Une petite musique triste commence à m’envahir.
Bientôt le 17. Bientôt le 17 décembre. Que vais-je faire de ce 17 décembre ?
Me retourner et me transformer en statue de sel ?
J’ai appris la douleur de ce mois de décembre. À chaque fois, le même déchirement. Mais, cette fois-ci, bien que je sache que cela soit purement symbolique, j’ai le sentiment que la douleur n’en sera que décuplée.
Il y a 10 ans, on a placé un talent de métal brûlant dans ma main. Et là, Laurent, le moment vient de te demander “qu’as-tu fait de ton talent ?”. Mais le talent d’argent s’est oxydé, a perdu de sa brillance. Je n’ai rien su faire de cet héritage et je me sens misérable.
J’ai eu mon sursis, j’ai toujours su que j’étais en sursis. Mais qu’en ai-je fait ? À quelle aune me juger ? Combien de jours encore à passer au tribunal du miroir matinal à contempler ce visage presque étranger, si différent de celui qui devrait être à l’abri des regards.
Qu’est-ce cette douleur qui me fourrage les tripes, qui saisit mon souffle dans un spasme pénible, quelle est cette amertume douloureuse au bord des lèvres ? Je me sens comme une corde de violon torturée d’un archet en mineur, crissant une sorte d’élégie intemporelle et déchirante.
J’ai cru savoir, mais je n’ai rien appris. Quelle fatuité. Si ce n’est que nous ne sommes que des animaux condamnés à souffrir.
Vous n’imaginez pas mon sentiment affligeant de médiocrité. Ni même ma souffrance, pourtant si commune. D’autres ont connu, ou connaîtrons bien pire. C’est même avec gêne, retenue, scrupule, humilité, que j’ose évoquer cela, comme si ma souffrance mesurée à l’échelle des souffrances du monde se devrait d’être ordinaire et minorée. Mais c’est la mienne.
Mais je n’arrive pas à m’y faire. Et j’ai encore l’envie de hurler, un soir sous un pont de fer. Et j’ai envie de mettre fin à cet égrènement des jours inutiles. Si ce n’est que je vis encore dans le regard des autres, enfin de l’Autre, pour être exact. Mais j’ai parfois le sentiment que cette vie ne m’appartient que bien peu, étant un mort vivant. Et que du peu d’altérité que je puisse encore projeter, j’en fais bien peu.
Je suis vieux. Ce n’est pas une formule, une figure de style, un appel, juste une réalité. Je me sens vieux, très vieux. Cela veut dire que mon temps est passé, imparfait. Je suis vraiment vieux, et si vous ne l’êtes pas, vous ne savez pas ce que cela veut dire. Parce que vieux, ce n’est pas une question d’âge, c’est un problème de perspective.
C’est bientôt le 17 décembre. Le 17. Cela me hante, me torture. Je n’en dors plus. C’est comme un tocsin lugubre qui résonne dans ma tête.
S’il n’y a plus qu’un sentiment qui m’anime, c’est la haine.
Ce mois de décembre est pour moi un mois de deuil. Vous n’êtes pas obligé de me suivre sur ce chemin. Aussi ce carnet va, probablement, subir un virage introspectif. Je m’en excuse par avance.
2 heures du matin. J’ai mal.
J’aurai pas dû ouvrir ce tiroir. J’aurai pas dû regarder ces photos.
Merde, pourquoi est-ce encore si douloureux ?
Et où sont tes cendres, me voilà comme une folle pitoyable, à chercher dans de vieux cartons cette putain de boîte. Parce que cette nuit, c’est comme si j’avais besoin d’être en contact physique avec toi.
Putain, j’ai mal, c’est dur.
Et vous tous, vous êtes où ? Pourquoi m’avez-vous tous abandonné ? Pourquoi mon carnet d’adresses n’est-il fait que de biffures ? Salopards. Pourquoi suis-je le seul à rester ?
Putain de nuit.
L’autre jour, c’était le 1er décembre. Putain de merde, j’aime pas ces fêtes pitoyables. J’irai jamais manifester dans ces institutions de vautours de la misère. Moi, j’ai déjà donné.
3 heures du matin. Je chiale comme une conne. Je ne veux plus vivre des nuits comme ça. Yves, j’ai besoin de toi, j’ai besoin de ton amour. C’est pas comme une couverture qu’on met quand on a froid, c’est beaucoup plus essentiel. J’ai viscéralement besoin de toi, même si je sais que je ne le montre pas souvent, enfin, pas démonstrativement, question de nature. M’endormir contre toi, en confiance, en tendresse, cela n’a pas de prix.
J’ai besoin de toi, parce que quand tu n’es pas là, je pars à la dérive, mes vieux démons me reprennent, et je sombre. Alors, que quand tu es présent, je sens ton regard. Tu ne me juges pas, tu me prends comme je suis, et tu dis m’aimer. Je suis convaincu et je m’abandonne à ce doux sentiment. Tu as beau savoir mes blessures et mes tourments, et pourtant, tu m’aimes. Y-a-t-il plus beau cadeau dans la vie ? Je l’avais déjà reçu une fois en partage, et j’en étais déjà fortuné, et je m’en estimais heureux, et tu m’as prouvé que cela n’était pas un “one shot”. Et tu as accepté d’être le “deuxième”.
Que dire de plus, si ce n’est que tu me manques, quand, comme ce soir, j’ai le “blues”. Dans la tournure anglo égocentrique “I miss You”.
Je t’aime.
C’est vraiment dur.
J’ai fait des choix à l’époque, mais je ne les assume plus. Une telle proximité physique avec la mort, avec l’amour, comment s’en sortir indemne.
J’ai dormi avec un mort. J’ai passé une nuit enlacé avec le cadavre raidi de l’homme que j’aimais. Peut-être même que j’ai bandé. Pourtant, je ne suis pas un monstre. Ma plus belle nuit d’amour avec Marc, c’était le 18 décembre au soir. Même s’il était mort 24 heures plus tôt. J’ai longuement enlacé ce corps, je me suis déshabillé, j’ai fait une place dans le lit, et je me suis collé contre ce cadavre roide. Et je fus tellement heureux, tellement aimant.
Je l’ai aimé, autant mort que vivant, intensément. Qui va me jeter la pierre ?
4 heures. Pourquoi vous livre-je tout ça ? Peut-être par ce que ça me libère. Mon amour est entier, complet. Mais en parler, quelle indécence. Comment me regarderez-vous demain ?
Alors, bien sûr, on ne se sort pas impunément de telle expérience, mais j’étais amoureux, jusqu’à la moindre fibre de son être. Et il vit encore en moi, dans mes veines. Par une extraordinaire symbiose, je ne suis plus moi-même, et je ne reconnais plus les traces du Laurent antérieur. Je suis désormais Marc et Laurent.
Je vais me coucher. Demain, je serai autre. Je serai le Laurent conventionnel, avec ses blagues de pédé à deux balles. Le Laurent que tout le monde connaît, le Laurent du Navire, ou encore d’Embruns. Mais, je n’ai pas envie de me réveiller demain.
Pourtant, il me faudra bien me couler à nouveau dans ce monde fait d’hypocrisies, de faux-fuyants. Nous sommes tous immortels et les cimetières sont peuplés de gens indispensables.
Et peut-être serais-je demain à censurer tous ces billets de nuit insomniaque, qui livrent une intimité qui n’est pas mon ordinaire.
Merci pour vos gentils mots, vos courriels, merci pour votre amitié. Je vais bien, l’orage est passé. Il y a de ces plaies qui parfois s’ouvrent à nouveau et ne cicatrisent jamais parfaitement.
“Huit femmes”, au théâtre.
Francois M.
Être vieux, c’est du contexte et de l’événementiel. Voilà ce que m’enseignent les miens.
Duchesita
Courage !… Tout passe… même ça. Même avec ça, même avec le sentiment d’avoir gâché ses talents. Ce qui nous reste de temps… c’est toujours beau d’être là :)Quoi qu’on en fasse :)
Blah ? Touitter !