La mer est verte
Parfois.
Le ciel est bleu, la mer est verte
Laisse un peu la fenêtre ouverte.Le flot qui roule à l’horizon
Me fait penser à un garçon
Qui ne croyait ni Dieu ni diable.
Je l’ai rencontré vers le nord
Un soir d’escale sur un port
Dans un bastringue abominable.L’air sentait la sueur et l’alcool
Il ne portait pas de faux-col
Mais un douteux foulard de soie
En entrant je n’ai vu que lui
Et mon cœur en fut ébloui
De joie.Le ciel est bleu, la mer est verte
Laisse un peu la fenêtre ouverte.Il me prit la main sans un mot
Et m’entraîna hors du bistrot
Tout simplement d’un geste tendre
Ce n’était pas un compliqué
Il demeurait le long du quai
Je n’ai pas cherché à comprendre.Sa chambre donnait sur le port
Des marins saoûls chantaient dehors
Un bec de gaz d’un halo blême
Eclairait le triste réduit
Il m’écrasait tout contre lui
Je t’aime.Le ciel est bleu, la mer est verte
Laisse un peu la fenêtre ouverte.Son baiser me brûle toujours
Est-ce là ce qu’on dit l’amour
Son bateau mouillait dans la rade
Chassant les rêves de la nuit
Au jour naissant il s’est enfui
Pour rejoindre les camarades.Je l’ai vu monter sur le pont
Et si je ne sais pas son nom
Je connais celui du navireUn navire qui s’est perdu
Quant aux marins nul n’en peut plus
Rien dire.Le ciel est bas, la mer est grise
Ferme la fenêtre à la brise.Suzy Solidor, Escale. Paroles Jean Marèze, musique: Marguerite Monnot, 1938.
On sait bien que je suis fasciné par la perception des couleurs, au moins au niveau physique. Mais il y a un autre aspect de la perception des couleurs, c’est l’aspect linguistique, et ses liens avec les différentes formes de l’hypothèse de Sapir-Whorf (i.e., à quel point notre façon de désigner les choses influence notre façon de les penser ou de les percevoir — ce qui varie entre complètement évident et complètement faux selon ce qu’on comprend exactement par là).
Une observation classique, qui a été explicitement formulée par William Gladstone (le premier ministre de la reine Victoria, qui était aussi un passionné d’Homère) est qu’Homère décrit les couleurs d’une manière qui nous semble extrêmement bizarre : il décrit la mer, par exemple, comme ayant la couleur du vin (
οἶνοψ: par exemple Iliade 23:143, Achille regardeἐπὶ οἴνοπα πόντον, sur la mer sombre comme le vin), et en gros il n’utilise pas de mot pour bleu (il y a deux occurrences à quelques vers d’intervalle dont la première est Iliade 11:24,μέλανος κυάνοιο, de bleu sombre, parlant de la tenue de bataille d’Agamemnon, et ce n’est même pas sûr s’il parle vraiment d’une couleur ou bien d’une matière ; de même, Odyssée 7:87,θριγκὸς κυάνοιο, une corniche de pierre bleue). Gladstone en avait conclu qu’Homère, et peut-être les anciens Grecs en général, étaient daltoniens, ou en tout cas ne percevaient pas les couleurs comme nous, et que cette capacité avait évolué avec le temps. (C’est amusant, d’ailleurs, quand on songe que la légende veut qu’Homère ait été aveugle.) Mais du point de vue biologique, on peut dire avec certitude que c’est faux : si je ne m’abuse, on sait que l’évolution de la perception des couleurs, et notamment les dernières mutations pertinentes de la photopsine à l’échelle de l’espèce humaine, sont beaucoup plus anciennes que ça. […]David Madore : “Sur les noms et la perception des couleurs”.
Homère ne dit pas que la mer est couleur de vin. “Les yeux gonflés de larmes, il était assis à l’écart loin de ses compagnons sur le bord des flots blancs d’écume et il regardait vers la haute mer sombre comme du vin”. Il n’y a rien d’étrange ici. Que de poétique.
Et la mer peut être verte, noire, grise, beige, terreuse…
[Mouillage à Vathi, Βαθύ, Αστυπάλαια, île d’Astypalée, 15 août 2010. Photo L. Gloaguen.]
[La mer est bleue-verte.]
[À bord du CMA-CGM Tage, Grands bancs de Terre-Neuve, 9-10 Beaufort, 13 novembre 2004. Photo L. Gloaguen. La mer est grise.]
[À bord du CMA-CGM Tage, Atlantique Nord, 11 novembre 2004. Photo L. Gloaguen. La mer est lie de vin.]
Krysalia
j’aime beaucoup la couleur turquoise crayeuse ou laiteuse, que prend la mer aux abords du tréport…
Joachim
Et la glace, c’est blanc?
Non, pas vraiment : http://imgur.com/GUb1N
karl, La Grange
également la distinction entre le vert et le bleu n’est venu que tardivement dans certaines langues, et n’existent toujours pas à certains endroits.
Au Japon, par exemple, les feux de circulations sont de couleurs bleus alors que je les vois vert :) Les couleurs et la culture.
padawan
Là tout de suite après le passage de Freda, la mer a une couleur de boue brassée (et la maman des poissons doit être en train de les engeuler sur l’air de « range ta chambre »).
Vicnent
ne lui dis surtout pas qu’il est à coté de la plaque sur ce coup là, ça ferait deux fois. Déjà qu’il a pas aimé la première fosi (ou la zéroïème, on ne sait pas bien) :-)
Gregoware
Le ciel n’est bleu que par convention, mais rouge en réalité. Alberto Giacometti
wam
Rien à voir, mais … comme il y a 8 ans, je maintiens que ces containers ZIM n’ont rien à faire sur ce bateau à ce moment-là entre Anvers et Montréal (si je me souviens bien) … c’est vraiment bizarre.
Laurent Gloaguen
Rire. Huit ans plus tard, ça s’appelle de la persévérance. Ils étaient pourtant bien là. :-)
wam
:) Ca m’avait vraiment marqué ; un pote de la Zim avait évoqué Tsahal du coup …
Laurent Gloaguen
Avec en plus des Iraniens clandestins à bord…
Laurent Gloaguen
Iraniens qui se faisaient passer pour des Juifs. Quelle aventure :-)
Blah ? Touitter !