Mes deux séries télévisées préférées du moment sont, comme pour beaucoup de monde, Les Sopranos et Sex & City (ce qui prouve bien, si besoin était, que je suis loin d’être anti-américain).
Scénarios subtils, mise en scène en béton (David Chase), acteurs magistraux (James Gandolfini, Edie Falco, Michael Imperioli, Lorraine Bracco), montage énergique, image maîtrisée et choix musicaux inédits, Les Sopranos ont récolté un immense succès, ce qui prouve que réaliser des programmes de qualité, ce n’est pas forcément proposer du caviar aux cochons. Une telle aventure (comme Six Feet Under) n’aurait été possible sans l’audacieuse politique de production de la chaîne HBO.
Si vous ne connaissez pas encore Les Sopranos, c’est une saga familiale moderne un peu particulière, où l’on suit une famille américaine quasi-typique, si ce n’est les activités professionnelles du chef de famille, officiellement dans l’industrie du recyclage, officieusement patron de la Mafia du New-Jersey. La série s’attache autant aux problèmes que rencontre toute famille qu’aux activités de la Mafia telles qu’elles existent aujourd’hui en Amérique du Nord, où les activités traditionnelles (prostitution, drogue, jeux), trop risquées et en concurrence avec de nouvelles vagues d’immigrants (Latinos et Europe de l’Est), cèdent la place aux cols blancs (manipulations au Nasdaq, trafics dans les télécoms, marchés publics, etc.). Si la Mafia change, la famille subit aussi de plein fouet les révolutions actuelles. Les conflits entre deux ados ingrats et des parents attachés aux valeurs traditionnelles sont une source inépuisable de rebondissements au scénario. Mais le clou de la modernité, c’est bien sûr Tony Soprano, le boss, qui vit des angoisses existentielles, une relation douloureuse avec sa mère (la mama italienne castratrice), et qui consulte en catimini une psychanalyste. On suit toute une galerie de personnages, plus vrais que nature, attachants malgré leurs actes parfois d’une violence extrême. Il n’y a pas de jugement moral, juste un regard sur cette société en mutation, qui en s’attachant à une micro-société (la communauté italienne du New-jersey) a une portée universelle et sait toucher des spectateurs dans le monde entier.
Mais pourquoi donc je vous parle de la famille Soprano ce matin ? Ah oui, c’est suite à ma lecture de La Presse de ce matin où l’on peut trouver ceci :
Michael Strizzi, président d’OMG Québec — une firme qui a des contrats avec la Ville de Montréal pour installer des poubelles publicitaires sur les trottoirs — a déclaré, hier, être un ami de longue date du chef de la mafia canadienne, Vito Rizzuto. C’est pourquoi il lui prête depuis environ deux ans une jeep de la maison mère de l’Ontario.
(…)
Pourquoi prêter le véhicule d’une compagnie au chef de la mafia? a demandé La Presse . “Chef de la mafia… ce qu’il fait pour gagner sa vie ne me regarde pas. La communauté italienne est une très petite communauté.”
(…)
Au moment de l’appel de La Presse, en milieu d’après-midi, il [Salvatore Oliveti , grand patron d’OMG] disait chercher désespérément à joindre Michael Strizzi pour obtenir des explications. Il se disait aussi incapable d’entrer en contact avec Claude Marrié, directeur principal d’OMG Québec. “Je l’appelle à toutes les cinq minutes, mais je suis incapable d’entrer en contact avec lui”, a-t-il dit. Pourtant, La Presse n’a eu aucun problème à joindre M. Strizzi à son téléphone cellulaire.
(…)
“J’ai été estomaquée en lisant La Presse ce matin”, a dit Johanne Reverin, porte-parole de Recyc-Québec, organisme gouvernemental qui subventionne les firmes qui font du recyclage.
[ La Presse ]
Alors bien sûr, à lire les mots Mafia, communauté italienne, industrie du recyclage, contrats publics, comment ne pas faire le lien immédiat avec la famille du New-Jersey ?… J’ai eu un moment l’impression de lire la trame d’un épisode des Sopranos qui n’aurait pas encore été tourné. La réalité rentre en collision avec la fiction.
Tous les représentants de la communauté italienne, ou presque, illustrés dans Les Sopranos, ont les mêmes édifiantes pensées que M. Strizzi “Chef de la mafia… ce qu’il fait pour gagner sa vie ne me regarde pas. La communauté italienne est une très petite communauté.” La limite entre complicité active et passive est très fine et perméable, et cette connivence indulgente et silencieuse fait le terreau où s’enracine la Cosa Nostra…
La Mafia, tant au Québec qu’au New Jersey, a encore de longs jours devant elle, tant elle sait affronter les défis de la modernité tout en préservant sa culture. La Mafia est une entreprise mondialisée avant la lettre, elle a tout compris, elle sait avoir toujours une longueur d’avance sans pour autant jeter à la poubelle son histoire et ses traditions. La Mafia, un modèle de développement ? ;-)
J-1. Mon lapin rentre de Montréal demain matin. Adieu ma petite vie de célibataire !
Pour fêter l’événement, je vais lui préparer une brandade de morue à ma façon.
Recette de la brandade de morue à la façon Laurent :
Ingrédients : morue salée, ail, huile d’olive, poivre, pommes de terre à purée, lait, gruyère râpé, beurre. Prévoir environ 2/5e de morue pour 3/5e de patates.
- Faire dessaler la morue dès la veille (la mettre à tremper dans de l’eau, si elle est très salée, renouveler l’eau plusieurs fois).
- Faire cuire les pommes de terre pelées dans de l’eau.
- Faire pocher la morue dans de l’eau bouillante quelques minutes. Égoutter.
- Dans une casserole, faire chauffer (feu doux) la morue avec de l’huile d’olive (soyez généreux !) et deux ou trois gousses d’ail bien écrasées. Travailler le mélange à la fourchette pour bien émietter la morue. Poivrer. Réserver.
- Écraser les pommes de terres bien cuites avec un peu de lait chaud (juste un peu, la purée doit être bien épaisse).
- Ajouter la brandade de morue à la purée. Mélanger. Mettre dans un plat à gratin. Recouvrir de gruyère et de quelques noisettes de beurre. Passer au four très chaud 10-15 mn pour bien gratiner.
Déguster ce plat tout simple avec, par exemple, un bordeaux blanc sec.
Brandon Vedas était un jeune homme nord-américain ordinaire, élevé à coups de Ritalin et autres psychotropes, de Coke et de Big-Mac. Il avait 21 ans, pas encore un adulte, plus tout à fait un adolescent, c’était un “adulescent”. Il vivait encore chez ses parents, à Phoenix en Arizona. Il travaillait comme assistant en informatique à l’université.
Brandon Vedas est mort le 12 janvier dernier, vers trois heures du matin. Ses dernières paroles furent confiées à 3 h 04 sur un canal IRC : “I’m fukcin” (sic).
Car Brandon Vedas est mort en direct sur Internet. Stupidement.
Ce 12 janvier, c’était la nuit du samedi au dimanche. Comme toutes les nuits, Brandon est connecté sur IRC sous son pseudonyme habituel “Ripper”. Cette nuit-là, il était sur le canal #shroomery où se rencontrent des jeunes en quête de discussions sur les champignons magiques et autres substances stupéfiantes et “récréatives”.
Il a réuni sur son bureau toute une pharmacie. Méthadone 80mg, Klonopin (benzodiazépine), Restoril (benzodiazépine), Inderal (bêta-bloquant), Vicodin (narcotique), etc. Que des médicaments prescrits par le médecin familial. Il allume un joint.
Il invite les hôtes du canal IRC à se connecter à sa webcam (www.klonopinz.com/webcam.html). Le spectacle peut commencer.
Il va tout de suite être encouragé par ses camarades :
[ grphish ] TAKE ONE CAPSULE
[ grphish ] takea thousant!
(…)
[ ripper ] tonight is a ogod night fellas
(..)
[ Smoke2k ] eat more
[ Smoke2k ] thats not much
[ Smoke2k ] I eat that every morning
[ Smoke2k ] you pussy
[ Smoke2k ] you pussy
[ Smoke2k ] lol
[ Smoke2k ] your fucking nuts ripper
[ Smoke2k ] :)
[ Smoke2k ] eat more
(…)
[ ripper ] all the goods
[ ripper ] for a weekend of fun
[ ripper ] those benzos
[ ripper ] fuck yeah
Il ingurgitera ainsi une quantité impressionnante de drogues avant que quelqu’un ne songe à intervenir.
[ @phalaris ] i wonder if we’ll see ripper ever again
[ grphish ] don’t overdose on us ripper :[
L’intégralité de ce chat est disponible : Ripper_Log. Et il est terrifiant. (Ce log provient semble-t-il de Cleveland, Ohio : il y a deux heures de décalage avec Phoenix, Arizona. Attention, lecture hautement déprimante !).
Au bout d’une heure, la panique s’installe dans la chatroom. On essaie de le localiser via son site web (klonopinz.com) :
Registrant:
Get Ripped Productions
B Ripper - 2000 W. Village Dr.
Phoenix, AZ 85023 - US
(602)555-1234
6604@whois.gkg.net
Created on…………..: 06-DEC-2002
Expires on…………..: 06-DEC-2003
L’adresse est fausse, tout comme le numéro de téléphone.
On essaie de le convaincre d’appeler le 911. Mais il est trop tard, définitivement trop tard.
Brandon Vedas, aka Ripper, est mort. Bêtement.
Il y a aujourd’hui aux États-Unis plus d’overdoses dues à des médicaments que provoquées par l’héroïne. On trouve sur Internet des sites et groupes de discussions pour se procurer ces substances, avec des “recettes” pour simuler des symptômes auprès de son médecin et se voir prescrire narcoleptiques, benzodiazépines, etc. La solution la plus simple étant souvent de visiter la boîte à pharmacie de ses parents.
La famille de Brendan savait qu’il prenait des anti-dépresseurs, elle ne savait pas que Bredan jouait avec ses prescriptions pour le fun.
Sources :
- User Not Found : Onlines cries for help
- MetaFilter : Overdose on IRC?
- MetTalk : Overdose on IRC?
- AZcentral Orbituaries
- The Shroomery
- NY DailyNews
- http://navire.net/ripper_log.txt
Post-scriptum, 04/02/2003, 13:25.
Article publié aujourd’hui sur ArizonaCentral.com. L’histoire se confirme.
Post-scriptum, 04/02/2003, 13:50.
“I was last to talk to him and feel so terrible I wasn’t able to talk him out of his insanity. I am sorry, my deepest appologies. Cary (Cement)”.
Post-scriptum, 04/02/2003, 15:39.
Times Online : The night ’virtual friends’ played internet suicide for real. Pas mal d’imprécisions. Basé sur l’article du NY DailyNews et sur le log. La notion de suicide est discutable.
Post-scriptum, 06/02/2003, 19:40.
Richard Vedas, le frère de Brandon, dédie un site à sa mémoire.
Post-scriptum, 01/04/2003, 16:00.
Une autre histoire dramatique à lire également : L’histoire ordinaire de Michael Benjamins.
Demain matin je retrouve mon lapin. Pourtant, je ne suis pas aussi gai que je devrais l’être. L’histoire de Brandon Vegas m’a bouleversé. Je m’étonne quelle ait aussi peu d’écho médiatique. Il serait peut-être temps d’attirer l’opinion publique sur ce nouveau phénomène de toxicomanie qui touche les jeunes.
Ce soir, j’ai été abattu en lisant un article de Wired découvert grâce à mon agrégateur de nouvelles. Une histoire qui date un peu, mais qui m’a donné le coup de grâce pour cette journée. Demain, je vous parlerai donc de la navrante et triste histoire de Michael Benjamins.
Je suis d’ailleurs étonné que mon précédent billet n’ai donné lieu à aucun commentaire de commisération. La vie n’est pas toujours faite de légèreté, il y a des gens qui souffrent et qui en meurent. Triste monde pour les faibles.
Blah ? Touitter !