Insomnie
Plus de deux heures du matin. Je ne dors pas, c’est insupportable. Mes 15 cafés de la journée ne doivent pas aider. Pourtant, j’ai une grosse journée demain.
Je n’aime pas ces heures obscures où quantité de choses ordinairement cachées vous assaillent soudain. Comme des cafards qui, tapis le jour, s’offrent une liberté nocturne de se promener à leur guise.
Je me méfie des idées survenues à ces horaires indus. Pourtant, j’ai le sentiment de toucher du doigt une chose essentielle, un machin douloureux, un truc tangible. J’ai l’impression que le médecin légiste m’a refilé un foie fibrosé et qu’il me dit que c’est indubitablement la cause de la mort. Et de me retrouver avec cette masse lourde, glissante et fuyante dans les mains, de ne savoir qu’en faire tout en ressentant l’évidence de la pathologie.
J’ai perdu 10 ans de ma vie. 10 ans de voile noir. 10 ans de deuil. 10 années qui m’ont coûté en auto-destruction et en renonciations. 10 ans d’enfermement dans une cellule bâtie de mes mains, de mon esprit malade.
Ce n’est définitivement pas ce qu’il aurait souhaité, et, j’ai trahi sa mémoire.
Le deuil est pitoyable. J’entends encore ses dernières paroles pleines de sens dans ce foutu hôpital de merde : “tu pleures sur toi-même”.
Merde. MERDE. J’ai passé 10 ans à pleurer sur moi-même. C’est une lumineuse évidence à présent. J’ai gâché ces années. Et je ne suis pas sûr de ne pas gâcher les suivantes. Il faut sortir de ce piège.
À gratter les croûtes, les plaies ne cicatrisent jamais.
Alors, je vous le dis maintenant, à la lumière de mon expérience, la mort doit être une fête. Car, quoique vous fassiez, le résultat sera toujours le même, irrémédiable. Alors, il ne reste qu’à trouver une nouvelle cible à votre trop plein d’amour.
Oui, plaignez-vous, pleurez sur vous même, morfondez-vous, mais pitié, n’empruntez pas mon chemin, celui de la mortification et de la douleur, cela ne mène à rien. La douleur doit être brève.
Dans le deuil, nous ne sommes face qu’à nous-même, seuls, très seuls. Nous ne savons plus être orphelin d’une relation, et pourtant il faut l’être, le plus rapidement possible. Il faut garder le meilleur de l’être aimé, et de toute façon, le meilleur est déjà en vous tant votre vie fut en symbiose. Votre seule vengeance à l’injustice du sort, c’est de hurler votre joie de vivre, plutôt que vous morfondre dans une mélancolie malsaine.
Ne faites pas comme moi, ne vous sacrifiez pas sur l’autel de la douleur, laissez la Mater Dolorosa au registre du roman de gare et du téléfilm.
Ali Baba
Très beau billet. Très fort.
Olivier
Stay hungry! Stay foolish!
Dam
Je serais toi après cet “évidence”, je ne perdrais pas une minute et je prendrais l’avion …
EM
On sort enfin des petits billets sur la petite politique. Et je retrouve les billets, qui avaient et le fond et la forme, par lesquels j’ai découvert ce site.
Tristan
Très, très bien vu. Bravo.
Asthenie
Bouleversante de franchise et de vérité… N’est pas pour me rassurer
alfy
Cela m’a touché et a ravivé pas mal de souvenir. Il est bon parfois de se souvenir des gens qu’on a aimé et qui ne sont plus…
Coccinelle
Intensité dans ce billet…
Georges
Heureux de te lire là. Pour toi. Toi heureux.
TarValanion
Je ne sais quoi dire. Touchant.
Miam
Le problème c’est que c’est aussi une question de nature profonde. Pourquoi certains sont beaucoup plus mal-portants que d’autres face à la mort d’un être essentiel ? Moi aussi j’aimerais faire de la mort quelque chose de différent. Faudrait créer une assoc’ ;-)
olivier
C’est curieux, c’est la première fois ou presque que je viens sur un blog, et je vais même me fendre d’un petit commentaire :)
C’est effectivement l’expression de la douleur que j’ail lue, mais la mort me semble ici être prise dans son contexte physique (les plaies grattent par exemple).
On voit bien qu’il faut dépasser ce cadre strict et se poser la question plutôt de la mort des éléments de la réalité dans laquelle nous sommes tous plus ou moins.
Ces éléments nous pèsent, au bout du compte, et l’un des “trucs” pour s’en défaire serait de construire une autre représentation de la réalité….mais bon cette qustion n’est pas nouvelle et fait l’objet de pages et de pages dans la littérature la plus inspirée par elle-même.
gilda
Ce sont de bonnes résolutions, je ne suis cependant pas certaine que ce soit “à notre main” de souffrir encore d’un deuil ou non. Pas plus qu’on ne choisit ou non de tomber amoureux. Tout au plus pouvons-nous agir sur les actes qu’en conséquence nous accomplissons, tenter d’ingorer le coeur battant ou le chagrin. Mais nous ne pouvons pas empêcher leur présence en nous, et parfois à des moments qui nous prennent au dépourvu. Bon courage cependant.
Lili
…Merçi, c’est en étant honnête avec soi-même que l’on avance et qu’on emmene les autres avec soi…
jill
Je connais si bien… c’est presqu’épeurant, à quel point c’est conforme à ce que j’ai vécu depuis 10 ans, à la différence que, de mon côté, il s’agit d’un deuil amoureux, la rupture d’une longue relation de couple. Je me réveille à cela depuis peu, très sensiblement, et mes émotions et mes pensées empruntent toutes sortes de directions! Ma perception change, je vois différemment et j’ai le vertige. Merci de votre témoignage, bien sincèrement.
Rose
Billet si juste, à méditer… comme une “leçon de vie” -mais tellement difficile à appliquer…-. Merci! :)
Blah ? Touitter !