fondées sur leurs origines, a-t-elle ajouté. Selon elle, la situation aurait connu une évolution favorable depuis 28 ans.
La Commission des droits de la personne a représenté Mme Curé devant le Tribunal. L’organisme n’a toutefois pas voulu commenter la décision du juge Braun.
La Presse, Philippe Teisceira-Lessard : “Maudite Française, une insulte chère payée”.
[…] [3] La preuve en demande repose sur le témoignage de la plaignante, madame Josette Curé, et de deux employés qui étaient présents à la pharmacie le 3 avril 2010, journée de l’incident. En défense, la preuve repose sur le témoignage de madame Lucette Morin, la défenderesse.
[4] Madame Josette Curé est d’origine française. Elle est pharmacienne salariée dans une pharmacie Jean Coutu. Elle habite au Québec depuis 28 ans. Samedi le 3 avril 2010 en après-midi, elle est la seule pharmacienne présente. Elle est aidée par quelques assistants. Il y a beaucoup de clients. Elle entend une femme en colère qui parle fort. On lui dit que c’est une cliente qui s’impatiente. Elle s’adresse à cette dame, la défenderesse, et lui demande son nom. Madame Morin se nomme. Madame Curé lui dit alors: « Je m’occupe de vous ». La défenderesse s’adresse alors à elle en disant fort: « Incompétente avec ta sale gueule de Française ». « Pardon? » de répondre madame Curé et madame Morin de répéter: « Incompétente avec ta sale gueule de Française ». « Oui, évidemment, maudite Française », s’exclame la pharmacienne.
[5] Madame Curé dit avoir reçu ces paroles comme une gifle et n’avoir jamais subi de telles insultes. Cet événement l’a longtemps obsédée et perturbée.
[…] [55] Dans les circonstances particulières de cet incident, personne ne peut se tromper sur le caractère blessant des paroles prononcées par madame Morin : qualifier quelqu’un « d’incompétente avec ta sale gueule de Française », reproduit un préjugé à l’endroit de l’origine nationale de la personne à qui on s’adresse. Le Tribunal n’a donc aucune hésitation à qualifier ces insultes d’atteinte à la dignité.
[56] Il ne fait aucun doute que ces paroles s’attaquent directement à l’estime de soi et la réputation de la personne insultée, en particulier parce qu’elles ont été dites en public devant des clients de la pharmacie.
[57] Le Tribunal conclut que madame Lucette Morin a tenu des propos offensants et discriminatoires à l’égard de madame Josette Curé, fondés sur son origine nationale, portant ainsi atteinte à sa dignité, à son honneur et à sa réputation.
CanLII, Jean-Paul Braun, juge : “Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse contre Morin, 18 mars 2013”.
Jérôme
Que le préjugé d’incompétence nous poursuive d’accord, mais “sale gueule”, ce n’est pas gentil!
Guillaume
Ca me dépasse, pourquoi régler ce genre de conflit devant les tribunaux ? En quoi une personne qui nous traite de sale fronçais est-elle un danger pour la société ? Pourquoi ne pas lui retourner une bon bourre-pif ou lui refuser tout simplement l’accès à la pharmacie. Les gens ne savent plus se défendre seuls, c’est pathétique.
Maxime
Le bourre-pif et le refus de vente sont également interdits par la loi.
Même si je trouve ça pathétique d’en arriver au tribunal et au journal pour une histoire pareille.
Il faudrait pour ce faire une loi qui autorise bourre-pif et refus de vente en cas d’insulte raciale. Ça pourrait être drôle pour le bourre-pif, tiens.
JMU
Guillaume :
Ha, c’est bien un raisonnement de ces français violents qui préfèrent s’arranger entre criminels qu’avec la loi.
padawan
Pourquoi ? Pour avoir expérimenté les systèmes de santé français et québécois, je préfère de loin la compétence et l’accessibilité (comme on dit la santé ça n’a pas de prix mais ça a un coût) des français en la matière, pharmaciens compris.
Jérôme
@ Padawan: à part peut-être pour quelques réalisations techniques et les produits de luxe, je ne crois pas que nous ayons réussi à “vendre”/ communiquer sur nos compétences à l’étranger… d’où le préjugé.
Guillaume
Attention JMU, tu frôles le commentaire discriminatoire. Tutu tut ! Tu ne devrais pas associer la violence de mon commentaire à l’origine nationale supposée de ma digne personne. Sans compter que c’est attentatoire à mon honneur de Belge ;)
karl, La Grange
@Jérôme. Filtre culturel. Chaque pays dans le monde a des valeurs qui empêche dès le départ l’appréciation d’un système. Typiquement on est jamais hors-système, on fait toujours partie d’un système référent. Le savoir aide à être un peu plus critique vis à vis de soi, mais ne permet pas de tout comprendre.
Sur ce que @padawan mentionnait
Pour les trois systèmes de santé que j’ai pu expérimenter (Japon, France, Québec) dans des circonstances privilégiées (pas à la rue, bénéficiant légalement du système local et dans des moments peu dangereux), je peux dire que je place Japon, puis France, puis finalement Québec. Cependant, ce n’est pas toujours vrai non plus. Si on rentre dans les détails (ticket modérateur, attente, relation au patient, etc.). Une des choses terribles du Québec est le soutien de santé sans assurances privées. Un collègue se blesse, immobilité pendant 4 semaines, pas de couverture pour plus de 3 jours. Un autre un bras cassé platré pendant 3 semaines car chirurgien pas disponible. Les temps d’attentes aux urgences (7h pour de la bobologie) plutôt que l’accès aux médecins personnels (de famille) en pénurie.
padawan
@Jérôme : le mot est dit, ce n’est qu’un préjugé.
Blah ? Touitter !