“Miscellanées”

etude du blogue

Quand blogue rime avec drogue

Accro au blogue, blogodépendance, blogolisme, blogage compulsif, “blogaddict”, blogo-assuétude, ces mots reviennent souvent pour qualifier une passion pour le blogue, parfois jugée excessive. Nous en parlons comme d’une drogue qui provoquerait un manque lorsqu’on en est privé, une substance dont on ne peut plus se passer lorsque l’on a basculé au statut d’”accro”. Alors, alcool, tabac, blogue, même combat ? Est-ce là une nouvelle pathologie qui devrait inquiéter les psychologues ?

Quel blogueur sérieux, sans conjoint ou enfant, peut-il se flatter de n’avoir jamais sacrifié une journée ensoleillée, invitant à la promenade ou à des activités avec des amis, au profit d’un blogage compulsif ? Pour s’adonner à la lecture des blogues constituant sa blogosphère ? À l’écriture pour son propre blogue ? N’avez-vous jamais ressenti l’urgence à publier sur un événement, à réagir dans l’instant ? N’avez-vous jamais maudit un fournisseur d’accès qui, victime d’une panne, vous interdisait de vous livrer à votre petit plaisir coupable ?

Récemment, le sujet refait surface dans la blogosphère. Loïc Le Meur, nouveau “dealer” très actif sur le marché du blogue, s’interroge lui aussi sur son propre degré de dépendance et celui de ses lecteurs :

I have managed to keep some control over it, even though my kids and my wife often get upset when I blog too much. It is actually quite sad to go blogging rather than spending time with your kids, I realize it and I try to control that. How do you feel ? Addicted, too ?
[Loïc Le Meur, Are you addicted to blogging ?]

À son tour, Delphine rebondit sur le sujet :

Blogger avec assiduité serait, d’après ces différents articles, comparable à un travail. Non, parce que c’est une activité motivée par le plaisir. Et changer cette motivation sous-jacente lui enlève sa saveur.
[L’oeil de Mouche, Blogger comme un travail… addictif.]

Car, oui, il y a du plaisir à bloguer. Et c’est bien ce qui l’apparente aux drogues. Ou, pourquoi pas, à l’onanisme ou tout autre source de plaisir intense. Si ce n’est que, contrairement à la masturbation, le blogage n’est pas un plaisir solitaire.

Anyway, my addiction has brought me so many great friends and so many great experiences.
[Robert Scoble, Blogging, the addiction.]

En effet, le blogue, contrairement aux drogues, ne nuit pas à votre santé, et ce n’est pas une activité solitaire et asociale. Bien au contraire, regardez ma blogoliste, j’ai mis un astérisque pour chaque blogueur que j’ai rencontré physiquement, dans la vraie vie, pour chaque homme ou femme, de tous horizons et conditions, avec qui, grâce à ce formidable outil, j’ai échangé, partagé.

Finalement, bloguer, c’est prendre et donner. C’est avant tout une économie d’échange. C’est une activité sociale. Et certes, que cette activité est prenante !

Pour certains, bloguer ne s’arrête jamais. Traduction d’un article du New York Times.

[For Some, the Blogging Never Stops, par Katie Hafner, New York Times. 27 mai 2004. Rapide et mauvaise traduction par mes soins.]

Pour fêter leurs 4 ans de mariage, Richard Wiggins et son épouse, Judy Matthews, ont récemment passé une semaine à Key West en Floride. Tôt le matin de leur anniversaire, Mme Matthews entendit son mari se lever et aller à la salle de bains. Il y resta longtemps. “Je n’entendais pas l’eau couler, je me suis donc demandé ce qui se passait”, raconte Mme Matthews. Lorsqu’elle frappa à la porte, elle le trouva assis avec son ordinateur portable en équilibre sur les genoux, il écrivait sur son blogue, une accumulation de pensées sur le monde des technologies, grâce à une liaison WiFi.

Bloguer est un passe-temps pour beaucoup, et bien plus rarement un gagne-pain. Pour certains, cela devient une véritable obsession. De tels blogueurs se sentent souvent obligés d’écrire plusieurs fois par jour et ils se sentent angoissés s’ils manquent à cette obligation. Plus ils passent du temps collés à leur ordinateur, plus ils négligent famille, amis et travail. Ils bloguent à la maison, au bureau et même en déplacement. Ils bloguent au su et au vu de tous, ou parfois plus discrètement, comme M. Wiggins, afin de ne pas attirer l’attention sur leur petite habitude. “On dirait que son ordinateur portable est collé sur ses jambes 24 heures sur 24, et 7 jours sur 7”, dit de son mari Mme Matthews.

Le nombre de blogueurs a augmenté rapidement, grâce à des sites comme blogger.com, qui rendent facile la création d’un blogue. Technorati, un détecteur de blogues, en a compté près de 2 millions et demi. Bien sûr, la plupart de ces millions sont abandonnés ou, au mieux, rarement mis à jour. Pour beaucoup de blogueurs, l’effet de nouveauté n’a qu’un temps et la persévérance vient à disparaître. Parfois, aussi, la prise de conscience de l’absence de lecteurs entre en ligne de compte. Si certains blogues ont des milliers de lecteurs, rares sont ceux pour écrire beaucoup sans audience. Jupiter Research estime que seulement 4 % des internautes lisent des blogues.

Bien sûr, si un blogue est apparenté à une conversation entre un auteur et des lecteurs, des blogueurs comme M. Wiggins ne conversent principalement qu’avec eux-mêmes. M. Wiggins, 48 ans, un spécialiste de l’information à l’Université d’État du Michigan, ne sait pas combien il a de lecteurs ; il imagine qu’il n’en a pas beaucoup. Mais cela ne semble pas le pertuber. “Je dis juste ce que j’ai en moi” dit-il. Il n’est pas non plus dissuadé du fait qu’il s’échine des heures sur son blogue sans y gagner de l’argent. Sa satisfaction est ailleurs. “Il y a parfois un aspect je-vous-l’avais-bien-dit”, explique-t-il. Ses récentes méditations publiées sur son blogue portaient sur G-Mail, le nouveau service de courrier de Google. M. Wiggins est fier de signaler qu’il a très tôt mis en lumière les problèmes de protection de la vie privée avec G-Mail.

Peut-être qu’une audience modeste, mais régulière, est une bénédiction. Puisqu’il semble que plus un blogue devient populaire, plus certains blogueurs ressentent le besoin de publier.

Tony Pierce a commencé son blogue il y a 3 ans, alors qu’il était à la recherche de délassement après avoir rompu avec son amie. “En trois ans, je crois que je n’ai pas raté un jour”, dit-il. Maintenant le blogue de Tony Pierce, un journal informel d’Hollywood dans lequel se mélange parfois vérité et fiction, atteint la moyenne de 1000 visiteurs par jour. Quand certains blogueurs assidus sont selon eux-mêmes rien moins que des vrais passionnés, M. Pierce est plus réaliste. “Je ne dirais pas que j’y suis consacré corps et âme, mais que c’est un problème”, dit-il, “Si c’était de la bière, je serais alcoolique”. M. Pierce, qui vit à Hollywood et travaille comme agent de planification dans l’industrie du divertissement, dit qu’il a ressenti le fait de bloguer comme une dépendance lorsqu’il a noté qu’il aurait préféré être en compagnie de son ordinateur plutôt qu’avec son amie — pour des raisons pratiques. “Elle avait un iMac, et je n’aimais pas son ordinateur” raconte M. Pierce. Quand il était à la maison de sa copine, il se sentait “gavé”. “Nous avons eu quelques disputes parce que je voulais rentrer à la maison pour écrire mes trucs”. Il décrit l’ébullition ressentie sous l’effet de “sa dose”, comme il dit, apportée par son blogue. “Le plaisir est double” explique-t-il. “Vous pouvez avoir une satisfaction immédiate, vous allez avoir un retour comme quoi si c’est bon ou mauvais. Et quand je sens que j’ai écris quelque chose de bien, c’est agréable d’y revenir et de le lire.” Et il ajoute “Comme la plupart des dépendances, ces sensations s’en vont vite. Alors il faut recommencer, encore et encore.”

Joseph Lorenzo Hall, 26 ans, un étudiant en management de l’information, à l’Université de Californie à Berkeley, a étudié les blogueurs, et il dit que pour certains, l’activité du blogue a supplanté le courriel comme moyen de musarder au travail. Des gens, comme M. Pierce, qui passe beaucoup de son temps libre à l’entretien de son blogue et à écrire sur d’autres, le font avec intensité, car cela les fait se sentir comme productifs, même si ce n’est pas un emploi rémunéré. La procrastination, dit Scott Lederer, 31 ans, un collègue étudiant de M. Hall, tient d’un sentiment collectif. “Vous vous sentez comme participant à quelque chose d’important, puisque nous le faisons tous ensemble”.

Jeff Jarvis, président de Advance.net, une société qui crée des site Web pour des quotidiens et des magazines, et un blogueur enthousiaste, défend ce qu’il a appelé “la nécessité du blogue”. “La dépendance n’est pas tant une affaire de narcissisme exacerbé”, explique M. Jarvis. “C’est que vous êtes impliqués dans une conversation. Vous êtes en relation avec des gens grâce au blogue.”

Des blogueurs compulsifs prennent leurs obligations à l’extrême, bloguant aux dépens de tâches plus enrichissantes d’un point de vue financier. M. Wiggins a raté plus d’une date de remise d’article au Searcher, un périodique en ligne pour lequel il est un auteur rémunéré. Barbara Quint, la rédactrice en chef de ce magazine, dit qu’elle a tout fait pour qu’il remette ses articles à l’heure. Puis, elle a découvert que M. Wiggins publiait fiévreusement des billets sur son blogue au lieu d’envoyer les papiers qu’il avait promis. “Il travaille toute la nuit sur une chose lue par 5 cousins et un chien, et je devrais le payer.” dit-elle. Si Mme Quint fait quelques efforts de compréhension, elle a du mal a éprouver de la sympathie : “L’illusion d’immortalité du Web est parfois plus attirante que l’argent sonnant et trébuchant”.

Jocelyn Wang, 27 ans et “marketing manager” à Los Angeles, a commencé son blogue il y a 18 mois, comme un remède à l’ennui, blogue où elle chronique tout ce qui lui passe par la tête. Actuellement, elle passe au moins 4 heures à écrire sur son blogue et à en lire d’autres. Le journal de Mlle Wang est maintenant sa vie. Et les gens qu’elle a rencontrés avec son blogue sont devenus ses principaux amis. “Il n’y a pas de vraie séparation dans ma vie,” dit-elle. Comme M. Wiggins, Mlle Wang blogue aussi en vacances.

Bloguer pour une cause peut prendre un caractère particulier d’urgence. Richard Khoe, un consultant politique à Washington qui apporte son aide, dans son temps libre, à un groupe pro-John Kerry appelé Run Against Bush. Il publie continuellement sur le blogue intégré au site du mouvement. Il blogue tard dans la nuit, tout en sachant que le site n’attire encore que peu de visiteurs. “Parfois, vous devenez particulièrement méticuleux avec le genre de liens que vous cherchez, alors vous cherchez un peu plus, et après, vous voulez voir ce que les autres pensent à propos du lien que vous avez choisi. Et sans vous en rendre compte, pas mal de temps a passé”.

D’autres pensent qu’ils sont distraits jusqu’à la négligence. Tom Lewis, 35 ans, un chef de projets dans une entreprise de logiciel du Massachusetts, qui a un photoblogue, arrive parfois en retard, ou encore, remet à plus tard du travail au bénéfice de son blogue.

M. Jarvis qualifie le mode de vie des blogueurs comme une routine plus qu’une obsession. “C’est une habitude,” dit-il. “Ce que vous faites vraiment est de parler aux gens de choses qui peuvent les intéresser. Quand cela devient une partie de votre vie, alors vous commencer à penser blogue, ça devient une partie de vous-même”.

La recherche constante d’instants à bloguer a mené Gregor J. Rothfuss, un programmeur de 27 ans à Zurich, à bloguer au point d’atteindre un presque désespoir. Lassé par son travail, M. Rothfuss a commencé un blogue centré sur des sujets techniques. “J’essayais d’enregistrer toutes mes pensées et mes hypothèses que je considérais comme intéressantes”, dit-il. “La création d’une sorte d’alter-ego numérique. L’obsession est venue en tentant de capturer, autant qu’il est possible, le maximum de choses valables qu’il y a dans ma tête, et ce, avec la meilleure fidélité possible.” M. Rothfuss dit que, pendant des mois, il bloguait au travail, à la maison, tard dans la nuit, jour après jour, jusqu’à ce que tout devienne confus — tout en sachant, ajoute-t-il, “que personne ne le lisait forcément”. Quand sa fréquentation a commencé à décoler, il arriva à y dédier une demi-journée par jour, et encore plus le week-end. M. Rothfuss raconte qu’il a peu de souvenirs de sa vie hors du blogage compulsif. Il fut sauvé de la routine de son journal en ligne par un voyage en Asie. Son blogue est devenu plus un carnet de voyage. Puis il a changé pour un travail plus intéressant, et depuis, son activité de blogueur est devenue plus modérée. Il ne publie plus que deux fois par semaine, au lieu de deux fois par heure. Il se sent en meilleure forme. “C’est maintenant juste une activité parmi d’autres, ce n’est plus ma seule activité”, dit-il.

Souffrant d’un syndrome similaire de “blogofatigue”, Bill Barol, un rédacteur indépendant à Santa Monica, Californie, a simplement arrêté tout après quatre années de blogage pratiquement permanent. “Cela devenait comme si je travaillais, et ça n’avait jamais été prévu d’être un boulot”, nous dit M. Barol. “C’était supposé être tout le contraire d’un travail”. Même avec ses 200 visiteurs quotidiens, il n’a plus jamais publié sur son blogue depuis qu’il est revenu d’un voyage d’un mois. Cependant, il n’exclut pas un retour au blogue un jour. “Il y a ce truc séduisant qui arrive, cette sorte d’effet boule de neige, où les moments accumulés de plusieurs années de publication deviennent vraiment attachants. Et ne plus publier, c’est comme, je ne sais pas, un genre de paresse.”

1. Le 4 juin 2004,
Matoo

Je suis accroc c’est clair… reste à savoir comment on s’en sort ! :-)

2. Le 4 juin 2004,
Lunar

Le moment où j’ai vraiment eu peur, c’est pendant l’enterrement de ma grand-mère l’an dernier : je ne vivais pas l’instant, j’étais juste en train de composer mentalement le billet le racontant…

3. Le 4 juin 2004,
Martine

Tous ceux qui ont eu un jour l’envie d’écrire ont connu cet effet de distanciation par rapport aux événements et émotions de leur vie. Ce n’est pas propre aux blogues bien que pour plusieurs, le blogue est la seule forme d’écriture dont ils feront l’expérience. Vit-on moins la vie quand on se la raconte en même temps qu’on la vit?

Je ne crois pas. Se distancier, c’est trouver le narrateur en soi, celui qui voit au-delà de notre petite histoire personnelle, celui qui nous permet d’en tirer un sens, de faire naître un certain ordre à travers le chaos de nos pensées et de notre existence. (Voir à ce sujet l’excellent ouvrage de l’auteure américaine Vivian Gornick intitulé “The Situation and the Story, the art of personal narrative”, publié chez Farrar, Straus and Giroux).

4. Le 4 juin 2004,
K.I.T.T.

Je suis un blogg addicted, c’est grâve?

5. Le 4 juin 2004,
:: jozjozjoz ::

Thank you for the French translation.

I am embarrassed to admit that my years of high school French lessons did not stick.

6. Le 4 juin 2004,
karl

Martine a qui le dis-tu ;)

7. Le 4 juin 2004,
mouche

Blogger nuit à la santé. (et aux yeux aussi)

8. Le 4 juin 2004,
XS

On va vite à confondre addiction et passion. Moi j’ai toujours eu des tas de loisirs qui prennent beaucoup de temps et ensuite, c’est une question d’équilibre en ça et le reste, parce qu’une vie stable ne tient jamais que sur un pied… Et pour le blog, c’est facile : pour bloguer, il faut bien vivre, bouger, penser, rencontrer, ressentir… Bref, l’équilibre se fait tout seul, parce qu’on n’a rien à écrire si le blog prend d’un coup “trop” de place. Personne n’a jamais sous-entendu que la musique ou le dessin soient des drogues, pourtant certains peuvent y consacrer leur vie (et seraient très malheureux si on les empêchaient). Moi j’ai toujours été passionné de jeux (activités déjà moins socialement appréciées) et ça me fait un peu bondir quand j’ai lu des articles sur les “addictions” aux MMORPG. Alors des blog-addictions? Est-ce qu’Hugo ou Zola étaient accrocs à l’écriture? Est-ce que c’est seulement un problème?

Blah ?