“Miscellanées”

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Histoire et avenir du drapeau de Nouvelle-Zélande

Ce petit billet est dédié à maître Eolas qui est, et c’est moins connu, un vexillologiste-héraldiste. Nous y parlerons même de rugby, c’est dire la qualité de l’hommage. (Ce qui permettra au passage de corriger quelques imprécisions dans son billet d’octobre 2007.)

Alors que la France s’enlise dans le débat de l’identité nationale (qui doit répondre à la question existentielle des attributs qui font d’un noir ou d’un arabe un bon Français, si j’ai bien compris l’enjeu), à l’autre bout de la planète, la Nouvelle-Zélande est en plein débat de l’identité graphique nationale, en l’occurrence, rien de moins que son drapeau.

Il convient tout d’abord de rapidement connaître l’histoire de ce drapeau, qui débute de façon assez pittoresque.

En 1820, la Nouvelle-Zélande n’est pas encore un État. Elle fait partiellement et théoriquement partie de la Nouvelle-Galles-du-Sud australienne, selon un texte de 1787 qui adjoint à la colonie nouvellement créée toutes les îles situées à l’Est du continent australien (entre les latitudes 10° 37’ et 43° 39’ Sud).

L’île Sud de l’archipel néo-zélandais dépassant la limite australe de 3 degrés de latitude (soit environ 333 km), il en résulte qu’une grande partie de cette île n’est pas néo-galloise.

En 1825, l’île de Van Diemen (Tasmanie) devenant une colonie indépendante, la limite Sud de l’aire d’influence maritime de la Nouvelle-Galles-du-Sud est ainsi réduite à 39° 12 S, ce qui fait qu’il n’y a plus que la moitié de l’île Nord de la Nouvelle-Zélande qui est sous sa juridiction.

Ainsi, en 1830, quatre cinquièmes de la Nouvelle-Zélande n’ont pas de statut officiel, autre que celui de terres émergées faisant l’objet d’une revendication britannique suite aux voyages de James Cook, bien qu’il y ait déjà des colons européens installés, des aventuriers et des pêcheurs qui justement se plaignent de cette zone de non-droit.

En 1826, trois commerçants de Sydney, Thomas Raine, David Ramsay et Gordon D. Browne, décident d’investir dans le trafic maritime et le commerce de bois avec la Nouvelle-Zélande. Ils établissent le premier chantier naval néo-zélandais à Horeke, au fond de la ria de Hokianga, au nord de l’archipel (dans la petite partie sous juridiction théorique de la Nouvelle-Galles-du-Sud). En 1828, la première unité, une petite goélette de 40 tonneaux Enterprise, sort du chantier et se rend à Sydney où elle obtient son immatriculation, ce qui lui donne le droit d’arborer le “Red Ensign”, utilisé par les navires marchands britanniques. Par mauvaise fortune, elle s’échoue la même année sur les côtes néo-zélandaises.

Red Ensign.

Red Ensign (1801).

Un brigantin de 140 tonneaux New Zealander est également mis en chantier et arrive à Sydney en décembre 1829, mais il y essuie un refus d’immatriculation au registre de la part des autorités locales, soudainement tatillonnes.

La question juridique qui se pose, c’est de savoir si la Nouvelle-Zélande fait oui ou non bien partie de la colonie et de l’Empire, ce qui n’a jamais été bien clairement établi jusqu’alors. Si la Nouvelle-Zélande ne fait pas partie de l’Empire, il n’y a aucune raison que ses navires puissent porter le pavillon britannique et bénéficier de sa protection.

Furieux, Thomas Raine écrit au Secrétaire d’État aux colonies George Murray pour tenter de débloquer ce cauchemar administratif. Il argue pour sa défense qu’il croyait savoir que la Nouvelle-Zélande était une dépendance de la colonie australienne, et que son brigantin a été construit par des sujets de sa très Gracieuse Majesté, que ses matériaux, à l’exception du bois, proviennent tous de la Mère-patrie, et enfin, que ce navire patriotique est destiné au commerce du bois dont la flotte de Sa Majesté d’une Angleterre sans forêt a tant besoin.

Sans réponse de Londres, le chantier continue son activité et fait construire son troisième navire, encore plus grand, un voilier de 392 tonneaux nets, baptisé par opportunisme Sir George Murray dans l’espoir d’obtenir faveur rapide. Le 18 novembre 1830, le navire arrive au terme de son premier voyage dans le port australien, on lui y refuse l’immatriculation et dans la foulée, les douanes le retiennent pour… défaut d’immatriculation obligatoire qui tient lieu de permis de séjour. Comme nous le constatons, les troubles occasionnés à l’entreprise privée par des fonctionnaires bornés ne sont pas une nouveauté.

Il faudra attendre août 1831 pour que le navire obtienne une licence temporaire dans l’attente d’une nouvelle réglementation. Trop long délai pour les armateurs qui auront entre temps, faute de commerce, fait faillite. L’affaire fait grand émoi, autant dans les milieux d’affaires australiens que chez les chefs maoris qui ambitionnaient un développement du commerce local.

Conscientes que cet imbroglio néo-zélandais pose problème au commerce, les autorités britanniques envoient en 1832 un émissaire en Nouvelle-Zélande, James Busby. Celui-ci propose immédiatement qu’un pavillon spécifique soit créé pour les navires de Nouvelle-Zélande, ce qui est accepté par les autorités australiennes et le Secrétariat aux colonies.

Le 20 mars 1834, James Busby, qui a le goût du “participatif”, réunit 25 chefs maoris pour voter parmi différentes propositions de pavillons. C’est ainsi que naît le premier drapeau national de la Nouvelle-Zélande, le drapeau dit des Tribus unies ou “United Tribes Flag”, accepté par le roi Guillaume IV.

United Tribes Flag.

United Tribes Flag (1834).

Avoir un drapeau national était une chose pour le commerce maritime en manque de pavillon, mais faillait-il encore avoir une nation reconnue derrière… Ce qui fut enfin réglé en 1840 par le traité de Waitangi.

Ce traité signa la fin précoce du “United Tribes Ensign” puisque la Nouvelle-Zélande devenant officiellement une colonie britannique de plein droit, elle se devait d’utiliser l’Union Jack comme drapeau national.

Union Flag.

Union Flag (1801). New Zealand Flag (1840-1902).

En 1865, l’Amirauté britannique officialise avec le “Colonial Naval Defence Act” l’existence de navires appartenant à des gouvernements coloniaux et ces navires coloniaux doivent porter le Blue Ensign (réservé aux navires de service public et, à titre honorifique, à tout navire marchand commandé par un officier de la Réserve navale royale), avec un signe distinctif choisi par chaque colonie. Le “Blue Ensign” néo-zélandais est ainsi créé en 1867 :

New Zealand Blue Ensign 1867.

New Zealand Blue Ensign (1867-1869).

Ce qui n’est pas très créatif… Deux ans plus tard, en 1869, on remplace cette horreur par la Croix du Sud :

New Zealand Blue Ensign 1869.

New Zealand Blue Ensign (1869-1902).

Ainsi, jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’Union Jack est le drapeau national et le “New Zealand Blue Ensign” flotte à la poupe des bateaux du gouvernement néo-zélandais. Le second étant plus distinctif que le premier, il devient populaire même à terre.

En 1899, les autorités britanniques ont décidé que les signes coloniaux sur les “Blue Ensigns” doivent figurer dans un cercle blanc, probablement pour une meilleure lisibilité en mer. Le “Blue Ensign” néo-zélandais devait être ainsi transformé :

New Zealand Signalling Flag 1899.

New Zealand Blue Ensign (1899).

Au parlement néo-zélandais, on s’insurge, “Qu’est-ce que c’est que cette capsule de cognac Hennesy ?”. Le Premier ministre explique qu’il est obligé de se soumettre au décret impérial et qu’il n’y peut rien. Toutes les autres colonies doivent s’y plier aussi.

En ces temps de guerres et de patriotisme, surgit alors la question d’avoir un vrai drapeau national, plus distinctif que l’Union Jack, ce qui éviterait l’usage croissant à terre d’un pavillon normalement réservé au domaine maritime, d’autant plus si ce pavillon est transformé en publicité cachée pour du cognac.

Après nombreux débats à Wellington, lutte avec le Gouverneur, obstacle de l’Amirauté qui ne veut pas voir un “Blue Ensign” flotter à la poupe de navires marchands, et finalement approbation du roi Édouard VII, il est décidé en 1902 que l’ancien “Blue Ensign”, si apprécié à terre, deviendrait le drapeau national :

New Zealand Flag.

New Zealand Flag (1902).

En mer, les navires marchands ne peuvent pas adopter le nouveau drapeau national en guise de pavillon puisque l’Amirauté britannique s’y oppose pour cause de confusion avec l’honorifique “Blue Ensign”. Il est donc créé un “New Zealand Red Ensign” à l’image du “Red Ensign” britannique.

Civil Ensign of New Zealand.

Civil Ensign of New Zealand (1902).

Pour les navires du gouvernement, la “version Hennessy” du “Blue Ensign” passe aux oubliettes et on garde l’ancien pavillon devenu drapeau national.

La paix des drapeaux va enfin régner en Nouvelle-Zélande tout au long du XXe siècle.

On notera seulement l’abandon du “White Ensign” en 1968 par la Royal New Zealand Navy, au profit d’un nouveau “Ensign of the Royal New Zealand Navy” :

Ensign of the Royal New Zealand Navy.

White Ensign of the Royal New Zealand Navy (1968).

Mais à la fin du XXe siècle, la question du drapeau national néo-zélandais allait revenir dans les débats.

En 1979, le ministre Allan Highet lance l’idée d’un nouveau drapeau national, clairement identifiable à travers le monde, à l’image de celui du Canada avec sa feuille d’érable. Sans succès.

Une décennie plus tard, l’idée a fait un peu de chemin et le Premier ministre Jenny Shipley relance le débat. Un consensus se dégage autour d’une feuille de fougère Cyathea dealbata qui n’est pas étrangère aux amateurs de rugby :

Silver fern flag.

Silver fern flag.

C’est très beau, mais il y en a plus d’un pour penser au “Jolly Roger” :

Jolly Roger.

Jolly Roger (circa 1700).

Malgré son côté “pirate”, et grâce aux “All Blacks”, ce drapeau gagne une certaine popularité et il n’est pas rare de le voir dans les rues.

Une alternative assez populaire a été créée par Kyle Lockwood. Elle a gagné un concours organisé en 2004 :

2010-nz-flag-13.png

En 2005, une association est créée, NZFlag.com Trust, afin d’obtenir un référendum sur le sujet. Pour cela, elle doit produire une pétition signée d’au moins 10 % des électeurs. Elle promeut une version plus épurée :

NZFlag.com Trust.

Il y a bien sûr une opposition à un tel projet, représentée par le “New Zealand Flag Institute”, qui a un magnifique site web. Les principaux arguments sont les combattants qui sont morts pour l’actuel drapeau et l’attachement pour l’histoire au sein de l’Empire britannique. Mais des anciens combattants soutiennent qu’il est temps d’évoluer et de devenir une nation indépendante.

Le quotidien The New Zealand Herald entretient le débat : “Silver Fern design preferred choice for new NZ flag”. Un récent sondage révèle qu’une majorité de 52 % serait dorénavant pour le changement et que la proposition “feuille de fougère” l’emporterait loin devant les autres alternatives, comme le Koru :

Koru Flag.

Koru Flag (1983).

Les jours du “New Zealand Blue Ensign” semblent désormais comptés. En Australie, qui a un drapeau très proche, on se pose les mêmes questions.

1. Le 16 février 2010,
Off Topic

Une lecture sympa avant de dormir, merci pour cette histoire de drapeaux!

2. Le 17 février 2010,
padawan

Dans la série le monde est petit, je suis passé ce matin devant les bureaux des services néo-zélandais de l’immigration à Wellington (qui dépendent du ministère du travail, notez la différence avec la France). Leur logo est une variation très jolie de la fougère, on peut le voir sur leur site web.

3. Le 17 février 2010,
Laurent Gloaguen

Mais que fais-tu à Wellington ? Déjà fatigué de la Nouvelle-Calédonie ? Tu veux immigrer en Nouvelle-Zélande ?

4. Le 17 février 2010,
Olivier G.

Le padawan parcoure les rassemblements de vieux Jedis dans l’espoir de progresser, il est à WebStock.

5. Le 17 février 2010,
N. Holzschuch

… et pas un mot sur le débat du drapeau qui déchirra les canadiens il n’y a pas si longtemps ?

6. Le 17 février 2010,
Bob

La version de Kyle Lockwood est pas mal, mais il manque un rappel à la couleur noire, en remplaçant le rouge par exemple.

@padawan: toi qui est dans la région, saurais-tu par hasard s’il est difficile d’émigrer en NZ ?

7. Le 18 février 2010,
padawan

Dénoncé par Olivier, je suis effectivement à Webstock, un petit bijou de conférence web à l’autre bout du monde (par rapport à l’autre petit bijou qu’est Paris Web bien sûr). Puis quelques jours de vacances à Auckland. Après tout, c’est l’une des quelques villes à côté de Nouméa.

@Bob : je ne sais pas. L’an dernier j’ai discuté avec une française qui est venue avec son copain et ils n’ont eu aucun problème dès qu’ils ont dit qu’ils étaient informaticiens (apparemment ça manque ici). Mais cette année les traces de la crise sont très visibles, les magasins sont vides alors que ce sont les soldes, et beaucoup sont fermés. Donc je ne suis pas sûr que ce soit le bon moment.

8. Le 18 février 2010,
xave

@Bob : On m’avait expliqué sur place que c’était plutôt facile pour peu que tu aies des compétences technologiques, en tous cas le genre de boulot qui est normalement payé correctement, parce qu’il y a une énorme fuite des cerveaux vers l’Australie (la NZ, c’est juste le plus beau pays du monde, mais c’est pas l’endroit idéal pour devenir riche.)

9. Le 26 février 2010,
Bob

Merci à vous deux.

Blah ?