“Miscellanées”

actus et opinions

Rousse écumante

Ahaha, on parle de moi dans le ressui du roux dragon :

Si d’aucuns pleurent et décrient d’un commentaire acide LE “ph” perdu et les accents circonflexes évanouis, proclamant un rapprochement éhonté entre la vulgarité et le laisser-aller du SMS, pitoyable jargon sous-vernaculaire, et l’effort de modernisation et de simplification des normes du français, il en est d’autres qui y croient et sont conscients que l’évolution d’une langue passe par autre chose que son anglicisation ou la création de néologismes par l’usage ou la nécessité. À ceux qui pleurent les racines perdues, je dis : Devenez webmaistres du françoys ! Mais ne comparez pas les avancées de ceux qui travaillent à forger une voie évolutive à ceux qui se complaisent à détruire une langue aux lettres d’or en l’entachant de paresse et de je-m’en-foutisme (je fais évidemment référence au désolant SMS).

La grande rousse, qui me traite de sacripant en privé (si elle savait combien elle me fait ainsi plaisir), doit comprendre que j’ai un attachement quasi-patrimonial à la langue telle que l’on me l’a enseignée et telle que je la lis chez mes auteurs favoris qui vont de Laclos à Proust. Et ne souhaitant en rien imposer mon passéisme de la graphie, je désire que l’on m’en laisse la liberté et je ne saurais me laisser imposer de nouveaux formalismes tant ils s’apparentent parfois au mariage forcé de l’orthographe et de la phonétique, à défaut d’y voir l’accouplement de la carpe et du lapin. Et j’assume la désuétude de ma position de réactionnaire conservateur (tautologie).

En résumé, il reste tout à faire pour me convertir et convaincre des bienfaits de cette nouvelle orthodoxie décrétée.

Mais il me faut avouer que j’écris cela rien que pour voir la rouquine enfourcher son destrier, car elle n’est pas plus grande que saisie d’irritation guerrière.

Post-scriptum.

Chaque mot à son histoire et sa graphie n’est pas le fruit du hasard. La traque des irrégularités et “anomalies”, c’est la chasse à ces mille et une coquetteries, ces petites perles qui font le charme de la langue. La démarche des réformes est dictée par une vision utilitaire de la langue totalement dépourvue de poésie, et à force de lissages successifs, notre français ne va-t-il pas y perdre son âme ? Et pourquoi substituer aux évolutions naturelles de l’usage des décrets arbitraires pris en assemblées restreintes ? L’écriture n’est pas régie par une arithmétique. La prochaine étape à craindre ne sera-t-elle pas la normalisation des verbes irréguliers ? En toute logique, oui. Mon inquiétude est de voir naître une politique d’accessibilité à la langue dont le principe serait un nivellement par le bas. L’usage fait déjà que notre langue est sur la voie de l’affadissement, il n’y a qu’à voir la pauvreté actuelle de la conjugaison (mort clinique des subjonctifs, passé simple en péril, passé antérieur disparu, plus-que-parfait assassiné) et l’indigence du style suite à des décennies de diktats : phrases courtes, sujet, verbe et complément.*

L’autre effet, à mon avis indésirable, de ce genre de recommandation, c’est d’entériner plusieurs graphies d’un seul mot. Quel capharnaüm pour les professionnels de l’écrit… je pense aux correcteurs et professeurs. Ce n’est plus une orthographe qu’il faut apprendre, mais bien deux, puisque “durant une période indéterminée” les deux graphies sont tout aussi légitimes. Cela ne fait que multiplier les cas déjà existants comme clé et clef, événement et évènement. Si l’objectif était une simplification, je ne trouve pas cela très réussi.

De fait, la majorité des évolutions suggérées par la “nouvelle orthographe” vont dans le bon sens, ou encore elles consacrent des usages avérés (même si le nénufar, sans aucun emploi, me reste en travers de la plume). Ce qui me dérange un peu, c’est cette politique “réforma-triste” et centralisée de la langue, ces recommandations élaborées par le Conseil supérieur de la langue française, l’Académie française et autres “instances francophones compétentes”, et publiées au Journal officiel de la République française. J’estime que toutes ces énergies seraient mieux employées sur d’autres fronts. Je ne pense pas qu’une guerre à l’accent circonflexe soit de quelque utilité pour l’avenir du français.

Et quand j’écrivais, avec l’acidité qui fait ma réputation, “Fo pa avoir 1 métro de retar, la nouvèl ortograf, cé le SMS”, c’est que la modernisation et la simplification des normes du français procède d’une logique apparentée.

Jean-François Féraud, ardent défenseur de la réforme, écrivait dans sa préface de 1787 au Dictionnaire critique :

L’Ortographe et la Prononciation sont deux soeurs de la même mère, et ce devrait être deux soeurs jumelles: elles auraient dû naître en même temps et avoir la plus parfaite ressemblance possible. Les sons, exprimés par la Prononciation, sont les images des idées; et les caractères, tracés par l’Ortographe, sont les images des sons. Il devrait donc y avoir entr’eux une exacte correspondance. Il est vrai que ce sont des signes arbitraires et des images de convention; mais, dès qu’ils ont été adoptés par l’usage, il est raisonable qu’ils gardent entr’eux les mêmes raports. Que si l’on cherche laquelle des deux soeurs doit être soumise à l’aûtre, il paraîtra évident que ce doit être l’Ortographe, dont la Prononciation est la soeur ainée; puisque les Langues ont été parlées avant que d’être écrites; que la Prononciation tient immédiatement aux idées et que l’Ortographe n’y tient que médiatement et par l’entremise de la prononciation. Celle-ci changeant, l’aûtre doit changer avec elle. Si elle se livre à la légèreté et à l’inconstance, ou si se piquant par caprice ou par paresse d’une constance déplacée, elle continûe à employer les mêmes caractères pour exprimer des sons, qui ont changé, la confusion succède à l’ordre, l’usage se contredit lui-même; et le défaut de correspondance fait naître sans cesse des doutes, des contradictions et multiplie les dificultés.

Si l’orthographe doit être soumise à la prononciation, il fo pa avoir 1 métro de retar, la nouvèl ortograf, cé la fonétik.

D’ailleurs, je ne résiste pas à la tentation de multiplier les citations de Féraud, écrites en “nouvelle ortographe” de 1787 :

La fureur des étymologies, le respect outré pour les Langues anciènes, l’avantage qu’on imaginait à marquer l’origine des mots et leur descendance, et à faire sentir la quantité des voyelles par la réduplication des consones, et aûtres principes semblables, dont on s’est long-temps aplaudi, et dont on s’aplaudit encôre, sont les véritables caûses de l’état où est notre ortographe. Ce sont des Savans, qui l’ont dirigée; il aurait été à souhaiter que ce fussent des gens de goût sans érudition. Ils n’auraient pas transporté dans une Langue, où beaucoup de lettres ne se prononcent pas, l’ortographe d’une Langue (la Latine) où toutes les lettres se prononcent.

On objecte l’Usage, et c’est la réponse décisive à toutes les objections qu’on peut faire. Mais l’Usage a si souvent changé: pourquoi ne changerait-il pas encôre? Et quand cet Usage est incertain, déraisonable, inconséquent, incomode; pourquoi aurait-on pour lui un respect aveugle, poussé jusqu’au fanatisme?

Aparté : devrais-je signer ce texte “capitaine bonhomme” ? Mon engagement sur ce terrain n’est-il pas une gageure gageüre (lire gajure) ?

Note du capitaine : ce carnet adoptera d’ailleurs, autant que possible, l’ancienne orthographe pour tous ses billets.

(*) À cet égard, le logiciel Antidote me consterne un peu avec ses avis “phrase longue”. Je pense que ce n’est pas son rôle de faire ce genre de recommandation. Heureusement, Balzac et Proust n’avaient pas Antidote. Faudrait-il conclure que nos cerveaux contemporains anémiés ne sont plus aptes à comprendre des phrases longues ?

Compléments:
- Site officiel de l’orthographe recommandée.
- Jean-François Féraud, Dictionaire critique : Préface de 1787.
- Débat en cours chez Wikipédia.
- Renouvo (Réseau pour la nouvelle orthographe du français). [Renouvo, nouvelle orthographe à venir de renouveau ?].
- Grande Rousse, c’est à trente ans que les réformes sont belles.

1. Le 15 février 2004,
Benoit

Laurent> Est-ce que tu as vraiment lu le texte sur la réforme, notamment le paragraphe “les obligations des usagers” ?

http://www.fltr.ucl.ac.be/FLTR/ROM/ess.html#bilan

Je ne comprends pas bien comment tu peux te sentir “forcé” de faire quelque chose après ça.

2. Le 20 février 2004,
grande rousse

Pour Antidote….il suffit de le personnaliser selon tes besoins. Désactiver l’alerte pour les phrases trop longues ou en ajuster le nombre de mots permis avant que le preux correcteur ne donne dans la mise en garde. Dis-moi, tu as toujours la version MP ou l’inestimable Prisme ? Selon le cas, je te dirai comment amadouer la bête pour qu’elle tolère tes élans de scribe ;)

3. Le 20 février 2004,
Laurent

Non, je n’ai que MP… Pauvre moi.

4. Le 22 février 2004,
grande rousse

Oups ! J’ai failli oublié que j’avais laissé une note ici. Cher Laurent, j’espère que la mémoire ne me fera pas défaut. Si je me rappelle bien, dans MP, c’est sous l’onglet “général” des réglages linguistiques que tu pourras désactiver ou personnaliser l’alerte pour les phrases trop longues.

5. Le 2 septembre 2005,
Mario Périard

Oublion lê demi-mesur é adopton unn vrai norm fonétik, sinpl é présiz.

La révolusion ê déja komansé ! :-)

www.ortograf.net.

Blah ?