Lettre ouverte du professeur Gérard Beaudet
Université de Montréal : « Business as usual »
En tentant la semaine dernière d’obtenir une injonction interdisant aux étudiants de manifester sur le campus, sous prétexte qu’il s’agit d’une propriété privée, l’Université de Montréal a ajouté l’injure à l’insulte. Non seulement l’administration a‐t‐elle fait preuve tout au long du conflit d’un à‐plat‐ventrisme éhonté face au gouvernement Charest et à sa ministre de l’Éducation, mais elle se comporte dorénavant comme si l’Université était un centre commercial où ne sont bienvenus que ceux qui y consomment ce qu’on y offre. Qu’on se le tienne pour dit, l’Université de Montréal a des obligations face à ses « clients » et elle prendra les moyens pour les remplir, dût‐elle placer ses professeurs dans une situation extrêmement inconfortable. De quoi donner des leçons à une certaine chaîne de dépanneurs !
Certes, on rétorquera avec raison qu’il y a eu quelques échauffourées et que du vandalisme a été commis dans un certain nombre de pavillons, ce qui est condamnable. On taira toutefois les provocations répétées par un gouvernement qui s’entête à refuser toute discussion de fond et par des administrations universitaires et collégiales qui semblent alimentées par les mêmes spécialistes en communications, à qui on a manifestement et de manière totalement irresponsable confié les commandes des opérations.
Que des personnalités comme Guy Rocher et des Claude Castonguay aient appelé à plus d’ouverture, que des milliers de parents ou de citoyens aient manifesté aux côtés des étudiants, que des centaines de professeurs aient fait valoir les conséquences prévisibles et déplorables de la manière forte privilégiée, que des dizaines de milliers d’étudiants aient réitéré leur indignation face à des autorités qui refusent tout débat public n’y change strictement rien. L’Université se dit être dans son bon droit et entend au besoin recourir aux tribunaux pour que ceux qui en douteraient encore le sachent.
Comment dès lors s’étonner que le recteur de l’Université de Montréal soit allé se réfugier à l’Hôtel de Ville de Montréal pour annoncer que Québec avait donné le feu vert au lancement du chantier d’un second campus sur le site de la gare de triage d’Outremont. Que le moment, la manière et la nature même de l’annonce aient été pour le moins inconvenants a manifestement échappé aux principaux intéressés comme au service des com. Mais pourquoi s’en faire pour si peu ? L’UdeM Inc. a dorénavant plus sérieux et plus urgent à faire que de se préoccuper des « jérémiades » de ses étudiants concernant sa mission et sa gouvernance.
Mais la feuille de route des dernières années de l’Université de Montréal, comme des autres universités, justifie‐t‐elle cette arrogance ? Le gâchis monumental de l’îlot voyageur, l’amateurisme de la gestion du dossier du 1420 boulevard Mont-Royal, le ridicule consommé des publicités sur les « bandes » du centre Bell, l’amélioration moralement condamnable des prestations de retraite à même les budgets de fonctionnement, les primes de départ inversement proportionnelles au travail accompli, sans compter la multiplication des pavillons et campus au gré d’une guérilla territoriale qu’aucune planification intégrée ne justifie, sont‐ils de simples accidents de parcours qu’on peut écarter du revers de la main ? Ne s’agissant que de cela, n’y a‐t‐il pas déjà suffisamment de quoi s’inquiéter sérieusement de la manière dont les ressources financières qu’on accorde aux universités sont gérées ?
Mais, comme l’a affirmé le représentant de la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec, tout ce qui avait à être dit sur la gouvernance des universités a été dit. Il n’y a pas de dérive gestionnaire systémique ; tout au plus peut‐on déplorer quelques dérapages somme toute anodins.
On se serait pourtant attendu à une attitude plus nuancée et plus réservée de la part de l’Université de Montréal et des autres institutions d’enseignement supérieur. Après tout, le privilège de ne pas devoir se plier sans conditions aux désidératas du prince n’a‐t‐il pas été gagné de haute lutte au Moyen‐Âge et ne constitue‐t‐il pas un rempart qui permet aux Universités et aux universitaires − étudiants compris − de contribuer significativement aux débats de société, avec sérénité et sans crainte de représailles ?
En choisissant le camp de ceux qui entendent tuer dans l’œuf tout débat de fond sur la mission et la gouvernance universitaires, l’administration de l’Université de Montréal se montre indigne de cet héritage. C’est tout simplement PITOYABLE !
Gérard Beaudet.
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Ont cosigné plus d’une trentaine de professeurs et de chargés de cours de l’Université de Montréal : Dominic Arsenault, Laurence Bherer, Lucie Bourassa, André‐Pierre Contandriopoulos, Gilles Côté, Dominique Damant, Jean Décarie, Élise Dubuc, Louis Dumont, Anne‐Marie Émond, Jacques Fisette, Katherine Frohlich, Martin Gagnon, Sonia Gauthier, Daniel Gill, Jacques Hamel, Othmar Keel, Ossama Khaddour, Marie Lacroix, Andrée Lajoie, Yves Langelier, Isabelle Laterreur, Jean‐Claude Marsan, Jean‐Philippe Meloche, Jacques Moreau, Suzanne Paquet, Bernard Perron, Pierre Popovic, Philippe R. Richard, Denyse Roy, Louise Séguin, Michel Seymour, Jean St‐Louis, Maurice Tardif, Temi Tidafi, Louise Vigneault.
Gérard Beaudet est professeur titulaire à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal.
Mox Folder
Les professeurs ne sont pas des fonctionnaires tenus à un devoir de neutralité (cf une note précédente) ?
Laurent Gloaguen
Non, les professeurs d’université ne sont pas des fonctionnaires.
François
merci Laurent, je fais suivre sur mon Facebook. Il y a des noms qui m’ont enseigné à Montréal.
Esurnir
Si j’en crois Wikipédia professeur titulaire est l’équivalent en français d’un tenured proffessor. Invirrable pour aucune raison politique qu’elle soit. La tenure en Amérique du Nord permet au professeur d’avoir un poste à vie et de ne plus avoir à risquer quoique ce soit en utilisant leur liberté d’expression.
stricto
Les professeurs d’université sont des fonctionnaires.
Du moins en France.
Laurent Gloaguen
On s’en fout, ici, on est au Canada. ;-)
Blah ? Touitter !