[…] Dans le cadre d’une campagne municipale, venir reprocher au maire en exercice de vouloir bénéficier du “vote juif” et du “vote homosexuel” par une dilapidation des subventions relève peut-être d’une polémique politique de bas niveau, d’une argumentation misérable mais en aucun cas d’un scandale moral qui devrait susciter une indignation générale. Celle-ci, d’ailleurs, a été réduite à sa plus simple expression : celle du parti socialiste qui se sert de tout, et c’est de bonne campagne.
La seule question qui aurait mérité d’être débattue est celle de la vérité ou de la fausseté de l’accusation formulée. Apparemment, cette élémentaire validité ou non du propos n’intéresse personne. Seul a été monté en épingle le fait qu’ont été mentionnés “le vote juif” et la cause homosexuelle.
Nous en sommes arrivés à un point tel de domestication intellectuelle et de conformisme bêlant que des mots, aujourd’hui, n’ont plus le droit d’être prononcés, sauf à être revêtus d’emblée d’une inconditionnalité admirative. Suggérer l’existence d’un “vote juif”, en quoi est-ce offensant ? La politique n’est pas forcément un marigot de crocodiles mais pense-t-on vraiment que ceux qui se plaisent à donner des leçons de morale n’ont pas d’objectif ni de but à atteindre. Il y a, en politique, et c’est un poncif, l’affirmation de flatteries ou de considérations qui se doivent d’avoir nécessairement une visée opérationnelle. Même la pure éthique susceptible de créer lien et rassemblement n’est pas dénuée de pesanteurs tactiques. Le désincarné est un voeu pieux et serait d’ailleurs insupportable. En quoi l’allusion, donc, à un “vote juif” serait-elle indigne? Peut-être absurde, elle sera, dans ce cas, aisément détruite par Bertrand Delanoë.
Pour la cause homosexuelle, il me semble que l’analyse est rigoureusement la même. Ce n’est pas parce que Bertrand Delanoë, contrairement à d’autres, ne nous a pas abrutis avec un militantisme gay qu’il est forcément insensible à l’importance de cette communauté, sur le plan électoral, à Paris. Ce soupçon, s’il est grotesque, n’a rien d’abject. Il ne se rapporte pas à l’immoralité de celui qui le profére mais à la qualité ou non de sa pertinence politique, de sa vigueur partisane. […]
Alors, j’ose l’écrire, il n’y a pas de scandale. Il y a juste une polémique dure et vive qui devra trouver son issue dans une réplique politique, une contradiction factuelle. Je n’ai d’ailleurs pas entendu Bertrand Delanoë s’engager dans cette voie dangereuse qui consisterait, faute de savoir contredire victorieusement son adversaire, à tenter de le disqualifier moralement. Il ne s’est pas servi moralement de cette passe d’armes politique et à ma connaissance il n’a insulté personne. En public au moins, “tocard” n’est pas sorti de sa bouche.
[Justice au singulier, Philippe Bilger : “Le scandale à la mode !”]
(Comme d’ordinaire, il est toujours peu aisé d’extraire une citation courte dans la prose de Philippe Bilger.)
Je me suis permis de faire une retranscription rapide des propos de la vidéo qui a initié la polémique (retranscription qui manque à mon avis au débat public, souvent remplacée par des citations partielles, hors-contexte) :
Quand j’ai vu dans les associations que les loubavitchs ont des crédits, et que Delanoë a fait des discours là-dessus quand il était dans l’opposition… et qu’aujourd’hui, parce que le vote loubavitch, et on entre dans le côté Delanoë, c’est purement vieux politicien… C’est à dire que pour le XIXe, pour M. Madec, pour M. Charzat dans le XXe, pour M. Dreyfuss dans le Xe, et pour M. Vaillant dans le XVIIIe, le vote juif est un vote très important, ça fait une bonne partie du vote dans chaque arrondissement.
Donc, pour se mettre bien, on va, avec la complicité de la droite d’ailleurs bien souvent, là, les frontières politiques se gomment… on va voter ces subventions. Et on peut aller plus loin, si on demande aux services de l’inspection de la ville si les subventions sont justifiées, si on va voir ce qu’ils font… mais on ne demande surtout pas aux services de la ville de voir si ce sont uniquement des enfants juifs qui sont dans ces écoles, or ce sont uniquement des enfants juifs. Or nous ne sommes pas pour le communautarisme, on est en république, donc les écoles doivent accueillir les enfants de toutes les confessions. C’est la loi de la république à partir du moment où l’on leur donne des subventions.
J’ai vu et je le raconte dans le livre, c’est madame Hoffman-Rispal qui a pleuré parce que M. Geismar (?) est passé comme un serre-file dans les rangs et l’a obligé à voter. Et ceux qui ne votaient pas, ils étaient à la buvette, ils sont partis un peu plus loin pour ne pas voter, et ce, ça existe à droite comme à gauche. C’est le problème du vote juif et c’est le problème des subventions, et ça, c’est pire que Dachau [Note : référence à la conversation qui a au préalable porté sur les inégalités de traitement entre les différentes associations de déportés, dont l’Amicale du camp de concentration de Dachau], parce que c’est donner des subventions à des gens qui ne les méritent pas, ce sont des activités privées au service d’une confession. Cette école devrait recevoir aussi bien des enfants de confession israélite, juive, protestante, de toutes les religions, il n’y a aucune raison. Et en plus, ils nous font des embouteillages fantastiques, ils bloquent la circulation parce que les voitures viennent du 93, du 94, avec les petits enfants, avec des gros 4x4 et nous bloquent tout… et polluent ! Alors là, je trouve qu’on arrive à un truc de fou et ces subventions ne sont pas pour moi justifiées.
[Propos d’Yvan Stefanovitch, lors d’une réunion “Café politique”, à l’Alice Café, cours Saint-Émilion, en présence de Jean-Marie Cavada, le 13 février dernier, retranscrite par mes soins.]
Sur Paris.fr, les chiffres des subventions de la ville [PDF] sont vieux de 2004…
J’y ai trouvé, donc pour 2004 :
D02869 - ASSO JEUNESSE LOUBAVITCH - ASS - 8 RUE LAMARTINE - 75009 PARIS - 425 183,07 €
E00188 - JEUNESSE BETH LOUBAVITCH - ASS - 8, RUE LAMARTINE - 75009 PARIS - 128 780,00 €
[La subvention de la Direction des affaires scolaires (DASCO) D02869 concerne l’ensemble scolaire (école, collège, lycée), la E00188 de la Direction des familles et de la petite enfance concerne deux crèches.]
Par ailleurs, on peut apprendre que “par lettre de mission du 20 décembre 2005, l’Inspection générale de la Ville de Paris a été chargée de mener un audit de l’association Jeunesse Beth Loubavitch” :
L’association gère deux crèches collectives dans le 19° arrondissement, rue Petit et rue Riquet, comportant 81 places. Elle bénéficie de subventions qui se montent respectivement à 120.875€ et 25.848€, en application des conventions qu’elle a passées avec la Ville de Paris (Direction des Familles et de la Petite Enfance).
Par ailleurs, elle gère un ensemble scolaire (école, collège, lycée) et bénéficie de subventions de la Ville de 447.661€ pour l’école et 75.668€ pour le collège. En 2004, l’association a accueilli en tout 1658 élèves.
Au terme de leur audit, les rapporteurs souhaitent mettre en avant les éléments suivants :
- La réalité de la vie associative ne correspond pas toujours aux statuts.
- L’association ne peut être regardée comme une association cultuelle au sens de la loi du 9 décembre 1905, car elle n’a pas pour objet exclusif l’exercice d’un culte. La Ville et le Département sont fondés à subventionner ses activités.
- L’association présente une situation financière toujours fragile, même si le dernier emprunt souscrit lui a permis d’en refinancer d’autres et de faire face à ses dettes courantes et donc de lever son interdiction bancaire. Son fonds de roulement demeure toujours négatif. Tout nouvel investissement doit donc être différé dans l’attente que l’association dispose d’un montant minimum de fonds de roulement.
- Le prix de revient des deux crèches apparaît modéré par rapport aux autres crèches associatives. Le montant des participations familiales et celui de la subvention municipale par berceau sont également plus faibles.
PDF “Audit de l’association Jeunesse Beth Loubavitch - septembre 2006 - Rapport de l’inspection générale”.
Alors, les crèches Chabad Loubavitch sont-elles subventionnées à juste titre ? Sont-elles réservées aux enfants de familles de confession juive ? Les déclarations d’Yvan Stefanovitch sont-elles particulièrement choquantes et méritent-elles un tel opprobre ? Jean-Marie Cavada devait-il quitter la réunion ou manifester publiquement un désaccord ?
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P.S. Dans le rapport de l’inspection générale, j’ai noté :
En ce qui concerne le public accueilli, l’Inspection générale souligne que 20% des enfants de la crèche de la rue Petit habitent en banlieue et 13% de ceux de la rue Riquet, contrairement aux dispositions des conventions conclues avec la Ville de Paris qui prévoient que les établissements accueillent des enfants Parisiens.
Les chiffres communiqués par l’association font apparaître que, sur 97 enfants inscrits à la crèche Haya Moutchka (chiffre supérieur au nombre de place en raison d’inscriptions à temps partiel), une proportion non négligeable (près de 25 %) habite dans d’autres arrondissements que le 19° mais aussi (20 %) en banlieue.
Ça explique les 4x4 ;-)
Dans une lettre datée du 14 août 2006, adressée à l’Inspection générale, la sous-directrice de la Direction des Familles et de la Petite Enfance, se plaint que ce constat est “en contradiction avec les documents transmis par l’association à l’appui de ses demandes de subventions annuelles de fonctionnement. […] Or, les éléments produits par l’association à la DFPE n’attestent pas de facturation à des familles en banlieue”. Elle conclue par : “Le contrôle effectué par l’IG me paraît donc remettre en cause la fiabilité des justificatifs remis par l’association et me conduit à m’interroger sur le bien-fondé du calcul du montant des aides, étant entendu que la subvention municipale n’est destinée à financer que l’accueil des jeunes enfants parisiens.”
Également lu dans le rapport de l’Inspection générale :
De manière plus générale, les conventions passées avec l’association précisent dans leur article 1er que l’association accueille des enfants « sans distinction de race de religion ou de ressource ».
En pratique, la nourriture servie dans l’établissement est casher et les établissements sont fermés pour les fêtes juives. Les horaires d’ouverture des crèches sont classiques, de 8H à 18H pour la crèche Loubavitch et 18H30 pour la crèche Haya Moutchka. Le vendredi après-midi, les établissements ferment plus tôt car c’est la veille du sabbat.
Même si les directrices des crèches participent, en principe, à titre informatif aux commissions d’admission qui se réunissent à la mairie du 19° arrondissement, ce sont elles qui décident des admissions.
Dans la mesure où il y a environ trois demandes pour une place et où les crèches sont à vocation confessionnelle, les directrices ont exposé aux rapporteurs qu’en pratique ce sont des parents de religion israélite qui y inscrivent leurs enfants.
L’association remplit donc, avec son caractère propre, les missions qui lui sont fixées par les conventions qu’elle a signées avec la Ville de Paris.
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P.S. bis. Après, on en arrive à des dépêches d’agence de presse, comme Reuters, avec le titre “Le PS demande à Cavada de s’expliquer sur la vidéo antisémite”. Du boulot ordinaire de journaliste… destiné à alimenter la poubelle. Sans surprise, le MRAP s’y colle…
raoul
j’ai du mal à saisir le “je serai prudent” ?…
Laurent Gloaguen
Je crois que c’est la traduction française qui ne donne pas tout le sens de “cuidadoso”.
Cuidadoso : soigneux, attentif, soucieux du résultat, précautionneux, prudent.
Olivier G.
(Laurent, tu as inversé les informations de langue, tu as indiqué la traduction comme étant de l’espagnol ^^)
Laurent Gloaguen
Cher Olivier, mon gardien du sémantiquement correct, que ferais-je sans toi ? ;-)
J’ai corrigé mon xml:lang déplacé, merci de l’info.
Blah ? Touitter !