Parlons français
[Radio Canada : “L’Équateur accorde l’asile politique à Assange, Londres s’objecte”.]
Objecter veut dire réfuter une idée, opposer un argument à une affirmation.
En français, le verbe “objecter” est uniquement transitif et jamais pronominal.
La forme la moins risquée est “J’objecte que…”.
Nous objecterons à cette analyse que la relation de similarité demeure trop imprécise pour relever de la diagrammaticité au sens strict et nous considérerons plutôt cette diagrammaticité comme métaphorique.
Marianne Kilani-Schoch, Wolfgang U. Dressler, Morphologie naturelle et flexion du verbe français, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2005.
Nous objecterons à ce physicien, et nous nous objecterons à nous-mêmes, qu’il n’est pas possible de supposer que les lunettes d’Hévélius fussent plus fortes que toutes celles avec lesquelles on observe depuis longtemps les comètes : mais nous ajouterons aussi que ces crevasses nous paraissent fort suspectes.
Étienne-Claude Marivetz, Louis-Jacques Goussier, Physique du monde dédiée au Roi, Paris, Quillau, 1781.
En anglais, le verbe “to object” peut être utilisé de façon intransitive. Il signifie alors faire entendre une forte opposition, une contestation, l’expression d’un désaccord. J’imagine que cet usage a été popularisé par les innombrables séries télévisées américaines se passant dans des tribunaux où le “I object, Your Honor” est monnaie courante.
En français, la forme intransitive, “J’objecte !”, comme la forme pronominale, “Je m’objecte à…”, et pire encore, la forme intransitive pronominale de Radio Canada, sont fautives. Ce sont des barbarismes.
Il eût fallu écrire “L’Équateur accorde l’asile politique à Assange, Londres s’y oppose”, ou encore “L’Équateur accorde l’asile politique à Assange, Londres proteste”.
De même façon, ces phrases sont incorrectes :
[…] L’avocate de la Couronne, Me Isabelle Côté, s’est objectée à sa remise en liberté parce qu’il avait un antécédent d’alcool au volant en 2002. […] L’avocat de Goulet, Me Denis Lavigne, s’est dit surpris que la Couronne s’objecte à la remise en liberté de son client.
Le Soleil, Ian Bussières : “Accusé d’avoir causé la mort de son jumeau”.
Il eût fallu écrire :
[…] L’avocate de la Couronne, Maître Isabelle Côté, s’est opposée à sa remise en liberté parce qu’il avait un antécédent d’alcool au volant en 2002. […] L’avocat de M. Goulet, Maître Denis Lavigne, s’est dit surpris que la Couronne s’oppose à la remise en liberté de son client.
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P.S. Ha, ha… Je viens de voir que dans ma citation de 1781, il y a une utilisation transitive pronominale : “et nous nous objecterons à nous-mêmes”… Inutile lourdeur, ils eurent mieux fait d’écrire “Nous objecterons à ce physicien, et nous objecterons à nous-mêmes”, et mieux encore “Nous objecterons à ce physicien, ainsi qu’à nous-mêmes”.
Titem
L’OQLF ne fait, en tout cas, aucune objection à ce rappel linguistique ! http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8869532
Eric
Quelqu’un de Radio Canada a dû lire ton billet (peut-être l’auteur d’un invisible commentaire qui apparaît dans mon fil ?). Adoncques, maintenant Londres s’y oppose.
padawan
« Ne disez pas, médisez »
J’ai bien rigolu.
(Bizarre que ce commentaire apparaisse dans mon fil RSS mais pas sur la page. Mais bon, c’est pas comme si on ne m’avait pas prévenu que RSS était mort. :p)
Laurent Gloaguen
J’étais de mauvais poil hier soir, le couperet est tombé sur le troll…
narvic
Mais que fait donc ce passé antérieur de l’indicatif là où il eût fallu un conditionnel passé (deuxième forme, en l’occurrence) ?
Un conseil : quant à dénoncer les barbarismes des autres, autant préférer l’expression la plus simple. Un conditionnel passé première forme aurait été, me semble-t-il, bien suffisant… et moins risqué. ;-)
Pour réviser…
Laurent Gloaguen
Rhhhaaaa, il suffit de dénoncer une erreur pour en commettre une autre… :-)
Je préfère la deuxième forme du conditionnel passé, plus euphonique à mon goût.
Blah ? Touitter !