“Miscellanées”

québec

Québécois, du cheddar au fromage qui pue

Je viens de lire un article d’Alain Gerbier, En avoir ou pas ?, paru dans le hors-série n° 124 de la Collection Monde (Éditions Autrement) “Québec, espace et sentiment”, en février 2001. L’auteur s’y interroge principalement sur l’importance du consensus et du “politiquement correct” au Québec.

Alain Gerbier, Français insoumis aux obligations militaires de son pays, trouve refuge au Québec en 1970 où il devient journaliste et enseignant à l’UQAM. Il est, entre autres, correspondant à Montréal du quotidien Libération, et s’est illustré dans la défense des journalistes indépendants.

Voici quelques citations choisies qui donnent le ton général de l’article, sans toutefois vouloir le résumer :

Nul besoin d’être sociologue pour relever qu’il est fort mal vu de discuter avec flamme, d’élever la voix, de prendre le contre-pied, de dénigrer ou pire — manifestation inacceptable du “péché d’orgueil” ? — de s’obstiner en milieu québécois.

Il y a à peine quatre décennies, les prêtres montaient en chaire pour rappeler à leurs ouailles, à la veille d’élections, que “si le ciel est bleu (couleur des conservateurs), l’enfer est rouge (couleur des libéraux)”. Depuis, la messe a perdu son latin, et l’électeur ses repères puisque à Québec, au début de l’an 2000, le Premier ministre et chef du Parti québécois (réputé social-démocrate), Lucien Bouchard, est un ancien ministre… conservateur, tout comme l’est son opposant, Jean Charest, désormais chef… du Parti libéral !

Une hagiographie laïque s’est substituée au top ten des héros religieux, mais rien n’a gommé le culte rassembleur, cathartique, des martyrs, des victimes, des petits, des humbles, de ceux qui réussissent parfois — mais toujours timidement — à vaincre l’adversité. Inéluctablement, ce qui est faible, vulnérable mais susceptible de progresser suscite empathie, compassion et encouragements. (…) On comprendra dès lors le rejet de personnages jugés arrogants ou “trop savants” comme l’ancien Premier ministre fédéral Pierre Elliott Trudeau, à l’intelligence “diabolique”, est ces “criss de maudits Français” (façon québécoise d’évoquer l’impérialisme bavard et “baveux”) qui débondent des charters. (…) Tutoyer son interlocuteur, comme cela se fait spontanément et sans vergogne au Québec, c’est établir la parité, imposer implicitement une forme de solidarité. être entouré de gens simples rassure sur sa propre condition et autorise — en atténuant un chronique complexe d’infériorité — la prise de parole, le dialogue, le consensus venant, en fin de démarche, confirmer que l’on n’est pas seul. “T’es capable !”, “Donne ton 150 % !” font partie de ces formules incantatoires, magiques, et de ces rengaines qui soudent les Québécois.

De cette communauté frileuse, qui rêve plus volontiers d’un petit matin que d’un grand soir, on dira qu’elle est “tricotée serrée”. On valorisera également volontiers l’absence (discutable) de métissage en parlant de Québécois pure laine et on verra même dans la protection de Saint-Jean Baptiste avec son mouton sur les talons la justification d’une tendance au “panurgisme”.

L’expression la plus visible du conservatisme consiste peut-être dans l’impossibilité d’afficher une opinion qui ne soit pas consensuelle.

La vérification de la cohésion du groupe par l’exercice du consensus n’est pas sans rappeler l’attitude instinctive des umingmaks, les boeufs musqués de l’Artique, qui se serrent pour lutter contre le blizzard. Cette tendance des Québécois à se mettre en “motton”, en “tas”, est bien évidemment assortie de son corollaire : n’entre pas dans la famille qui veut.

Si l’on met de côté les inévitables généralisations propres à cet exercice, celui de parler d’un peuple comme d’un tout aux traits propres et distincts, cet article vise plutôt juste, même si plus d’un Québécois pourrait être heurté par la forme (qui n’est pas consensuelle pantoute). Cependant, à lire la presse, regarder la télé et écouter la radio, à fréquenter des réalités québécoises actuelles, à humer l’air du temps, j’ai le sentiment que ça change, certes “tranquillement pas vite”, mais sûrement et profondément. Comme s’il s’affirmait une certaine maturité de l’identité québécoise, plus sereine, bien plus sûr d’elle — au point d’écarter les questionnements — notamment chez les plus jeunes.

Et, (je m’avance beaucoup), comme si la “globalisation”, et les combats associés à l’échelle de la planète, portaient au sein même du Québec de nouvelles façons d’envisager les questions d’identité et la construction de la société, et que les nouveaux médias globaux comme Internet poursuivaient à grands pas la tâche d’ouverture au monde (et à la modernité) entamée lors de l’Expo 67. [Cela n’est n’y clair, ni bien étayé, juste la retranscription maladroite d’un sentiment diffus (à creuser)].

Peut-on penser des Québécois, qu’à l’image de leurs fromages, passés du fade cheddar Petit Québec (notez le qualificatif) aux pâtes persillées et autres croûtes lavées au lait cru, qu’ils ont de plus en plus de caractère, de force et de diversité ? Et à voir la multiplication de leurs fromages, qu’ils se franciseraient un peu ? ;-)

1. Le 31 mai 2004,
Guy

Tu as raison, le Québec change, et le miracle tient peut-être qu’il a changé si vite, depuis 1960. Le nouveau “terroir” est une véritable manifestation d’une prise en charge, je crois. On verra ce que cela donnera, dans le temps comme dans le temps. En espérant que ça ne devienne pas trop BCBG.

2. Le 31 mai 2004,
Laurent

Ah, oui, le passage de la culture ouvrière à la “gentrification”… ;-)

3. Le 31 mai 2004,
Guy

Quel horrible mot que celui-là! J’ai quitté le Plateau sans regretter ce côté outremontais qui commence à envahir toute cette région…

4. Le 1 juin 2004,
Martine

Même le Oka n’est plus fabriqué par les moines. C’est dire comme on progresse…

5. Le 1 juin 2004,
neige

Faudrait pas pour autant dévaloriser le cheddar, il y en a pas deux identiques parmi les centaines offerts, je pense entre autres à celui de l’Ile-aux-Grues, âgé de 6 ans, fait du lait des vaches qui pâturent sur les prairies salées de l’Ile-aux-Oies, sa voisine, ou même le fromage en crottes frais du matin, le SMA, le Beaupré, le Kingslay, le Deux-Montagnes, chacun faisant kwick-kwick à sa manière entre nos dents. - Je te dirai que ce sont des traditions perdues qui reviennent, une identité retrouvée, et non pas nécessairement une nouvelle. Pour beaucoup, ces fromages à pâte molle, les cidres fins et plusieurs des plats préparés sont des artefacts retrouvés. À l’Ile d’Orléans, on a retracé une vieille souche bactérienne qui existait au début de la colonie et on en tire maintenant le même fromage qu’à l’époque. - Le Québec est brossé au peigne fin, on reluque son ADN (projet BIG), ses sacres, sa natalité sous toutes les coutures, sa langue, ses nids de poules, ses patentes (celles faites par des patenteux), ses ancêtres (par les mormons), ses églises. On fait des analyses comparatives pour découvrir comment il se distingue de la France, des anglais, du reste du Canada et des Américains. On n’arrête pas de chercher à comprendre à travers multiples statistiques. Et c’est facile, la population est petite (en quantité), concentrée à Montréal et facilement atteignable (internet, télévision francophone à 80%, la radio à 95%). Il suffit de peu d’échantillons, 500 à peine et c’est ’statistiquement valable’- Mais voilà, cela donne un portrait purement “mourriallais”. Les immigrants se ramassent tous en paquet à Montréal alors que les opportunités sont plus grandes en région, comme si Montréal était rassurante par sa banalisation ou sa diversité, pour y créer ou y retrouver de petits microcosmes d’appartenance, un fromage qui pue, ses épices, un peu plus de chaleur, celle du climat, pas nécessairement l’humaine, et moins de neige, mais pour s’accommoder de la slush brune salée qui tache les bottes et vêtements.

Avec tout ça, aucun doute que le Québec est distinct, en tout cas il l’est sur papier, difficile de faire autrement quant on a tant de points de comparaisons et de motivations à faire plus pour se démarquer. Et il change comme tu dis, par la force des choses, et beaucoup plus rapidement que la France, souvent enlisés dans des débats sans fin animés par de fins causeurs qui citent les Molière, Lamartine et autres… (les chialeux qu’on appelle ici). Déjà je ne m’y reconnais plus chez les plus jeunes, tous animés par l’internet et le désire de faire différent des parents. C’est une très grande force de mouvement qui s’en vient contrairement à ce que certains pensent (une force qui cause des pertes, les nombreux suicides).

PS. Moi je n’aime pas le fromage de lait cru à pâte molle - je trouve que ça sent et goûte indibutablement la vache. J’aime bcp mieux la diversité et la fine odeur des cheddars.

6. Le 29 août 2004,
rerebob

Point de vue bonne chair nous somme des siècles en retard, il y a même pas 5 ans de la bonne bièere c’était de la “budweiser” vivement Unibroue même si sa l’a été racheter par Sleeman (ontarien). Nous trop pres des u-s, je connait des jeunes “très racistes” qui ne respect qu’un seul noir, un rapper qui fait des bruits de chiens. Et comme je le dit souvent, ici c’est l’éloge de l’inculture, les gens se demande encors a quoi sa sert la culture. “Lache pas la patate mon homme” Bois ta biere pis écoute la lutte !!!

7. Le 14 septembre 2005,
serge

Je trouve cetter article d’Alain Gerbier super interessant du point de vue sociologique. Rien qu’un vrai Franchouillard pour pouvoir disecter les meninges,les us et les coutumes de cette maniere.
Plusieurs livres ont ete publies pour expliquer l’ame francaise aux Americains, tel que ” The French, Frends or Foes?” Residant aux Etats Unis, ni Francais ni Quebecois, j’ai eu souvent eu l’envie de faire l’inverse, d’expliquer aux Francais et autres Francophonesl’ame Americaine, leur maniere de voir l’univers. Ayant debarques plus jeune que mois en californie, mon frere c’est rapidement mis dans le bain. Il est du genre “Donne ton 150 % !”et moi du genre: “50% de plus de ce qu’on a pas, vraiment, les maths ne t’ont servi a rien”. Je remarquerai que la langue n’est pas la seul ni la plus importante des armes pour defendre une culture. Les formules Quebecoises qu’Alain Gerbier cite comme “T’es capable !”, “Donne ton 150 % !” sont evidemment des traductions directes de l’Anglais Americain: “You can make it” “Give it your all” ou “Give it your 150%” Il m’est facile donc de deviner qu’au Quebec il doit aussi certainement exister en Francais l’equivalent U.S. de “Reach for the stars”, “Be all that you can be” ou “Make your dreams come true.” Ce sont certainement des mots “positifs”. Des paroles encouragementes, mais aussi des slogans trop souvent abusees truffees de cliches tantot flatteurs et souvent banales. Quand Alain Gerbier dit qu’”il est fort mal vu de discuter avec flamme, d’élever la voix, de prendre le contre-pied,…. de s’obstiner en milieu québécois”, il ne fait que decrire le “Spirit of consesus” tres cher aux voisins Americains. Individuality we are, mais “Follow the leader” et “United We Stand.” De defendre ses opinions ou ses convictions avec flamme est mal vu par les Anglo-Saxon: “Why are you so emotional?” ou “Don’t take it personally!” Le combat feroce que les Quebecois ont menes pour proteger leur culture avec la langue est admirable.
Mais l’assimilation est bien plus pernicieuse que les seules infiltrations linguistiques.
D’abord, elle se declare quand on troque quelques mots, chum… on peut aussi ajouter des molasses dans les haricots a la place de l’ail. Puis on traduis ce que L’Autre a dit, et maintenant on pense comme L’Autre. Un beau jour tu te reveilles, te regarde dans le mirroir et L’Autre….c’est toi, en Francais.

8. Le 24 mars 2007,
Mamamiiia

Je suis québécoise dans la plus pure tradition. Vaccinée, éduquée, lettrée en prime.

Ceux qui s’ouvrent vraiment au monde au Québec font généralement partie d’une certaine élite intellectuelle (ouache, les mots qu’il ne faut pas prononcer!), plus nombreuse et diffuse qu’autrefois il est vrai, mais minoritaire quand même et généralement urbaine. Dans le “450” (que la traître que je suis habite), dans le “418” et dans le “819”, subsistent des relents de l’époque duplessiste, une xénophobie grimpante, une valorisation inquiétante de la famille traditionnelle (un retour des mères à la maison et une certaine diabolisation des mères travailleuses - ou pire, carriéristes) et une antipathie naturelle envers l’éducation, la culture, la philosophie et l’histoire ( “À quoi ça sert?”).

Le paradoxe, c’est que ces gens n’appartiennent pas forcément à une classe sociale spécifique. À une certaine époque, on pouvait parler d’une dichotomie entre la pensée des riches et celle des pauvres, mais ce n’est plus le cas. Le Québécois moyen a fait des études secondaires ou collégiales - a peut-être même un bac - a une “job” (et souvent une très bonne “job”), regarde le Banquier à TVA la semaine et Tout le monde en parle à Radio-Canada le dimanche, il arpente tranquillement le territoire Internet qu’il colonialise peu à peu, il baragouine l’anglais, mais loue des films traduits en français, mange du brie cheap ou un Oka selon son revenu, boit du vin pas-pire, va à Cuba l’hiver, à Wildwood l’été, a deux voitures - l’une étant souvent une minivan - habite une maison en rangée quelque part en banlieue, a deux enfants, bientôt trois, empile une partie de son revenu dans ses REER, a plus ou moins d’épargne, est souvent endetté, et consomme comme si demain n’existait pas. Certes, le Québécois a changé ses habitudes de consommation et a découvert qu’il y avait tout un monde au-delà du fromage Kraft, mais même s’il se régale de fromages raffinés, il demeure souvent - au fond - un amateur de “Cheeze whiz”, peu importe son revenu.

Et dans ce groupe de fiers Québécois se confond une certaine élite intellectuelle qui se plait à nier sa propre existence en se ralliant à la masse. Au Québec, “c’est pas beau” de parler d’élite intellectuelle. D’affirmer qu’on en fait partie est encore aussi honteux que de s’avouer atteint de syphillis. M’enfin, j’exagère peut-être, mais je ne crois pas être à des lieues de la réalité. L’élite se tient tranquille et s’affirme peu. Par contre, c’est par elle qu’entrent chez nous les idées nouvelles, c’est par elle qu’on découvre un brin de gastronomie,qu’on redécouvre nos fromages d’antan, un vin meilleur ou un nouveau coin de pays à visiter. Certes, l’élite intellectuelle du Québec n’est plus celle qui a dominé le Québec au XIXe siècle. Elle est désormais imbriquée dans la masse, confondue par des habitudes de consommation semblables à celles de l’ensemble dominant, elle ne parvient peut-être même plus à se reconnaître tant elle se fond dans le paysage. En fait, elle ne tient peut-être même pas à être reconnue…

Je suis d’accord avec M. Gerbier : tous en coeur, les Québécois valorisent le petit, le vaillant travailleur, le “suiveux” et diabolisent celui ou celle qui a le culot de réfléchir et de contredire. Est-ce un signe de maturité?

9. Le 25 mars 2007,
Mamamiiia

Oups, il fallait lire “il arpente tranquillement le territoire Internet qu’il colonise peu à peu”…

Blah ?