L’école, ma petite entreprise
Les bons d’étude incitent les écoles à mieux répondre aux exigences des consommateurs de services éducatifs, les parents. L’ensemble des recherches sur les effets des bons d’étude montrent qu’il y a consensus à l’effet que les parents qui choisissent l’école de leur enfant sont plus satisfaits et qu’ils ont tendance à s’impliquer d’avantage dans l’éducation de leur enfant.
[ Institut Économique de Montréal ]
Les parents sont envisagés comme des “consommateurs de services éducatifs”. L’école entre de plein pied dans la société de consommation. L’éducation n’est qu’une marchandise comme une autre. Au secours !
Qui peut penser que les parents sont les meilleurs juges du choix de leur école et de leur système éducatif ? Je fais un parallèle avec la télévision : les téléspectateurs ont le choix de regarder ce qu’ils veulent. En France, par exemple, les sondages révèlent une chose étonnante : les Français déclarent aimer Arte (une chaîne culturelle au financement public, qui retransmet des opéras à 20 heures 30, produit des émissions de géo-stratégie, ou encore des entretiens avec des écrivains) et ils disent la regarder régulièrement. Hors, dans les études d’audience qui ne sont pas basées sur le déclaratif, on voit que Arte a une part de marché de 3 à 6 % alors que TF1 (une télévision privée, racoleuse et vulgaire, dont la programmation réside uniquement sur la rentabilité des émissions) caracole environ 28 jours par mois en tête de l’audience toutes chaînes confondues. Imaginez maintenant de laisser le choix aux parents et aux enfants de l’école qu’ils veulent… Je dis “aux parents et aux enfants”, car chacun sait qu’aujourd’hui, l’enfant participe aux choix de consommation de ses parents. Ainsi, on voit maintenant dans les publicités d’automobiles, des enfants prescripteurs. De plus, arrivé aux âges du collège, il faudra vraiment beaucoup d’autorité aux parents pour arriver à imposer une école à leurs enfants.
Et du côté de l’école, combien de paillettes et de strass faudra-t-il pour capter le consommateur de services ? Faudra-t-il créer un département marketing dans l’école pour établir le programme scolaire ? Comment séduire les parents autrement qu’en faisant des études de marché, en analysant les attentes ? Quid des cours optionnels de latin et de grec, qui coûtent chers, et ne rapportent rien ? Autant mettre cet argent sur l’activité hockey… Adieu directeurs d’école humanistes et idéalistes, place aux gestionnaires ! Et on va transformer la cantine en fast-food aux couleurs Mc Donald, les enfants aiment tellement ça qu’ils tanneront leurs parent pour venir dans ma belle école.
Alors une école TF1 ou une école Arte ?
Comment les bons d’étude améliorent-ils la productivité des écoles?
En liant le financement des écoles au nombre d’élèves qu’elles accueillent, les bons d’étude permettent aux parents d’exercer un contrôle efficace sur l’école, tout comme ils le font comme consommateurs avertis dans d’autres domaines. Ils se substituent ainsi aux contrôles hiérarchiques néfastes en faisant pression pour obtenir des services éducatifs au meilleur rapport qualité/prix, ce qui entraînent une diminution du coût des services éducatifs tout en améliorant la performance scolaire des élèves.
[ Institut Économique de Montréal ]
D’où vient cette notion du consommateur averti qui dicte ses lois au marché ? J’ai plutôt le sentiment que le consommateur est souvent le dindon de la farce. Si l’école fonctionne comme le marché de l’alimentation, on se prépare des générations d’analphabètes au même titre que nous avons déjà nos générations d’obèses. L’offre commerciale ne se pare pas des vertus de la morale et de l’éthique. Si vous avez des bas instincts, elle vous offrira l’offre qui convient, soyez en sûrs. Et soyons très clairs, le consommateur est manipulé par les offreurs de biens et services de consommation. Cela s’appelle le marketing et la publicité. Je connais, c’est mon métier… Croire au total libre-arbitre du consommateur, du “consom-acteur”, croire aux vertus de l’individualisme, croire à l’auto-régulation, c’est de la connerie (désolé, je n’ai pas d’autre mot qui me vient à l’esprit).
Les choix pédagogiques ne doivent pas être dictés uniquement par le rapport qualité/prix. La culture n’est pas un commerce, l’école n’est pas un super-marché. Non à la dictature du consommateur. Ne confions pas l’avenir de nos sociétés à ces brutes néo-libérales. Pitié, un peu de bon sens, un peu de lumière. Élevons nous contre cet obscurantisme.
La valeur des bons d’étude serait-elle identique pour tous les élèves?
Non. La valeur des bons d’étude varie en fonction du niveau de l’élève et de ses capacités cognitives.
[ Institut Économique de Montréal ]
Là, je rends les armes. Je vous laisse tout seul analyser les implications concrètes de cette déclaration.
Il faut que je laisse tomber Internet, cela devient fatigant d’avoir un nouveau sujet d’indignation chaque matin. Partir vivre sur une île, loin de ce monde effrayant. Ou mieux encore, vagabonder d’océan en océan, loin de ces hommes qui me désespèrent. Rendre les armes, et savourer le confort de la défaite.
Post-scriptum : Oui, je suis révolté, révulsé, retourné. Oui, il y a peut-être des choses plus intelligentes à dire, des contre-analyses plus fines à proposer. Prenez ce texte comme un cri du coeur, un cri des tripes. Cette prime à l’utilitarisme, à la productivité, au rendement dans un domaine aussi précieux et sensible que l’éducation, dans un domaine aussi fondateur de nos sociétés et de leurs avenirs, m’indigne au plus haut point, me met en colère et la colère n’est pas toujours bonne conseillère. Je ne nie pas que le secteur éducatif traverse une crise, autant en France qu’au Québec, mais je ne vois là que mauvaises réponses à vrais problèmes.
Réponses simplistes, démagogiques, issues d’une idéologie du commerce. Regardez les mots utilisés dans ce texte, dans l’ordre : mécanisme de marché, revenus, fonctionnement optimal, moyens financiers, diminuer les coûts, performance, consommateurs de services, ajustement des dépenses, économiser, augmentation de la productivité, meilleur rapport qualité/prix, déréglementer, financement, biens et services, abaisser le coût des services, épargne, contrôle des coûts, maximiser le retour sur investissement, gérer, valeur, diversifier l’offre, clientèle étudiante, concurrence, critères socio-économiques, etc. Que du vocabulaire économique. Pas un seul mot sur le rôle de l’éducation, cherchez bien, vous n’en trouverez pas.
Ne laissons pas aux économistes l’avenir de notre société.
Blah ? Touitter !