L’histoire ordinaire de Michael Benjamins
Ma journée d’hier avait débuté par la triste et stupide histoire de Brandon Vedas, et elle s’achevait par la réception d’un titre de Wired dans mon logiciel agrégateur de nouvelles : “Personne ne lui a demandé pourquoi il voulait mourir (no one asked why he wanted to die)”.
Un mois avant sa mort, Michael Benjamins postait un message le 17 septembre 2000 dans un forum Usenet spécialisé : “S’il vous plaît, aidez-moi, je cherche un moyen sûr et rapide pour me tuer. Je ne veux pas me rater”. Il a reçu des réponses, des conseils, mais personne ne lui a demandé pourquoi il voulait mourir. Il avait passé huit ans en thérapie et s’inquiétait de savoir si cela ne pourrait pas l’empêcher légalement d’acheter une arme.
Michael Benjamins avait 24 ans, était programmeur, vivait dans l’Ohio. Il a découvert que rien ne lui interdisait de s’acheter une arme chez Walmart.
Le 17 octobre, Michael Benjamins se tirait une balle dans la gorge. Aucun membre des forums de discussion auxquels il participait n’a tenté de le dissuader.
Michael Benjamins avait déjà un passé dépressif et des tentatives de suicide à son actif. Il avait pourtant essayé de lutter, lisant des livres, tenant un journal, dessinant et suivant un traitement. Mais sa maladie, la dépression, il n’en voyait pas le bout.
Il s’est refermé sur lui-même, hésitait de sortir, même pour faire les courses.
La veille de son suicide, il a pourtant été voir un ami. Celui-ci raconte qu’ils ont passé la nuit ensemble à discuter, à rire. “Quand il est parti, je me suis dis que c’était vraiment bien de le voir de retour, c’était la première fois que je le voyais aussi heureux.”
Oui, cette histoire est tragique, oui, cette histoire est ordinaire.
Personne, hors de ses proches, n’aurait pu connaître sa banale trajectoire. Mais il y a maintenant Internet qui enregistre les traces de votre passage, d’autant plus si vous avez un site personnel, un blogue, ou que vous postez sur Usenet.
Le 15 octobre 2000, à 20:43, Michael Benjamins postait ce message, deux jours avant son suicide :
From: Mike B. (mbenjamins@gwis.com)
Subject: Epitaph
Newsgroups: alt.xxxxxxx.xxxxxxx
Date: 2000-10-15 20:43:00 PSTWell. It’s getting close to “that time”.
I won’t lie and say I’m not scared. But I’m even more frightened of living. Death is such a weird thing…. unknowable and terrifying, yet at the same time so attractive. It seems to be the only way to release myself from the fear and loneliness and constant barrage of horrible memories and thoughts that plague me.
In physical sense, I am prepared for it. My apartment is clean, my things are in order, a 12 page suicide note is written. I’m clean and well dressed for the occasion. I have few loose ends left.
Mentally and emotionally, I am as prepared as a human can be when faced with death. In truth, I’m not sure it is possible to really prepare mentally for such an experience, because no one can know what will happen, other than the cessation of life functions.
I want to thank all of you ashers for being my friends in this last month. Here I was able to talk about my feelings and plans without having to fear the repercussions. I do not think I could do that in real life. I have been in a mental ward before, and I do not want to go back.
None of you really knew me as a person, other than through my posts. That’s good, I kind of wanted it that way. But at the same time, I want you all to know that I am….I WAS…..a living, breathing human being. Someone with an identity and dignity, who wanted only to be free of depression, to be loved, and to feel safe.
I am Michael Benjamins. Born March 19, 1976. An artist, cat-lover, computer programmer, and thinker, who had a tendency to wear all black clothes. I tried my best to be a decent person.
Tonight will likely be the last time I post to a.s.h. Obviously, if you do not see any more posts, then you know what happened. If I don’t commit suicide, I’ll let you all know that I’m still alive.
Best wishes to you all.
I hope you all find peace and happiness.
Je note cette réponse, parmi les nombreux message de bonne chance qui suivirent dans le fil de discussion :
Good luck Mike. I seem to recall your method was a bullet to the head. I pray you have the courage to pull the trigger and get out of this shithole. If things go the way I want, might be seeing you in a few days. Best of luck to you.
Dans notre activité d’utilisateur d’Internet, nous côtoyons quotidiennement des dizaines de personnes aux quatre coins de la planète. Tâchons chaque jour d’éviter de sombrer dans l’indifférence, même si nous avons nous-mêmes notre poids à porter. Je pourrais vous citer deux ou trois blogues de personnes qui me font penser au profil de Michael. Des gens souvent brillants par ailleurs. Derrière ces pages, il y a des gens, de vraies gens, et on a parfois tendance à omettre cette dimension. Il y a des cris au secours qui se perdent dans l’océan numérique. Il y a Internet qui enregistre froidement tout cela. Et nous sommes là, seuls face à des détresses que l’on souhaiterait ignorer, on jette le regard de côté comme on le fait dans la rue pour le pauvre qui mendie. On s’habitue à la misère du monde, et l’on devient indifférent.
Cette histoire vient en écho douloureux à celle de Brandon Vedas. Des histoires parmi tant d’autres.
Voilà que dire de plus, sinon : c’est moche le suicide, surtout celui des jeunes.
Site à la mémoire de Michael : Mikee’s Memorial Page
Aide et prévention : SOS Suicide Jeunesse (qc) - Fédération SOS Suicide Phénix (fr) - Gai Écoute Suicide (qc) - À Paris : SOS Dépression, 01 45 22 44 44.
P.S. Si je mets des photos sur ces billets, c’est parce que derrière ces mots, il y a des êtres de chair et de sang. L’Internet a parfois tendance à déréaliser les choses.
Blah ? Touitter !