Un peuple, une identité
Six éléments caractérisent l’identité d’un peuple, quel qu’il soit : un territoire, une langue, une culture, des valeurs, une histoire, un destin commun. Aucun de ces éléments n’est stable. Tous évoluent avec le temps. La France fut chrétienne ; elle est laïque. La France fut monarchiste ; elle est républicaine. Et aujourd’hui, toutes ces dimensions sont remises en cause par le mouvement du monde : l’effacement des frontières, en particulier en Europe, remettant en cause l’idée même d’un territoire identitaire ; le nomadisme croissant des Français comme des étrangers ; la présence croissante, sur le territoire national, d’autres langues, d’autres cultures, d’autres façons de vivre ; l’universalisation des valeurs, autour des droits de l’homme et de liberté individuelle, qui en fait disparaitre le caractère national ; et, enfin, dans l’individualisme ambiant, l’incertitude quant à l’existence d’un destin commun.
De tout cela il résulte que, à terme, la seule chose qui définira durablement l’identité d’une nation, c’est sa langue, et la culture, la façon de penser le monde, qu’elle implique. La langue française conduit à penser, à écrire, à vivre, de façon claire, simple, directe, précise, logique, binaire. Elle trouve sa source dans l’harmonie des paysages et conduit à une symétrie des mots, à un équilibre des concepts, qu’on trouve déjà dans les textes des inventeurs de cette langue, de Rachi de Troyes à Blaise Pascal, de Chrétien de Troyes à Montaigne, de Marcel Proust à Léopold Senghor.
Jacques Attali : “Le génie du français”.
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P.S.
La France est un cas absolument unique. Une petite zone militarisée - Ile-de-France, Val de Loire - va produire une collectivité linguistique nationale. La langue française, c’est le Val de Loire, son lieu de naissance. Cette communauté va se militariser à outrance, parce qu’elle est petite et parce qu’elle est exposée dans une zone de plaine. En conséquence, le royaume de France va se développer en s’étendant militairement, bien au-delà de sa communauté linguistique. La naissance de la France se réalise par la conquête militaire d’au moins cinq cultures - j’appelle culture la coïncidence entre une langue et un art de prier. Je veux parler de la Bretagne, de l’Occitanie, de l’Alsace, d’une partie de la Flandre, de la Corse, et puis de notre petit bout du Pays basque. Vous avez le souvenir de la guerre des Albigeois ? Elle aurait fait entre 400 et 500.000 morts, avec les techniques militaires de l’époque - et la gentillesse de Simon de Montfort. C’est la conquête par le Nord de tout le Midi qui, au sud d’une ligne allant de Bordeaux à Grenoble, parlait Occitan.
C’est ça, la France. Le pouvoir central est construit militairement, ce n’est pas le produit d’une communauté.
Michel Rocard : entretien avec le Nouvel Observateur.
Manu
J’aime bien sa façon de penser.
âne
le père Rocard envoie pas mal aussi : http://bit.ly/1Acp9C
bituur esztreym
off topic, quoique. un peu long, pardon maître de céans, et ses commensaux :
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Je ne me vois pas expliquer à des salariés de France Telecom que leur entreprise n’est pour rien dans leur malheur. Mais prendraient-ils pour un traître - en mauvaise part, cette fois - celui qui leur suggérerait que, pour réelles que soient leurs souffrances, ils auraient tort de voir l’enfer dans ce qui est seulement, si l’on peut dire, une manifestation de l’enfer, une émergence particulièrement gratinée de l’enfer ? L’idée qu’à l’extérieur de la boîte on est libre, ceux qui souffrent vraiment au travail savent que ce n’est pas vrai. Peuvent-ils admettre que ce que leur inflige l’entreprise, cette dépendance carcérale, cet enfermement maniaque, dépasse, et de beaucoup, la capacité de nuisance des quelques personnages qui recyclent leur agressivité d’adolescents frustrés dans le confort bébête des étages supérieurs ? Peuvent-ils admettre qu’ils sont là devant une expérience fondamentale, qu’ils sont vraiment affrontés à l’absurdité du monde, qu’ils sont au point de bascule de la vie et de la mort ? Peuvent-ils croire qu’ils sont des pionniers, des aventuriers, des découvreurs ? Ils le sont, pourtant, et au premier chef, et les si bien nommés partenaires sociaux ne le sont pas, eux, leurs experts de poche non plus. Peuvent-ils se dire que, pour épuisant qu’il soit, ce combat vaut la peine d’être engagé, qu’il n’est nullement perdu d’avance, qu’il peut devenir légende ?
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À la fin, pourquoi les esclaves de la colonisation managériale ne marronnent-ils pas plus souvent ? Ce que pouvaient faire des gens ignorants, dépourvus de tout, et sur lesquels on allait lâcher les chiens quand ils s’enfonceraient nus, en pleine nuit, dans une nature hostile, les salariés citoyens consommateurs sont incapables de s’en inspirer, même d’infiniment loin, même avec toutes les transpositions qu’on voudra ? Gardent-ils seulement quelque nostalgie de ce genre de révolte ? En sont-ils, parfois, vaguement émoustillés ? Peu familier des beaux quartiers, je ne suis pas porté à sous-estimer le poids des nécessités matérielles. Mais enfin… Quand l’existence n’est plus que le combat permanent de l’insomnie et du somnifère, de l’angoisse et de l’anxiolytique, quand une fenêtre ouverte devient issue de secours, est-ce bien raisonnable de s’entêter, est-ce bien raisonnable de ne pas marronner ? À ce niveau de désastre, l’enjeu est-il encore équitable ?
source : http://pagesperso-orange.fr/js.resurgences/marche43.htm
Blah ? Touitter !